DELHI

De bon matin, j’ai emprunté le train lalala. Alwar-Delhi 180 kms, 3 heures et demie. Ferme négociation avec le tuktuk. Premier prix 350 rps, le monsieur m’explique que c’est Delhi, qu’il y a du trafic, que des routes sont barrées et que les petits frères des pauvres… Je change d’interlocuteur et descends à 200 rps, je suis sûr qu’ils en rigolent encore quand même. Chouette grande chambre calme, pourtant en plein cœur de Paharganj, quartier très animé pour petits et moyens budgets, qui a l’avantage de se trouver près de la gare centrale de New Delhi et du métro (dont une ligne pour l’aéroport). Dans ma rue (Arakashan road), c’est une enfilade d’hôtels et de restaurants, pas qu’à touristes étrangers. D’ailleurs il y a peu de touristes étrangers. Le soir, les wine & beer shops sont pris d’assaut. Une véritable bousculade avec billets de banque tendus vers le comptoir et hurlements. Une vraie salle d'échanges. De vrais morts de soif. Stock en prévision d’Holi ?

Delhi est évidemment surpeuplée d’humains et de véhicules en tous genres. Les tentes des misérables sont jusqu’au cœur de la ville. Chandni Chokh est un magma humain d’acheteurs, de coolies, de rickshaws wallah (tuktuks à pédales), très bruyant et tellement réjouissant pour le photographe. Un chien a trouivé refuge sur le toit d’une voiture. Pas bête. En métro je pars vers le cimetière britannique Nicholson, qui n’a absolument aucun intérêt si on n’y a pas un arrière-grand-père. Il en reste malgré tout le privilège de sentir la ville vibrer à l’extérieur et d’être au calme en compagnie des morts. Pour y accéder, je traverse quelques voies larges et encombrées comme le Périph’. Il faut la technique…

Chacune de mes visites à Delhi est pour la National Gallery of Modern Art. J’y pars à pieds en passant par la Connaught Place puis la Gate of India, massif arc de triomphe de pierre blonde. C’est le quartier plus cossu, les avenues sont larges, la circulation est presque clairsemée. Je n’arriverai pas à m’ôter de la journée que nous ne sommes pas dimanche. Les uns après les autres, les tuktuks m’offrent leur service. Je ne réponds même plus. Ils me suivent un peu et redémarrent. L’entrée du musée est de 500 rps pour les étrangers, pour les étranglés devrait-on dire quand on constate que l’entrée pour les indiens est de 20 rps. Je suis très déçu par l’exposition permanente. Je la trouve vieillie, les cloisons d’accrochage sont sales, l’environnement est sombre et les lumières mal dirigées. Le tout est sans scénographie et n’est qu’une longue suite d’accrochages de tableaux sur trois niveaux.

Et puis il y a le bâtiment d’en face, la Jaipur house, rénovée et consacrée à une exposition (je pense) temporaire d’artistes indiens, les trois cousins bengalais Tandore, Jamini Roy que je découvre, lui aussi de Calcutta, Amrita Sher-Gill, indo-hongroise et d'autres. Je me la pète, mais en fait je les découvre tous. La scénographie est époustouflante dans ce superbe bâtiment, les lumières ne servent que les œuvres et des petits décors humanisent l’ensemble. Je reste au musée plusieurs heures et ça fera ma journée. J’entends dire que les mouvements sociaux reprennent en France. J’affirme ma solidarité en faisant grève de photo aujourd’hui. Et puis aussi demain. Et toc !

AMRITSAR

Delhi – Amritsar, 450 kms, 8 heures de train. Le Rajasthan est bien loin derrière, me voici au Pendjab (ou Punjab). Amritsar est la capitale des Sikhs, les turbans ne sont pas les mêmes, plus classiques. Le Pakistan est à à 50 kms et la grande ville Lahore à peine 10 kms plus loin. Je me souviens avoir crevé de chaud à Lahore, c’était l’été, il y a trente ans. Le site emblématique d’Amritsar est le Golden Temple. Je compte y dormir à mon arrivée. Un vaste bâtiment de chambres sommaires est réservé gratuitement aux pèlerins. Ça s’appelle un gurdwara. Il suffit de demander. L’accueil désintéressé est un des principes du sikhisme. Mon tuktuk, qu’à tort je ne marchande pas, me plante, « now you walk five minutes », je ne trouve pas, je ne comprends pas les explications des gens, il fait nuit, je vais à l’hôtel. En fait, ça m’arrange. J’ai plutôt envie d’un bon matelas, d’une douche et de toilettes… Le sikhisme repose sur le principe de l’existence d’un seul Dieu créateur, sans forme, sans idoles. L’idée est l’accueil, la bienveillance envers toute vie et l’égalité des êtres. Les sikhs rejettent le principe des castes. On est bien loin de l’hindouisme.

Les sikhs ont de tous temps , depuis la création de cette religion fin du XVème siècle, revendiqué une forme d’indépendance. Ce qui leur a valu d’être réprimés par les moghols, les Britanniques et même les hindous après l’indépendance. C’est d’ailleurs en représailles à un massacre décidé par Indira Gandhi pour déloger des activistes sikhs au Golden Temple que cette dernière fut assassinée en 1984 par ses propres gardes sikhs. Le Golden Temple loge donc gratuitement qui veut, mais il nourrit aussi. 100.000 repas par jour ! C’est un véritable spectacle de voir tous ces pèlerins s’asseoir en ligne par terre, se faire servir dans des assiettes en métal, nourriture, riz, chapatis, eau, puis repartir avec leurs assiettes qui sont stockées dans d’immenses bassines dans un barouf d’enfer pour être nettoyées dans d’immenses bassins, toujours en ligne, par les pèlerins eux-mêmes, ceux qui veulent… Et le cycle recommence.

Et voici le graal, le Golden Temple, en vrai. J’ai les poils, j’ai les boules, j’ai les glandes, les tétons qui pointent, les cordes vocales qui bloquent et les lacrymales pas loin du déversoir. J’ai tout ça à la fois. Peut-être aussi un soupçon de chair de poule. Je me revois avec une impression similaire à celle que j’avais eue lors de ma première visite du Taj Mahal. Quelque chose de grand, d’immense, de théâtral, de magique. Similaire pour la surprise et bien différent pour le reste. La foule est ici « religieuse », c’est la Mecque des sikhs. On est en pèlerinage, mais sans cloisonage. On se déchausse, on passe un pédiluve, on se couvre la tête et puis c’est tout. On admire. Le temple d’or lui-même est bâti au milieu d’un lac carré (ment sacré). Il étincelle, couvert de 750 kgs d’or paraît-il, dans un univers de marbre blanc. On y accède par un long ponton. Je ne ferai pas les trois heures de queue, collé serré, dans une situation peu covidienne, pour me recueillir à l’intérieur. Dans la masse, j’ai dû voir quatre occidentaux. Les gens sont adorables. Aucun ne me demande mon nom. En revanche, mon pays d’origine les questionne. Quand ils apprennent que je viens de France, ils sont émerveillés. Ça fait un bien fou à mon patriotisme pourtant bien silencieux. Il y en a bien un qui a du mal à situer sur la carte. « America ? ». Alors que d’habitude j’autorise les selfies au compte-gouttes, ici, je m’y adonne sans compter et ça me fait même plaisir. Le site est encore plus fabuleux la nuit. C’est ouvert 24/24h et c’est gratuit. Je ne vais donc pas me gêner pour m’emplir de féérie.

Amritsar, c’est aussi des ruelles commerçantes, de plus en plus authentiques à mesure qu’on s’éloigne du Golden Temple. Pittoresques carrément. Le bazar des cuivres, le bazar des articles ménagers et balais, l’inévitable bazar des bijoux, etc. Il me faudrait plusieurs jours. Dans cette ville, les hommes âgés rebondis à longue barbe ont l’air de se reproduire entre eux ! Je sais maintenant où se cachent les Pères Noël entre le 26 et le 23 décembre. Et puis tous ces petits sikhs avec leurs cheveux ramassés en chignon sur le haut du front et coincés dans un bonnet. Le créateur des télétubbies s’est inspiré !

Je découvre un autre gurdwara dans un autre temple, moins grandiose, mais bourré de ferveur. On m’y offre une crème dessert, sorte de gâteau de riz au sucre brun. C’est compact et ça se mange avec les doigts. Ça tombe bien c’est l’heure du goûter. Je n’irai pas au Partition Museum, d’abord parce que n’ai pas très envie, et ensuite parce que le prix de l’entrée foreigner est 25 fois plus cher que le prix indien (250 rps contre 10 rps) et je m'insurge avec moi-même. Je trouve que ça devient très exagéré. Comme le lieu n’est pas incontournable, tant pis pour lui. Je ne dis pas pour le Taj Mahal qui doit être à 1.200 rps l’entrée foreigners (contre 40 rps tarif indien), il est obligatoire. Et puis à Amritsar, il y a les fameux kulcha, sortes de chapati (plutôt parantha) très moelleux farcis de pomme de terre ou de légumes. Excellent dans les dhabas (restaurants sans chichi).

La frontière pakistanaise se situe à 40 kms. Chaque fin d’après-midi, c’est le show. L’impression d’aller au Stade de France (ou au Vélodrome, pour ne fâcher personne). D’ailleurs, la frontière est une vaste tribune en arc de cercle, 15.000 places paraît-il. La tribune se complète côté pakistanais, un peu moins grande. Le spectacle, puisque c’est un vrai spectacle, démarre à 16h30. Avant cela, un soldat fait office de chauffeur de salle, comme au concert, et le public n’attend que ça. Musique à fond, chants du moments, les jeunes se trémoussent, plutôt pas mal. Et le chauffeur de salle lance des floppées d’ « Hindustan, Hindustan… », et le public répond je ne sais quoi, mais toujours la même chose. Et ça y est, mes lacrymales débordent. Moi, le patriotisme des autres m’a toujours fait cet effet.

Et les dames sont invitées à venir danser dans la fosse. On ne mélange pas les genres pour éviter frottements et débordements. Et ça dure, et ça dure. Il fait chaud tout de même. Du côté pakistanais, au-delà des grilles pour l’instant fermées, ça a l’air plus sage, mais je suis loin. Les gens sont debout. D’autres demandent à ce qu’ils s’asseyent. Les gens obtempèrent, mais ce n’est pas jouable. Les gens se remettent debout, et les assis se lèvent. Il y a deux écrans géants, un clip sur l’armée, pas mal fait visuellement. Join the Border Indian Force. On vide la fosse, on a assez dansé. Et voici quelques soldats sous les acclamations, les hurlements. Depuis le temps qu’on les attend. Deux petites soldates toutes fines et rikiki ouvrent la marche et s’en vont d’un pas martial vers la grille. Suivent six autres soldats moustachus coiffés d’un chapeau en forme de crête de coq ridicule. Mais comme le ridicule ne tue pas, ils se mettent bien en mouvement, à balancer les bras et les jambes comme des pantins. Du côté pakistanais, la chorégraphie semble être la même. Ils ont répété.

Et les grilles s’ouvrent, mais aucun soldat ne va chez l’autre. Ce n'est pas un jour pour envahir. Et le chauffeur de salle continue sa harangue. Hindustan, Hindustan… J’ai du mal à interpréter ce qui se dit, ce qui se veut… Défi envers le pays voisin ? Bonne entente ? L’armée est-elle réellement faite pour la paix ? Les deux pays se disputent depuis leur indépendance, pas vraiment copains… Alors quoi ? No se. J’ai quand même l’impression que la fibre patriotique l’emporte nettement. C’est un peu longuet tout de même, et répétitif. Et les drapeaux de chaque pays sont rabattus et rapportés chacun chez soi. Pour recommencer demain…

Le retour en ville est épique. Outre les inévitables embouteillage, notre bus à double étage fait des siennes. Je me disais bien qu’il roulait comme à reculons, à la vitesse du hérisson. Il s’arrête et nous montons dans un autre bus de la même compagnie, complet comme le nôtre. Retour debout, au frais à l’étage ouvert, c’est un hop on hop off. Pas désagréable cette arrivée sur Amritsar de nuit, magnifiquement illuminée. Demain je pars. C'est le début du weekend et plus de foule risquerait de nuire à mon bien-être. Deminjeuparh à Chandigarh.

CHANDIGARH

Chandigarh, à mi-parcours entre Amritsar et Delhi, 4h30 de bonne route agriculturée à droite et à gauche. A première vue, on se demande ce qu’on est venu faire ici. A deuxième vue, on se le demande encore… Chandigarh est la capitale du Punjab (ou Pendjab). Le changement d’ambiance est total. C’est une ville nouvelle créée de toutes pièces après l’indépendance. La volonté de Nehru était de créer du bien-être, des jardins pour son Inde nouvelle, et patati et pattes en l’air. Le Corbusier, entre autres, a été chargé de cette création. Il en résulte du béton, matériau cher au cœur de la Corbuse, qui a forcément vieilli avec les moussons annuelles. On appelle cela de l’art brut, moi je dirais art brutal. La ville est organisée en grands secteurs carrés numérotés, il y en a une petite cinquantaine, chacun étant relativement sa propre ville. Les panneaux d’indication n’indiquent pas des noms, mais des numéros : 1,6 ou 42. De grands jardins et parcs émaillent l’ensemble. La ville est donc très vaste et la voiture est obligatoire. Comme c’est plat, ça doit être pas mal en vélo. Ca ne doit pas être trop désagréable à vivre, ça ne ressemble tout simplement pas à l’Inde. Je pensais y rester deux nuits, ça n’en sera qu’une. Je loge dans le secteur 17, en bordure du secteur 9.

Il y a néanmoins un très chouette Government Museum and Art Gallery, dans le secteur 10, bâti dans un gros bloc de béton comme il se doit. A l’intérieur, de très belles pièces, statuaire, peintures miniatures, peintures contemporaines, pièces de monnaie… Pour une fois, j’ai apprécié les peintures miniatures qui évitent ici les sempiternelles reproductions de maharadjahs les yeux dans le vide ou les krishna, vishnu et toute la clique. Il y en a, mais aussi des esquisses, des chevaux… la vraie vie quoi. La présentation générale est plutôt sympa, vintage à souhait, avec un mélange de béton gris et de faux acajou sombre.

L’attraction principale est le Neck Chand Rock Garden, où une sorte de facteur Cheval s’est amusé à réaliser environ 2.000 sculptures en utilisant des matériaux recyclés des villages qui ont été détruits pour construire la ville nouvelle (céramiques de lavabos, interrupteurs, pierres, cadres de vélos, etc.). Ca plaît aux indiens. C’est un circuit, au début c’est sympathique, puis on s’ennuie un peu et enfin on débouche sur ces milliers de sculptures d’animaux, d’humains, et c’est marrant comme tout. Enfin une ville où les tarifs d'entrée sont uniques. Chandigarh n'est vraiment pas sur le passage des étrangers. Sur mon chemin de retour, je décline les offres avantageuses des tuktuks et traverse à pied le secteur 4 où se sont implantées de fabuleuses bâtisses plus larges que hautes, avec gardiens à l’entrée, pour les nababs du coin. Le Corbusier peut aller se rhabiller. Vu les plaques aux entrées, la profession d’avocat paye bien. Comme chaque secteur, il y a au moins un petit centre commercial, et là, les boutiques sont assez chicosses, salons de thé et magasins bios. Je ne sais pas s’ils considèrent le projet réussi, mais ça ne doit pas être désagréable à vivre. Pour ce que j'en ai vu naturellement. Et j'ai vu très peu. Pour le touriste, une demi-journée suffit, et je ne regrette finalement pas. C'est bientôt fini, encore juste un petit effort :)


Hôtel à Delhi : Hotel Elegance (1.600 rps la nuit – 18 €). Grande chambre aveugle (j’ai préféré choisir celle-ci plutôt qu’une donnant sur la rue, évidemment bruyante) sans aucun bruit extérieur, une prouesse en Inde. Salle de douche très bien avec douche séparée pour une fois.

Hôtel à Amritsar : Hotel varinda (1.500 rps la nuit – 17€). Chambre correcte mais aveugle et très humide. Environnement très calme. Pas de lieu commun, terrasse ou roof-top. Du coup moyen, malgré les excellents conseils du patron.

Hôtel à Chandigarh : Hotel Central Park (2.060 rps la nuit – 22€). Chambre correcte avec grand balcon et vue sur l’immeuble d’en face mais assez loin. Salle de douche correcte avec, pour une fois un rideau de douche, si si.