Jour 4

Départ de La Laguna (Tenerife). Bus pour l’aéroport nord (10 mn). Vol Binter pour La Palma en 30 minutes. Pour ceux qui s'inquiètent de mon empreinte carbone, qu'ils sachent que j’ai opté pour l’avion, Un parce que les prix étaient équivalent, Deux parce que le temps de trajet est bien inférieur (30 minutes au lieu de 3 heures), Trois parce que les horaires de bateau étaient complètement débiles (genre 4 h du matin), Quatre parce que je fais bien ce que je veux. A 11h je décolle, à 11h30 j’atterris, à 12h je démarre ma voiture de location (une Citroën C3 à propulsion nucléaire), à 12h30 je me baigne et à 13h je suis installé devant mon filet de poisson frites. J'aime la vie réglée, c'est comme ça, et on ne va pas se laisser embêter par le temps long tout de même.

Ma première impression de La Palma est d’arriver dans un vaste jardin botanique. C’est tout vert (donc il doit pleuvoir et d’ailleurs les nuages accrochés au volcan sont menaçants) et planté (bananeraies, palmiers, fleurs à profusion…). Magnifique. On l’appelle la Isla Bonita. Les serres en plastique gâchent un peu le paysage. Je vais donc piquer une tête à Los Cancajos, petite station humaine sans trop d’immeubles. Les petites plages en enfilade sont insérées par des bras de lave. On dirait un défilé de personnages rattrapés dans leur fuite vers la mer et figés sur place. Quand la nature mène à l’art.

Un peu déçu de ne pas avoir trouvé d’hébergement correct pour mon budget à Los Llanos. Il semble que certains servent encore à héberger les sinistrés de l’éruption. Los Llanos est une chouette petite ville tranquille, avec de chouettes petites rues flanquées de chouettes petites maisons colorées aboutissant à la chouette plaza de Espana bordée d’une chouette église typique des Canaries. Je me rabats sur El Paso à quelques kilomètres, qui a moins de charme mais est tranquille. J’ai un appartement pour moi tout seul, très bien, très propre. Le proprio se garde un bout avec son chat gris moche sans poil mais on ne se croise quasiment pas. J’avise un resto qui a l’air très bien, la Tasca de Catalina, un peu loin à pieds, j’y vais dans la nuit profonde, même pas peur, et ça descend sec. Je redoute le retour quand je serai alourdi de paëlla. Des meutes de chiens, heureusement contraints par leurs barrières, me signifient leur présence dans un assourdissant vacarme. Mes mollets feraient l’affaire de leur dîner, et plus pour certains dont je mesure le degré sonore. La tasca est fermée, il est écrit qu’ils sont en vacances jusqu’au 25. Nous sommes le 25. Il y a des jours où je hais le mot « inclus ». Je remonte par la haie des chiens et vais m’enfiler une calzone très bonne.

Jour 5-6

Journée programmée pour le sud-ouest de l’île. Je commence par la petite station balnéaire en bout de route, Puerto de Tazacorte. Des petits immeubles colorés, peu de monde, sans être ravissant, l’endroit a du charme. Jolie plage de sable tout noir abritée par la digue (qui n’est pas celle du cul). Qu’elles sont belles ces plages noires, trop la classe. Propres et sans coquillages, elles se fondent au paysage volcanique et contrastent avec le blanc de l’écume, l’argenté de l’eau qui s’étire au bout de sa course. Quelques gros cailloux ronds, polis par le temps émergent çà et là. Je me baigne. Au bout de la plage, une ouverture donne sur l’arrière de la digue (qui n'est toujours pas…), étendue de gros galets ronds aux pieds de la falaise verticale. Ca sent un peu l’urine. Comme tout le monde, d’instinct, je lève la patte et dépose trois gouttes en offrande.

La route pour Puerto Naos est coupée, sans crier gare, par la coulée de lave récente. C’était donc là. L’épaisseur est d’environ dix mètres, il valait mieux ne pas être là. La frontière entre le mort et le vivant est nette. D’un côté la coulée noire destructrice irrésistible, de l’autre la bananeraie verte, les plantations, les maisons préservées, la vie. On peut grimper sur le tapis roulant (à l'arrêt depuis le début de l'année) sombre, bonne semelles requises, ça peut être coupant. L’autre route plus haut est coupée de la même manière. Là ce sont des maisons qui sont partiellement englouties, d’autres qui ont sans doute disparu totalement du paysage. Une troisième route, c’est pareil, les travaux de remise en état commencent. Des fumerolles sortent encore de terre, je pose la main, c’est légèrement chaud. L’accès au sud par l’ouest n’est plus possible. Je remonte vers Tirajafe. Ca grimpe en lacets secs. Le mirador de la Time offre une belle vue d’ensemble. Finalement on en a fait tout un plat de cette éruption, en nous faisant croire que La Palma était détruite. Mais bon, ce n’est qu’un tout petit bout, une simple coulée, une langue noire qui va terminer sa course dans l’océan. De loin en loin, on s’approche de la bouche du cratère criminel, béant avec ses grosses lèvres vertes de souffre.

Le mirador de la Punta, moins connu, donne une vue plongeante sur Puerto de Tazacorte, comme si on était installé sur un drône. A Tirajafe, on tourne à gauche et on se laisse glisser comme sur un grand huit. La pente est impressionnante, la route très étroite, les lacets n’ont pas toujours de glissière. Je prie pour ne croiser personne. Je ne suis pas entendu par le divin, je croise, et comme quoi, même quand on en a une grosse, on trouve toujours le moyen de passer. Au ras de l’eau, au fond d’une caverne, des marins barjots ont bâti leur port de pêche. Comment faisaient-ils pour amarrer, aucun espoir d’une mer tranquille. Comment faisaient-ils pour remonter le poisson au village sur cette pente vraiment raide sur plusieurs kilomètres ? L’activité pêche a disparu aujourd’hui, les maisons servent le weekend ou pendant les vacances. C’est pittoresque, il faut juste aimer le bruit incessant de l’eau qui se fracasse sur les rochers.


Jour 7-8

Il pleut « como la vaca que urine ». Vraiment beaucoup. Ça change mes plans. Je vais aller vers Santa Cruz de La Palma sur la côte est et m’abriter dans quelques musées. En fait le temps semble s’arranger. Je suis l’amélioration au gré du vent, qui bouge les nuages. Halte première au Real Santuario de Nuestro Señora de las Nieves, sanctuaire sensé abriter une vierge emblématique de l’île. J’ai vu l’église richement décorée, plantée sur le côté d’une charmante petite place. Je n’ai pas fait attention à la vierge. Il est vrai qu’il y a bien longtemps que les vierges ne m’intéressent plus.

Je continue, le soleil perce, inonde les montagnes proches, denses de verdure. Les fleurs émergent de couleurs. Les bas-côtés sont pleins de capucines, cactus, fleurs sauvages, genêts… On se croirait dans une humidité tropicale. S’il pleut souvent comme ce matin, cela n’a rien d’étonnant. La Palma est l’exact contraire de Lanzarote, bien plus africaine pour son climat. Le petit village de San Andrès, accroché face à l’océan, est charmant, j’y prend mon cafe con leche du matin. Un peu plus au nord, les piscines naturelles de Charco Azul sont renommées. Elles permettent de se baigner dans un environnement de côte déchiquetée et de vagues qui se brisent sur les rochers. Je regarde les nénés de quelques dames et me baigne. Pas loin de là pourtant, se trouve une petite plage de sable noir (évidemment) et sans aspérité au Puerto Espindola. Plus loin encore sont les piscines de Fajana, moins belles je trouve. Il y a du vent, je ne me baigne pas. Oui oui, j’ai le choix de l’exigence.

En remontant un peu vers l’ouest, le Bosque del tillos (forêt de lauriers), un type de laurier endémique, forêt humide à température constante, qui date du tertiaire (je lis les explications). De belles balades à faire, par exemple 2 heures AR jusqu’à un mirador où on est seul au milieu des montagnes toutes vertes. Les vertophobes ont malheureux à La Palma. Je n'ai pas trouvé comment on appelait les gen,s qui n'aiment pas la couleur verte. Dans mes recherches, je suis allé voir ce qu'était un mucophage. Je vous laisse chercher. Ca grimpe quand même bien. Je suis content du retour, un lapin en sauce m’attend pour le déjeuner. Les routes du nord sont superbes, c’est peu habité, tout en lacets, dans une verdure impressionnante. Et des vues sur la côte et l’océan à couper le souffle. Couic ! Je ne monterai pas sur les picos, les nuages s’accrochent et à 2.000 m., il y fait froid. Et puis j’en ai un peu assez. Et puis je vais aller me baigner sur la plage de Santa Cruz de La Palma. Très agréable cette grande plage de ville. Se baigner face à la jolie ville et les montagnes vertes qui la protègent est un privilège. Inutile de vous dire que je vote contre l’abolition des privilèges.

Je reste trois nuits à Santa Cruz de La Palma, capitale de l’île et pourtant pas la plus peuplée. Cela se perçoit assez vite. Je suis installé au cœur de la petite cité, dans les rues piétonnes, à 50 mètres de la plage. Je dispose de toute la maison car le propriétaire Federico est parti travailler à Gran Canaria. Superbe petite maison mignonne et confortable, sur trois niveaux avec petite terrasse de toit. Je ne pouvais trouver mieux. Santa Cruz est très agréable, sereine, de vieilles maisons canariennes superbes et colorées. J’aurais aimé y rester plus longtemps.

Jour 9

Il y a un grand parking gratuit à cinq minutes de la maison. On cherche un peu la place. Jusqu’à présent je n’ai pas eu trop de difficultés. Un couple âgé attend à l’entrée dans sa voiture alors que je vais chercher la mienne, et me demande si je vais partir. « Si si, el coche rojo » dis-je d’un geste nonchalant en direction de mon char. Je fais des heureux. La dame me donne quatre petits chocolats suisse pour me remercier. Il y a un trafic à se faire…

Direction l’extrême sud. Route excellente comme toujours, pas de surenchère de voies ou de tunnels et ça va très bien comme ça. Des points de vue époustouflants encore vers la montagne d’un côté et vers la côte de l’autre. Tout semble immense dans cette petite île. J’ai lu que le rapport entre la largeur et la hauteur de l’île faisait qu’on pouvait considérer La Palma comme étant la plus haute île du monde. On trouve ses records où on peut. Le point culminant est le Roque de los Muchachos (2.400 mètres et quelques). Quelques arrêts : La Salemera, petit village de pêcheurs autour d’une crique baignable s’il n'y a pas trop de vent. Les maisons sont basses d’un seul étage, façon de minimiser l’emprise au vent. On semble y avoir remisé les vieux qui végètent là en silence, ça évite l’hospice. Las Salinas, créées en 1967, les bassins sont séparés par des roches de lave. Joli endroit mais le restaurant est trop cher ! En traçant tout droit, c’est El Hierro (qu’on ne voit pas), la plus petite et occidentale des Canaries. Je me baigne à la playa Nueva formée par la dernière éruption du coin (1971). L’environnement ressemble à la lune, c’est tout noir, la roche et le sable, sans arbre. C’est tout bleu aussi si on tourne la tête du côté du ciel et de la mer.

Au volcan San Antonio, un centre musée explique succinctement l’éruption de 1677. Il y est expliqué que seulement quatre éruptions se sont produites sur l’île depuis l’arrivée des européens (16ème siècle). Il faudra mettre à jour et ajouter l’éruption de 2021… J’ai lu que La Palma était la deuxième plus jeune île formée des Canaries (j’ignore quelle est la première). La dame aurait cependant 1,7 millions d’années ! L’existence humaine est rien moins qu’une poussière. Une petite balade monte jusqu’au bord du cratère (300 mètres de diamètre) où la végétation prend timidement place. On y a une vue plongeante sur toute la côte. Je vais déjeuner de calamars frits et pommes de terre sauce aïl, piments poivrons verts, etc. Je n’ai personne à embrasser ensuite.

Retour tranquille à Santa Cruz. Je repars demain à Tenerife. J’aurais pu rester plus longtemps à La Palma, cette île est magnifique. Je lui donne ma palme d’or, à égalité avec Lanzarote, les deux îles ne concourent pas dans la même section. Autant Lanzarote est très aride (pluviométrie 140 mm/an, ce qui équivaut au désert), la désalinisation de la mer est nécessaire, autant La Palma regorge d’eau (pluviométrie 329 mm/an. Cela joue évidemment sur les paysages, peut-être sur les mentalités… Les chemins de randonnée sont multiples, plus de 1.000 kms, parfois très costauds, il ne faut pas oublier ses bonnes chaussures. Cerise sur le gâteau, si toutes les plages sont noires, c’est par le sable et non par le monde. Il n’y a pas de station balnéaire insupportable et destructrice du paysage. La clientèle touristique majeure demeure allemande, voire anglaise, mais elle ne vient pas que s’étaler sur sa serviette. Je vais donc voir ce qu’il en est pour Tenerife.