PUSHKAR

Bundi-Pushkar, 180 kms, 5 heures de bus. Changement total d’ambiance. A Bundi, la vieille ville était calme et les touristes étrangers, pas totalement revenus depuis le covid, ne perturbaient absolument pas le quotidien. A Pushkar, plusieurs mondes se côtoient et la vie tourne autour du business. Ville totalement hindoue (même si une mosquée s’est perdue là), bâtie autour de son lac sacré, elle voue son culte à Brâma, Dieu fondateur de l’hindouisme, et c’est assez rare en Inde. On lui préfère souvent Vishnu ou Shiva, ses accolytes. Des illuminés de tous poils, enturbannés et couverts de loques orange, rose pâle et blanches (au temps jadis), viennent faire trempette et se purifier le corps et l'esprit. Des petits bidons vides sont à vendre pour rapporter chez soi l’eau sainte. On doit bien faire la même chose à Lourdes, autre lieu éminemment marchand. Les intégrismes, quels qu’ils soient, me gênent. Des harangueurs de foules captent un public totalement béat devant l'assurance autoritaire de l'orateur. Les rites sont précis et contraignants, gestuelle de prière particulière, façon Rafaël Nadal avant service, on se touche les lobes d'oreille, on tourne une fois sur soi-même, chaussures proscrites, photos interdites, fleurs coupées et donations à gogo. Quelle hypocrisie en arrière-boutique où tout se vend. De soi-disant prêtres affamés quémandent, d’autres tentent de te mettre quelques pétales purificateurs dans la main moyennant finance. Un érudit est plongé dans son livre saint, face à l’eau et au soleil du matin, entouré de son petit autel personnel qu'il a bâti sur les escaliers du ghât. Une caisse toute propre et moderne accepte les donations en roupies trébuchantes. Je trempe mes pieds dans l’eau pure où tout le monde a sans doute pissé, dans l’espoir que cela soigne mon rhume grandissant. Les vaches font tranquillement leur bouse, attention aux pieds nus. Les macaques cavalcadent sur les toits en tôle ondulée. Ca fait un sacré barouf. Les chiens sont ici câlins, quémandeurs comme tous, et viennent renifler s’il y n'aurait pas quelque chose de comestible dans mon sac. Ça n’a rien à voir avec les ghâts de Varanasi. La prochaine fois, promis.

Et il y a les autres, enfants, plutôt petits-enfants des hippies d’antan, qui prenaient Pushkar pour un vaste fumodrôme, la méditation nécessitant les produits extrêmes qui font partir ailleurs. Les sadhus donnaient l’exemple et étaient ravis d’enseigner leur art à toute une population occidentale paumée, en quête de réponses spirituelles. Ouais, bon ! Il y a quinze ans, je les avais vus ces anciens hippies, âgés et bedonnants, revenus sur le lieu de leurs crimes. Je les avais trouvés ridicules en habit local. Un occidental ne portera jamais bien un vêtement qui n’est pas taillé pour sa corpulence ou sa couleur de peau. Ceux-là doivent être morts maintenant ou fumer leur joint dans quelque ephad, oubliés. Mais aujourd’hui voilà les autres, jeunes et tatoués partout, plus ou moins sales et cheveux allergiques au peigne, accoutrés en mode tibétain, pantalon et veste flottante, sacoche en tissu et bracelets aux chevilles, qui traînent leurs savates ou pétaradent sur un scooter, installés là puisque c’est leur Inde, connaissant tous les vendeurs, surtout leurs fournisseurs de ces choses totalement interdites ici. J’en vois un, beau gosse plein d’assurance au guidon de son scooter portant deux nanas dont le short ras du bonbon a dû être taillé dans un mouchoir de petite poche, prêtes pour la fête du slip… Donc je l’entends lancer à un vendeur de chai : « I come back later, I will need a fix ». Texto. Comme s’il disait tout fort « Comment vas-tuyau de poêle ». Dans une variante de cette catégorie, plus sophistiquée et beaucoup moins ancrée de convictions immatérielles, voire en crise adolescente, j’entends parler beaucoup de jeunes espagnoles qui se croient à Torremolinos. L’une est carrément en soutien-gorge. Une autre n’en a visiblement pas sous sa robe de tissu fin amplement échancrée. On est en Inde, les gars… Je prends un petit déjeuner salade de fruits jus d’ananas et me fait bientôt entourer de ces oiseaux fripés et tatoués, roulant leurs tiges fines, accueillis poliment par le gérant qui saura leur dégoter ce qu’ils veulent moyennant commission. Je suis en trop.

Et il y a moi, et quelques congénères venus assister au spectacle de cette rue qui aimerait bien nous vendre quelque chose, et qui insiste. J’en profite pour me faire servir une pizza avec vue sur le lac, entracte à la nourriture indienne. Et puis aussi une bière bien fraîche servie dans un gobelet opaque. Personne n'est dupe, mais le tout est de ne pas voir. Dans cet environnement 100% végétarien, le houblon est proscrit. Comme chacun sait, le houblon sort du cul de la vache ! Alors, fermer les yeux et méditer… D’ailleurs, si quelqu’un pouvait m’éditer… Et c’est avant de partir que je viens faire mes songes, en guise de petit déjeuner banana pancake, à la terrasse de ce café d’angle. Emplacement stratégique. Voilà un défilé continuel de groupes d'enturbannés et de saris qui vont faire leurs ablutions au lac sacré. Des gens pauvres, pieds nus pour certains et de drôles de savates bricolées pour d’autres, des turbans pris dans des torchons ou serpillères. Des couples se tiennent par la main, tiens tiens… Et je n’ai pas mon appareil-photo… 

AJMER

Ajmer, 20 minutes de bus depuis Pushkar, ville très musulmane. J’attends 16 heures, heure fréquentable pour mettre mon nez dehors, question de chaleur, pour aller prendre mon bain de foule dans le bazar qui mène à la vieille mosquée Adhai-Din-Kha-Jhonpra-Atéssouè. Je prie les dieux de la Terre et ceux qui sont encore à inventer pour qu’une fatwa n’ait pas été lancée contre les voyageurs solitaires, petite soixantaine, léger embonpoint, reflex Canon vissé au poignet droit, casquette vert foncé et pantalon assorti, t-shirt rouille et flip-flops. C’est un dégueulis humain et je fais quelques beaux portraits. Je m’éclate quoi ! Dans la masse humaine mouvante, il arrive encore à passer des scooters qui klaxonnent sans discontinuer, des vendeurs de glace, de pastèques et d’ananas ur leurs larges plateaux de bois lourd. Sur les côtés défilent les vendeurs de tissus, de vêtements, d’hindieuseries clinquantes et bon marché… Dans une rue perpendiculaire, plus large, ils ont eu la place de mettre en pointillé, comme une ligne blanche de route nationale, les estropiés, unijambistes et hommes-troncs du coin pour la quémande. « Oui oui Madame, je l’ai très bien vu votre moignon. Très joli. Si si, je vous assure… Attendez, voilà Monsieur Sambra, accompagné de celui qui a les jambes en désordre… ».

Ajmer, ville musulmane, mais pas que. Elle est aussi un lieu de pèlerinage jain. Superbe temple Soni Ji Ki Nasiya Atéssouéossi. On n’en visite qu’un bout, mais quel bout. Une grande salle intérieure qu’on voit depuis les côtés est une gigantesque maquette d’or représentant des scènes de la mythologie jaine. Somptueux. Le jaïnisme est un dérivé de l’hindouisme, sans culte d’idoles, visant à respecter toute forme de vie sur Terre et basé sur cinq vœux : le vœu de non-violence, le vœu de sincérité, le vœu d’honnêteté, le vœu de non-attachement aux choses, le vœu de fidélité ou d’abstinence sexuelle. Voeuix classiques des religions utopistes il me semble.

Manger au restaurant est assez simple quand on connaît le vocabulaire des légumes, puisque c’est en général une association. Ainsi, le plat aloo ghobi est un met composé d’aloo (pomme de terre) et de ghobi (chou-fleur). Il faut reconnaître matar ou mutter (petits pois) et palak (épinards), comme l’omniprésent palak panner (carrés de fromage dans une sauce épaisse d’épinards). Et vous pouvez ajouter du Jeera (cumin) pour obtenir un allo jeera ou un jeera rice. Les kofta sont des boulettes, de viande ou de légumes, on peut avoir des aloo kofta, des veg kofta ou le fameux malai kofta (boulettes dans une sauce crémeuse épicée à volonté). Si vous êtes deux, vous pouvez facilement partager un plat tellement les portions sont volumineuses, sinon vous grossissez. J'ai pris mon parti de grossir. Un plat tourne autour de 150 à 250 rps (3 €), voire plus selon l’endroit ou la sophistication. Vous doublez la note avec une bière (66 cl). Pour les pains d’accompagnement, cela va du roti au chapati, du naan au parantha, mon préféré quoiqu’un peu gras. Pour le petit déjeuner, vous pouvez vous offrir un aloo parantha (remember aloo ?).

ALWAR

Remontée vers le nord. Alwar sera ma dernière étape au Rajasthan. La ville est située à 300 kms d’Ajmer, 5 heures 30 de train, c’est pas le TGV. En Inde, il y a une multitude de classes ferroviaires. Selon son trajet et l’heure, il faut bien choisir sa classe, et attention, les indiens voyagent beaucoup en train, il faut parfois s’y prendre à l’avance pour être sûr de pouvoir poser son popotin quelque part. On peut reprocher beaucoup de choses aux britanniques, notamment les dents en avant de la famille royale, mais ils ont développé un réseau de chemin de fer impressionnant. Aidé par un faible relief sur la majeure partie du territoire, on peut aller à peu près partout en train. Certains trains ont des trajets incroyablement longs, dépassant une journée et une nuit entières, ce qui explique des horaires impossibles dans certaines gares qui peuvent ressembler à un vaste dortoir au sol de gens qui attendent. Donc la plupart des trains sont avant la nuit, de nuit ou après la nuit. Ainsi la surabondance de places en couchettes. Il n’est donc pas rare, même en trajet de plein jour, de se retrouver sur une place à l’horizontale ! Ainsi la classe SL (sleeper) toujours surbondée et de la place pour rien, aucun rideau de séparation, pas cher. Les gens peuvent réserver une couchette pour plusieurs personnes, une famille par exemple. C’est une bonne expérience de l’Inde et de la promiscuité. Un peu mieux est la classe 3A avec 3 couchettes superposées de chaque côté et 2 superposées et perpendiculaires de l’autre côté du couloir. Encore un peu mieux, la classe 2A, sur le même principe, mais avec seulement 2 couchettes superposées, ce qui fait qu’on peut se tenir assis. C’est cette classe que j’ai prise pour mon trajet Ajmer-Alwar. On nous a même fourni un kit comportant deux draps et une serviette éponge propres. Il vaut mieux prendre une couchette du bas si on veut voir les vaches regarder passer les trains, sinon, pour les Upper, c’est le noir total. Pour les sièges simples, mais ce n’est pas toujours possible, il y a la classe 2S, banquettes sans AC, la classe CC, sièges avec AC, que j’emprunterai pour ma remontée sur Delhi… Il y en a d’autres et on s’y perd, question d’habitude. Tous les trains ne proposent pas toutes les classes, loin de là. Les horaires ne sont pas toujours terribles, mais le train est moins fatigant que le bus pour les trajets longs.

Alwar est une petite ville tranquille. J’y arrive de nuit (19h). Il faut négocier sec avec les tuktuks, qui ne connaissent pas l’hôtel que j’ai réservé. Je crois que c’est surtout qu’il ne comprennent pas l’anglais, en tout cas celui que je baragouine… Il paraît que plus de 60% des rajasthanis sont illétrés, alors l"anglais... J’y arrive tant bien que mal. Hôtel sans enseigne, au fond d’un couloir, le (jeune) patron me propose de voir la chambre avant de remplir le registre. Ca sent le coup foireux, ce qui ne m’étonne pas compte tenu du prix et de l’endroit (600 rps). Je vois la chambre, ça me rappelle mes années routardes, pas très envie, mais bon… pour une nuit. J’ai vieilli. Pour moi aujourd’hui, la chambre n’est pas qu’un dortoir, c’est un cocon, un abri, une bulle, un refuge au bruit, à la chaleur, envie (besoin) de place supplémentaire à celle du lit et de mon sac, pour écrire, pour être un minimum à l’aise… Le gars me dit que c’est plus cher que prévu pour les étrangers. Il me sort un prétexte bidon. Je ne suis pas d’accord. On annule la réservation. Je lui laisse sa chambre toute pourrie et je pars à la recherche d’une chambre correcte, à l'ancienne, en pleine nuit, en tirant mon sac de 20 kgs. Il y a quelques hôtels dans les parages. « Bonjour, avez-vous une chambre de libre pour une personne, avec salle de bains attenante, quel genre, quel prix, je peux la voir ? ». On ne parle pas l’anglais très beaucoup dans cette ville délaissée des touristes… J’en choisis une très belle dans un hôtel a priori récent pour 2.000 rps la nuit. Ce n’est pas le même budget mais j’ai envie d’être bien.

Alwar est donc une ville tranquille, les tuktuks sont électriques et pas très affolés, ça supprime du bruit. C’est a priori une ville universitaire, pas mal de fast-foods. Elle est aérée et il y a peu de circulation. Le rêve indien ! Il n’y a pas des masses de choses à voir pour le touriste, un city palace très chouette, en grande partie occupé par des services administratifs qui n'entretiennent pas les bâtiments. A l'étage se trouve un musée pas mal du tout en trois gigantesques salles, marquant la grandiloquence de la vie des maharajahs. Inévitable collection d’armes (toujours aussi surprenantes), de peintures miniatures (je me lasse) et de vêtements et objets divers, certains extraordinaires de finesse en ivoire. Je vais y rester trois nuits, et toc, rien que pour retarder mon arrivée à Delhi. Dans les ruelles qui mènent au palais, les gens qui voient passer un visiteur par-ci, par-là, mais pas plus, même plutôt moins, sont super gentils. Les namaste répondent aux namaste. Un ouvrier qui porte une trentaine de briques sur sa tête prend le temps de sourire pour la photo. Un chien me regarde tranquillement et fier sur son gros tas d’ordures. C'est juste au moment où jer me faisais la réflexion que cette ville me semblait bien plus propre qu’ailleurs. Un monsieur veut garder un souvenir de moi (selfie) avec ses petites filles et m'offre le chai. Une place entière est dévolue à l’installation d’avocats qu’on vient consulter pour des problèmes de voisinage, avec l’administration ou parce sa femme a raté le ragoût curry de la veille… C’est étonnant, ils sont une bonne centaine à attendre le client, chacun derrière sa table, muni d’un portable et d’une vieille (parfois très vieille et poussiéreuse) imprimante, un stock de formulaires et de feuilles blanches, et ça discute, et ça boit le chai…

Les étals se remplissent de t-shirts blancs, de tas et sacs de poudres aux très vives couleurs, et de pistolets en plastique propulseurs, en vue de la folie Holi (fête des couleurs) qui commence demain pour trois jours. Ça promet. Ça me fait penser au Songkran thaïlandais (fête de l’eau). Au début c’est exotique, et puis les gens commencent à s’exciter vraiment, et à la fin, tu en as juste marre d’être complètement trempé. Pour Holi, un type qui voyage avec sa fille, me disait que les jeunes étrangères n’avaient pas trop intérêt à sortir ce jour-là. Les types picolent dès le matin et perdent le contrôle. J’ai l’impression que le monsieur va séquestrer sa fille à l’hôtel ce jour-là. Ils seront à Jodhpur. Je verrai bien ce qu’il en est là où je serai.

Hôtel à Pushkar : Hôtel Tulsi Palace (1.400 rps la nuit – 16 €). Chambre correcte sur patio, grand calme. Petite salle de douche. Personnel aimable. Pas de restauration, possibilité petit déjeuner, pas pris.

Hôtel à Ajmer : Hotel Treebo Trend Siddharth (1.060 rps la nuit – 13 €). Petite chambre, petite salle de douche. Correct pour le prix. Pas de restauration.

Hôtel à Alwar : Hotel Crown (2.000 rps la nuit – 22 €). Hôtel récent. Grande chambre bon standing, salle de douche très correcte avec robinetterie impeccable pour une fois. Peu de contact avec le personnel qui parle très peu anglais. Pas de restauration.