Jour 10

Retour à Tenerife. L’aéroport de La Palma est à 10 minutes de Santa Cruz. Au-delà d’être magnifique et agréable, elle est vraiment pratique cette ville-là ! Pas plus compliqué qu’à l’aller, 30 minutes de vol, la voiture en deux temps trois mouvements et zou, une boucle dans le nord-est de l’île. Routes en lacets, ça grimpe, des arrêts partout avec peu de place pour se garer, j’en ai un peu marre d’entendre parler allemand… Le vert est partout et éclatant. Stabylo a dû trouver son inspiration ici pour ses surligneurs. Le plafond nuageux est bas, certaines portions de route sous les arbres sont très sombres et il fait frais. Taganana semble au bout du monde, Bonijo, je ne vous en parle même pas, plage de gros cailloux imbaignable. « Imbaignable » ne semble pas être dans le vocabulaire français. Le correcteur me propose « imbaisable », mais ça ne fait pas l’affaire pour le sens de mon propos !

Descente vers la playa de las Teresitas, la plage des Thérèse, on s’y baigne. Ouf, pas besoin du correcteur… Cette très longue et large plage a la particularité de son sable blond, une très grande rareté à Tenerife. Ce sable provient du Sahara, soufflé par le vent et accumulé là depuis des centaines de milliers d’années, voire millions, ne soyons pas chiches. Très agréable cette plage, très abritée, pas de vague, idéale avec des enfants. D’ailleurs, des enfants, il y en a plus qu’avant, ça doit être le début des vacances, et j’entends parler français, c’est un signe qui ne trompe pas. Je me dirige en une petite heure vers La Florida dans les terres, au-dessus de La Orotava, où j’ai trouvé un studio rien que pour moi, pas mal, très clair, un peu pas grand-chose autour, mais il n’y avait pas trop le choix dans les parages.

Jour 11

Un peu de mal à émerger ce matin, ça doit être « l’estofado de ternero » du dîner à la Bodegon Mathias (super déco rurale à l’ancienne). La Orotava est la deuxième ville de Tenerife à avoir gardé des restes de palais et maisons coloniaux. Au contraire de La Laguna, le centre-ville historique n’est pas banni aux voitures, c’est un peu dommage. Il y a de très belles demeures des 17 et 18ème siècle, des touristes en goguette, mais ça se gère, et beaucoup de cafés et restos. Plusieurs églises sont inexplicablement fermées, juste au moment où on en a besoin. J’avais une requête à formuler en guise de prière… Tant pis, je la garderai pour moi, et toc ! J’avale un bocadillo au jambon ibérique. Le serveur me laisse le choix entre fromage de couleur blanche et fromage jaune. Je suis indécis et me reporte sur sa compétence. Il me suggère le fromage blanc. Zyva Antonio, bon choix. Je descends lire sur une plage de Puerto de la Cruz, le temps est moyen, le soleil semble s’être caché durablement.

Je vais vers l’ouest le long de la côte. Arrêt à San Juan de la Rambla, inscrite nulle part, et pourtant très bel ensemble religieux tout blanc avec huisseries marron. C’est d’un chic. Plus loin, j’espère une glace vers le village-plage de San Marcos. Ca pourrait être un point de chute pour se baigner (ce le sera une autre fois), mais pas de glace. Je continue jusqu’à Garachico qui a été florissante, détruite par une éruption en 1706, soyons précis, c’était à 5 heures, et reconstruite au 18ème siècle (très bien). Garachico est considérée comme étant la troisième (il n’y en a pas quatre) perle coloniale de Tenerife. Il fait grisoune. Je reviendrai quand il fera plus soleillou. Le dimanche il y a un petit marché fermier qui donne envie de tout dévorer. Dans la partie accessible du couvent de San Francisco sont exposées les statues-scènes qui vont je crois défiler pour la semaine sainte. Elles sont magnifiquement colorées, l’ensemble regroupé est parfait. Marie, comme d’habitude, fait la tête, frustrée par son immaculation persistante. Jésus n’en finit pas de s’enfoncer des épines dans le front et de faire la victime. Je n’arrive pas à voir ce qu’il y a au menu de la cène, mais comme chacun des convives regarde ailleurs, ça doit pas être tip top… C’est la douleur et la souffrance qui se dégagent de chaque scène, rien de franchement captif pour cette religion, même si c’est pour le repos de nos âmes et la rédemption de nos péchés… Ca frise la propagande cette histoire.

Jour 12

C’est une journée à l’assaut. A l’assaut du Pico Teide qui, je le rappelle, avec ses 3.700 mètres est le point culminant de l’Espagne. La route monte gentiment en lacets pas trop serrés, la température diminue graduellement. Au plus bas, sous le couvert, il fera jusqu’à 9°C. Quelle chance ce matin, il fait clair, le Pico est ensoleillé, avec ses zébrures blanches de résidus neigeux. Des points de départ de randonnées jalonnent la route. A un endroit nommé La Caldera (cratère comblé qui sert aujourd’hui d’aire de pique-nique), je chausse mes grosses godasses, regarde sur le plan la marche la plus facile et la moins longue et qui me ramène à mon point de départ. Je prends la piste verte, une heure et quart de descente et de montée. La difficulté me convient bien, juste assez pour revenir essoufflé. A cette altitude, les conifères d’hauteur moyenne font la verdure et tapissent le sol de leurs aiguilles rousses. C’est la multiplication des petits pins. Et je poursuis la route. Je monterai jusqu’à 2.250 mètres d’altitude. Sans transition, le paysage change du tout au tout. Plus question d’arbres, nous voici dans un désert rocailleux, parsemé de buissons bas ou de rien du tout, se donnant des allures de Wadi Rum ou de Monument Valley. On me suggère aussi l’Arizona. Le temps donne l’impression d’avoir rouillé la lave et la pierre, tant l’ensemble est nuancé de teintes jaunes à rouge. On perçoit très bien les coulées de lave chaotiques qui se sont produites bien avant que l’homo sapiens soit un embryon.

La route est sublime de bout en bout. Le premier arrêt, au milieu de nulle part, est à couper le souffle de majesté minérale. Le parking est vaste. Les couples âgés s’éparpillent en se tenant par la main. Car c’est la règle, en vacances au soleil, Monsieur et Madame se tiennent par la main, ce qui leur paraîtrait incongru le reste de l’année. On se pardonne les engueulades et la routine d’un simple contact adolescent. Et Monsieur prend Madame (en photo) devant le rocher, derrière le rocher, le Pico en arrière-plan, assise, debout ou couchée. Rarement Madame prend l’initiative de prendre Monsieur L’appareil-photo, même réduit à un rectangle multifonctions, demeure encore souvent l’apanage de la masculinité. On est bien là hein Tintin… Plus loin, c’est un très jeune couple qui regarde au loin la beauté irréelle de l’endroit. Il lui colle sa main sur la fesse droite. Pablo est sentimental mais a le sang chaud. Maria y voit une preuve d’amour et le regarde d’un air joyeux. On ne saurait dire si cet air est timide ou coquin. Peut-être est-il tout simplement timidement coquin. Et ce qui devait arriver arrive. Maria impose le selfie à deux pour immortaliser l’instant ou le lieu, on ne sait trop, peut-être l’instant du lieu, ou l’instant où a eu lieu l’instant du lieu. Bref, Maria est habituée à sourire à ses propres selfies, elle est radieuse. Pablo est plus condescendant, mais se prête au jeu. C’est plutôt avec ses potes qu’il déconne sur les photos. Maria en prend plusieurs, les mêmes, on ne sait jamais. Elle les fera défiler plus tard, assise dans le métro de Madrid, faute d’autre occupation, la contemplation ou la réflexion n’en étant plus une de nos jours. Elle les regardera avec un bonheur bête, une tristesse ou de la colère en fonction de la façon dont l’anulingus du soir aura déterminé ses ambitions matrimoniales

Plus on va vers l’est, plus on se rapproche du sud de l’île, là où sont implantées les stations balnéaires qui font la réputation vacancière de Tenerife. Ce monde est en excursion, et puis nous sommes samedi, et puis ce sont les vacances des pays européens. Alors il y a de plus en plus de monde. Les parkings commencent à devenir inapprochables. On ne peut en vouloir à la masse de venir voir le beau, dit l’élite, conscient de sa présomption hautaine. A quoi voit-on la clientèle ? Peut-être à l’arrivée de quads, buggys et voitures décapotables débiles qui garnissent le portefeuilles des loueurs de la côte. Je descends vers Villaflor qui est un charmant village d'altitude, pour la pause déjeuner de 15h17 et repart vers la côte nord, Icod de Los Vinos, où je vais m’héberger dans une maison de bric et de broc, plutôt de broc, veillotte et charmante avec vue sur la mer à l’angle en biais et le Pico del Teide depuis la terrasse. L’ambiance est un peu routarde. Il y a cinq chambres deux salles de bains, dont une a la douche cassée. Pas grave, on verra plus tard. Pas de wifi, le proprio ne paye pas, pas grave, allons plutôt fumer un oinche sous des airs de reggae…

C’était une journée de très grande émotion.

Jour 13

Avant la pluie est le beau temps (dicton canarien). Il fait un temps magnifique ce matin, contredisant les prévisions, mais la pluie viendra plus tard. Direction l’ouest de le parc de Teno. Au petit dej, dans un grand patio, un italien, mon premier voyageur, il était temps ! ll vient passer quelques jours, profitant d’une promo Easyjet, aller-retour Milan-Tenerife pour 40€ ! Il va bien y avoir un jour où les low-costs ne vont plus tenir la route ! Baignade à San Marcos, Cafe con leche à Garachico et puis les nuages menacent depuis les montagnes où j’ai prévu d’aller faire un tour. Il pleut à Los Sintos, je continue sans m’arrêter. Le soleil pointe à Buenavista del Norte, je m’arrête pour un arrêt-buffet, una tortilla y una cana.

La route étroite grimpe très serrée en lacets, le plafond nuageux approche dangereusement et la température baisse. Je suis habitué maintenant à ces temps changeants. Et voici la brume, les miradors sont inutiles. Quelques trouées laissent paraître des points de vue vertigineux. Masca est le village final du périple. Gros hameau accroché à la montagne. Village fantôme en ce dimanche brumeux. Les habitants ont fermé boutiques et restaurants, se sont enfermés ou sont partis faire la java ailleurs. Ne restent que les touristes en promenade. Je profite de l’endroit pour me perfectionner à l’activité macrophotographie, spécialité cactus. Retour à Icod où il pleut fort.

(dernier) Jour 14

Au petit dej, une suissesse de Lucerne. Guten Tag. Elle finit trois semaines à Tenerife et revient d’une semaine à La Gomera qu’elle a adoré pour ses randonnées vertigineuses. Elle est venue et repart en bateau, deux jours pour Cadix (et sa belle). Elle se désespère du mauvais temps qu’elle a eu, ce qui n’est pas mon cas. Il pleut encore ce matin. Il est temps de quitter la jolie Tenerife pour me rapprocher de l’aéroport, c’est mon dernier jour d’escapade canarienne. Je vais traverser les zones balnéaires, le all inclusive et les collines enlotissementées. Je vais aller vite car, comme on peut l’imaginer, ce n’est pas ma tasse de thé matcha. A Los Gigantes, il reste quelques places libres, mais il faut être handicapé, ce à quoi je ne me résous pas encore. De là partent les excursions touristiques pour (peut-être) voir dauphins et baleines, mais aussi les fameuses géantes, ces falaises impressionnantes qui tombent à l’eau et à pic. Au moins il fait maintenant beau, mais je fuis quand même. Et je m’accroche en longeant la côte toujours vers le sud. Là où les promoteurs n’ont pas encore agi, la campagne est caillouteuse et sans grâce. Je plains les vacanciers qui ne verront de Tenerife que ces endroits.

Et ça n’a pas de sens de persister, j’attrape l’autopista, plus rapide. De plus haut, les dégâts immobiliers sont encore plus visibles. Je rejoins mon point de chute final, Los Abrigos, à dix minutes de l’aéroport. Los Abrigos a résisté à la tentation des promoteurs, et se serre autour de son petit port où s’alignent quand même une multitude de restaurants surenchérissant de promotions. C’est agréable pour une dernière. Il fait très beau mais il y a trop de vent pour faire trempette. Mon studio est super sympa, tout proche du centre. Je termine ce que j’ai à faire écriture, lecture). Je suis prêt à passer au séjour suivant, dans pas longtemps.

Conclusion : La Palma, top top top, et Tenerife top top 😊