8 – FIN DU PARCOURS SRI LANKAIS

Ayu bohan

Deux changements de bus plus tard me voici dans les montagnes. Courte incursion de deux trois jours. Je n’ai plus le temps et n’ai pas très envie d’avoir froid. Les bus dans de bonnes conditions mais un peu long. Haputale est une petite station à 1.600 m. d’altitude. La vue est époustouflante depuis la guesthouse. Dommage que les nuages se baladent un peu sans contrôle parfois. Pas mal du tout cette guesthouse à 6 € la nuit, petit déjeuner compris. Le patron ressemble à Ramzi de Eric et Ramzi. Tout autant excité. Il s’appelle Mohamed. J’en déduis que la famille est musulmane. Il me propose pour dîner un rice and curry. J’ai un peu peur, j’en ai marre des rice and curry. « Qu’est-ce que vous voulez manger ? ». « Bah je ne sais pas moi, qu’est-ce que vous me proposez ?. Invariablement on vous répond Rice and Curry avec les yeux pétillants comme si c’était la recette du siècle ! La femme de Mohamed s’est surpassée. C’est excellent. Le meilleur que j’ai mangé. C’est d’abord un riz jaune cuit au lait de coco. Et tout un assortiment de légumes superbement cuits et épicés : feuilles d’oignons frais, potiron, aubergines, papaye et j’en oublie avec un morceau de poulet mariné. Mohamed me promet un rice and curry d’un autre genre pour demain. Impossible de refuser. Un client, très bronzé, la trentaine, arrive. Salutations d’usage. Il me fait deviner d’où il vient. J’aurais bien dit « Australien ». Il est russe et fier de l’être. Je ne m’empêche pas d’être gêné pour les raisons que vous savez. Dans ma tête très étroite, j’espère que je n’aurai pas à partager le dîner avec lui. Un peu lâche peut-être pour aborder les sujets désagréables. C’est certainement ridicule, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer chaque russe comme un ennemi de la patrie (la mienne). Je ne le recroiserai pas.

Bus puis tuktuk vers le Lipton’s seat où trône une statue assise de Sir Thomas Lipton qui avait ici ses plantations de thé. Nous sommes ici dans l’univers du thé qui a besoin de pentes et d’altitude. Ça tombe bien, on a ça dans les parages. Je redescends à pied, deux heures dans les plantations où travaillent des fourmilières de dames du cru. Il faut cueillir les feuilles fraîches une à une tous les jours. Les femmes ont l’œil et une impressionnante dextérité. Le sac, énorme, dans lequel elles mettent les feuilles cueillies, est suspendu dans leur dos par une lanière au front. Ce travail est harassant, de la besogne d’esclave, et n’est jamais terminé. Ma marche à pied est superbe. Les dames d’ici portent facilement le sari, surtout celles qui ont la quarantaine passée. Le sari se perd. Les femmes portent en général une robe en tissu imprimé du type de celles qu’ont devait trouver sur nos marchés de province dans les années cinquante. Quand elles sont minces, ce qu’elles sont le plus fréquemment, ça leur va très bien. A l’école, les jeunes filles sont en robe blanche (les musulmanes les côtoient avec un niqab blanc). Les garçons sont en bermuda bleu marine, chemise blanche à manches courtes et cravate. Quand ils sont un peu plus âgés, ils troquent la culotte bleue par un pantalon blanc. Les sorties d’école sont impressionnantes.

Je continue ma marche, je prends mon temps. Mais il va falloir songer à accélérer si je veux être à temps à l’aéroport dans quelques jours. Je suis venu dans le coin essentiellement pour le train qui mène à Ella. Je me trompe de train et prends celui en sens inverse. Comme il n’y a qu’une voie, les rares trains se croisent dans les gares. Celui que je devais prendre a le bon goût d’être en retard et d’attendre à la gare précédente le train où je suis par erreur. Le chef de train, celui qui agite son drapeau vert quand il juge qu’on peut partir, me fait grimper dans sa grande cabine. Deux japonaises sont dans le même cas que moi. Et c’est super car les wagons de passagers sont bondés (de touristes surtout). Moi je me plante à la porte extérieure et j’admire le paysage C’est effectivement somptueux, les montagnes en majesté. Je le répète, qui n’aime pas le vert ne vient pas au Sri Lanka.

Les dames s’affairent dans les plantations de thé. Je leur fais coucou au passage. Les ravins succèdent aux vues élargies. J’ai déjà dit somptueux ? Je le répète. A cette altitude, on trouve les fleurs de chez nous qui fleurissent plus tard. Je reconnais les hortensias, les cosmos, les hémérocalles, les cœurs-de-Marie et d’autres dont le nom me viendra plus tard. Ella est une station à 1.000 m. d’altitude qui est devenu un must parmi les routards. C’est l’occasion d’ailleurs de voir que les routards ont bien changés, se sont boboïsés. La main street est bordée de part et d’autre de restaurants prompts à satisfaire les estomacs occidentaux et de boutiques pas très bon marché. En tout cas, c’est un cas flagrant où le tourisme a dénaturé la vie locale et fait perdre son authenticité au village. Ma guesthouse superbe (j’y mets un peu le prix) est perchée au-dessus de la voie ferrée, à l’écart de l’agitation, et j’ai une vue de folie depuis la terrasse de ma chambre. Je ne reste là qu’une nuit.

Il est temps de retrouver la plaine, les ibis et les rizières. Et la chaleur aussi. Dans le bus qui m’emmène à Tissa (Tissamaharama pour les puristes), un gamin de 13 ans qui sort de l’école me bombarde de questions en anglais. Il doit travailler aux Renseignements Généraux. Comme beaucoup, il me demande un school pen. J’ai pas. Alors 1 dollar ? J’ai pas non plus, désolé. Alors peut-être pourrais-je l’aider pour ses études ? Une idée germe… Une autre fois, une fille du même âge, passé la timidité de rigueur, se lance et me bombarde de questions. Son anglais est excellent au niveau du vocabulaire. Ce qui m’arrive très peu, je lui propose un selfie. Elle me répond qu’elle n’aime pas trop. C’est le monde à l’envers là. Je viens de me prendre une veste grande taille.

Tissa n’a pas trop d’intérêt touristique. D’ailleurs les touristes se comptent sur les deux orteils. Moi j’aime bien, surtout après la vague étrangère vue à Ella. Balade à pied dans la ville assez centrée, un très beau dagoba et tout de suite des rizières superbes qui commencent à jaunir. Retour en ville par le grand réservoir qui apporte, s’il en était besoin, encore plus de sérénité. Tissa est une bonne base pour aller faire un safari (Daktariiiiii) dans le parc de Yala tout proche. Moi ce matin, j’ai vu un énorme écureuil, peut-être bien 50 cms de long. Je ne sais pas comment s’appelle cette bête. On s’est croisé sur le chemin. Il n’a pas paniqué, ni moi, mais il ne m’a quand même pas laissé le temps de sortir mon appareil-photo. J’ai choisi un hôtel avec piscine. Trop le luxe ! L’intérêt d’avoir une piscine à un hôtel est d’y aller faire une plongette dix minutes en arrivant, on a quand même payé pour, et puis c’est tout. Le soir on n’a plus envie. Cet hôtel est très bien, très clean, bien aménagé pour accueillir les groupes ou les personnes en circuit tout compris qui ne savent pas combien elles dépensent dans chaque lieu et activité. J’ai l’impression d’être le seul client. C’est un peu déprimant. Je repars et je snobe les stations balnéaires du sud. Tangalle, Hikkaduwa, Weligama, Merissa… Et pourtant, les plages qu’on aperçoit depuis la route sont vraiment splendides. Moi je vais jusqu’à Galle, prononcer Gaule (mais avec un "O" ouvert, entre le "A" et le "AU") me planter deux nuits dans ce petit bijou. La zone intéressante est le fort édifié par les portugais et les hollandais sur une presqu’île entourée donc de remparts. A l’intérieur est une vraie ville avec une multitude de maisons historiques.

Mais attention, elle est en train de devenir doucement mais très sûrement une ville-musée. Hôtels superbes, restaurants et boutiques partout. Un semblant de vie locale, discret, et jusqu’à quand. Et il faut avoir le portefeuille bien garni. Les prix sont européens. Des allures de Corfou ou d’un village de Provence touristique. Des bâtiments sont encore à l’abandon et attendent les investissements pour rénovation et transformation en boutique-restaurant-hôtel. Il fait une chaleur de chien, amplifiée par le taux d’humidité qui doit bien frôler les 80% (en France on doit en être à 50-55%). Je plains les personnes qui ne viennent que pour la journée. C’est d’ailleurs le souvenir que j’en avais. De l’autre côté il y a la ville, assez sympa, avec ses marchés, sa gare des bus, sa gare des trains, ses gens et son jus d’ananas à 240 roupies (800 + taxe 12% et « frais de service » dans le fort). Je note, au Sri Lanka, que la taxe de 12% n’est appliquée que dans les restaurants au-dessus de la moyenne et dans les endroits touristiques. Est-ce pour cela qu’on y voit les russes en nombre ? Et les japonais ? Et les Européens ? Et les alouettes ? Alouette je te plumerai.

Au Sri Lanka, beaucoup de gens portent encore le masque, même quand ils sont en vélo et éloignés de la foule. Une autre chose que j’ai notée dès le départ, les tuktuks sont fermés sur le côté droit des passagers. Sachant qu’on roule à gauche, c’est pour protéger les passagers lors de la descente. Je n’ai pas vu d’autre pays si soucieux de sécurité en matière de tuktuk. Cela me rappelle Dacca au Bangladesh, où les tuktuks étaient carrément grillagés et fermés de l’intérieur. Pour raisons sécuritaires, mais pas les mêmes. Cela met tout de suite en confiance ! Un varan traverse la rue pavée au fort de Galle, pas si sereinement quand les touristes le remarquent et viennent s’agglutiner armés de leur téléphone, comme si c’était une star. J’aurais fait pareil si j’avais eu le réflexe. Plus loin c’est un paon qui ne sait plus où aller et qui se lance dans des léon léon.

Le train en deuxième classe pour Colombo est surchargé bien que nous soyons dimanche matin. Je suis debout tout le trajet. Avec trois autres français, nous formons un carré infranchissable près de la porte. Les filles s’assoient les pieds dans le vide. Au moins nous avons l’air. Des Srilankais menus et filous tentent bien de s’accrocher par l’extérieur. Nous sommes intraitables. A Colombo, je suis au Grand Oriental Hotel construit en 1837. Le hall d’entrée est immense. L’ensemble a vieilli mais a un charme incontestable. J’aime beaucoup d’autant que 25€ est une affaire. Les commentaires sont moins élogieux, les gens sont exigeants. C’est dans le quartier du fort dont il ne reste pas de trace. E port très actif est au bout. Les anglais y ont bâti d’immenses bâtiments. La zone du fort est vide, on est dimanche, bien agréable. Seuls les mendiants (plus nombreux qu'ailleurs) font la ponctuation des rues. Le quartier de Pettah (dans la semoule) est pittoresque. Marchés de plein air ou couverts, gros, demi-gros ou détail. J’ai de la chance pour mon dernier jour au Sri Lanka. Au sud du quartier du fort se trouve un temple étonnant, le Gangaramaya. Plus qu’un temple où viennent prier les fidèles avec ferveur, c’est une vraie attraction touristique, sorte de caverne d’Alibaba. Du sol au plafond sont empilés dans des armoires-vitrines des milliers de bouddhas de toutes sortes, des chinoiseries, mais aussi des tas d’objets qu’on trouverait plutôt chez les brocanteurs, vieilles montres, appareils photo, coquillages, pierres, une collection de vieilles voitures de luxe. Ce sont paraît-il des offrandes déposées par les fidèles. Il y a même un éléphant empaillé. Au retour vers le quartier du fort, je bifurque à gauche pour éviter de longer la grande voie. Je tombe sans le savoir, directement dans un quartier bien plus déshérité et musulman, avec écoles « arabiques », mosquées, bâtiments délabrés et certainement insalubres, des ruelles étroites et sombres, sans issue, partent de chaque côté. J’entends des salam alaiqum ! Pittoresque et très inattendu.

Je ne reviendrai sans doute pas au Sri Lanka. La boucle est bouclée (voir carte). Une semaine ou deux de plus aurait permis d’aller fouiner ailleurs. Passer plus de temps sur la côte sud, en mode balnéaire. Passer plus de temps dans les zones montagneuses, à Kandy, à Nuwara Elia, Horton Plains... Cela m’aurait exposé à la foule touristique, et le peu que j’y ai goûté m’a en conscience suffi et motivé mes choix. J’aurais aimé aller au nord-est vers Mullaitivu, dernière zone des combats où il reste paraît-il quelques traces, mais le défaut d’hébergements, le temps et les transports moindres m’ont détourné. Ce sont des choses que l’on peut faire plus facilement quand on a son propre véhicule. Dommage également de n’avoir pu me planter quelques jours à Hatton au sud-ouest de Nuwara Elia. Une voyageuse m’en avait parlé, m’avait montré des photos. C’est à l’écart des circuits et les montagnes y sont somptueuses. Je ne regrette pas tous ces choix, je ne regrette pas d’avoir musardé là où les gens vont peu ou pas (Mannar, la zone nord vers Jaffna, Batticaloa), les gens s’en dédouanent en clamant impérativement qu’il n’y a rien à y voir. Faux, archi faux naturellement. On y fait les meilleures rencontres. J’y ai capté les plus grands sourires et la meilleure attention. J’ai été déçu, un peu, de ne pas avoir eu de grand whaou spontané pour la ville même de Jaffna, pour Trincomalee, pour Ella… mais ça fait partie du jeu et j’y ai appris aussi. Un impératif en voyage : prendre son temps. Une rencontre inattendue, un paysage surprenant, la découverte d’un fruit, d’un animal, une situation incongrue… peuvent toujours faire le bonheur d’une journée. Même une galère. De galère, je n’en ai pas eu. C’est dommage… ou pas.

Les transports publics sont très bien faits. Il ne faut pas beaucoup d’organisation pour s’en sortir. Le Sri Lanka est adapté à tous les styles, à toutes les bourses. Dans la période de vacances européennes où je me suis trouvé, j’ai vu beaucoup de familles avec des enfants, parfois tout petits. J’ai une petite réserve pour ces derniers du fait de la chaleur parfois extrême en journée. J’en ai vu des bambins blonds dans leur poussette, les joues rouges à l’extrême et larmoyants. J’en ai souffert moi-même, et la suite annoncée m’effraie un peu. On peut voyager très facilement en individuel. L’île n’est pas grande, la taille de l’Irlande. Colombo est toujours assez rapidement accessible. Pour être plus libre et indépendant des transports publics qui effraient parfois ceux qui n’y sont pas habitués, on peut louer son propre véhicule, un tuktuk pourquoi pas, une voiture avec chauffeur si on ne veut pas s’encombrer de la conduite à gauche ou des aléas de la route. Uber fonctionne aussi très bien. Sur place, la location de vélo ou de scooter est souvent très facile. Je me suis baigné sur des plages sans personne et sans infrastructure. N’étant pas adepte des séjours prolongés sur le sable sous la cuisson du soleil réglée sur thermostat 8, ça me va très bien. L’eau est douce et chaude. Il y a des endroits, la côte sud notamment, l’est en saison, où les touristes préfèrent s’agglutiner, et où les standards sri lankais sont quelque peu bousculés pour s’adapter à une clientèle vacancière qui ne souhaite pas trop changer ses habitudes (hôtels, petits déjeuner, bière…). J’ai effectué un safari moyen. En mettant un peu plus d’argent, mais je l’ai su plus tard, j’aurai dû en faire un, matinal, en me basant à Tissa dans le parc de Yala. Mais je suis aussi un peu gêné des désagréments qu’on cause aux animaux sauvages. Que dirait-on si une famille d’éléphants venait nous contempler à l’heure de notre dîner ou d’une armée de singes qui rigoleraient parce que nous nous grattons le ventre ? Pour les enfants ou ceux qui n’en ont jamais vu, on peut aller en mer voir les baleines qui remontent à la surface régulièrement pour faire le plein d’air.

J’ai aimé plus que tout les sourires des gens, pas du tout fâchés de nous voir investir leurs lieux. Cette attitude est ancrée dans leur culture je pense. Ils sont comme ça entre eux. Les conversations ne vont pas toujours plus loin que les simples présentations et questions de base, on n’aborde pas toujours, par pudeur, ce qui peut fâcher ou qui est compliqué du fait de la langue. J’ai aimé pouvoir m’isoler et la sérénité ambiante. Le Sri Lanka ne peut, à mon sens, pas être comparé à l’Inde. L’ambiance y est plus sereine mais aussi sans surprise. A chacun de voir midi à quatorze heures, de ne pas y aller par quatre chemins, de balayer devant sa porte, et d’éviter aussi de boutonner lundi avec mardi 😊. D’ailleurs c’est ce mardi que je m’envole pour Bangalore.


MON BILAN MEDICAL

Tout va bien. Quelques petites douleurs récurrentes à la plante des pieds. Abus de portage de tongs. Des genoux qui parfois vrillent légèrement ou me lancent. A surveiller. Comme il fait très chaud et humide, je transpire. Du coup je pisse moins. Vérifier la prostate au retour 😉 Pour ce qui est du transit, tout va bien jusqu’à présent.

 

Environ 600 photos. Pas loin de 200 sur Travelmap. Voici mes préférées.

 Coût du voyage : 1.400 € pour 27 jours sur place (50 €/jour), hors prise en compte d’un vol retour.

J’ai « forcé » sur les hôtels la dernière semaine. La moyenne est de 15 € par nuit, soit 30% du budget.