SHIMLA


Je quitte Chandigarh, nous sommes dimanche matin, et ça ressemble à un dimanche matin. Grandes avenues vides, vastes étendues de parcs arborés et sportifs. Je me demande si j’ai eu raison d’écourter mon séjour dans cette ville surprenante. J’aurais pu m’étirer dans un parc, lire à l’ombre d’un bougainvillier, fouiller l’infouillable… La suite m’aurait donné raison.

Shimla est au nord, dans les montagnes, à 2.000 m d’altitude. C’est la capitale de l’Himachal Pradesh, petit état créé en 1966, essentiellement montagneux. Dharamsala, lieu de résidence du dalaï lama, en fait partie. Du temps béni de la          Britannie, Shimla était la résidence d’été du Vice-Roi des Indes. Pendant six mois, c’est de Shimla qu’était administré de sous-continent indien. Ah ils peuvent bien se la ramener les Britanniques après la déculottée qu’ils viennent de prendre. Ils ont même construit un petit train pour s’y rendre. Les quatre heures de bus pour y accéder, tournicotant et rebondissant sans cesse, m’ont complètement retourné l’estomac, pourtant à peine rempli d’une omelette masala du petit dej. Je suis heureux d’en avoir terminé avec les bus. J’arrive cassé, avec la désagréable surprise de constater que mon hôtel réservé n’est pas situé comme je le pensais. Il se trouve en contrebas du Mall, et les pentes sont raides, vraiment raides. Dans mon état, la remontée est un véritable calvaire. Le patron me fait un discount et annule ma réservation auprès de Booking sans mon consentement. Ça lui évitera de payer la commission et d’avoir un mauvais commentaire. Il doit pratiquer cela assez souvent, car je trouve sa note générale bien avantageuse par rapport à la qualité, l’emplacement et l’environnement de son hôtel. Je n’ai qu’une envie, m’allonger, je changerai de toit demain. Je zappe le déjeuner, et aussi le dîner. Point positif, mon budget nourriture diminue d’un coup. Si on pouvait être malade pendant toutes ses vacances, ça permettrait de faire autre chose !

Je me force à aller me balader vers le Mall qui est la Promenade des Anglais locale. Plusieurs kilomètres de long sans voiture. Dimanche après-midi, c’est plein à craquer d’une foule mélangée. Beaucoup de gens à l’aise, une société urbaine moderne qui vient ici comme on vient à Courchevel… Des marques internationales y ont installé une petite boutique (Adidas, Levis, Célio…).  La police est très présente je trouve. Beaucoup de singes aussi attendent la moindre occasion pour chaparder et manger ce qui est à portée de patte. Tout le monde en a peur de ces bestioles. Sur le Ridge, grande esplanade en bout de Mall, un couple de macaques se promène tranquillement. Les gens s’écartent. Et Monsieur décide de grimper Madame. Madame se laisse faire pendant que Monsieur fait sa petite affaire. Ça ne dure que quelques secondes. Madame n’a rien senti. Monsieur n’est pas un adepte des préliminaires, et ça n’a pas l’air d’offusquer Madame. Et comme si de rien n’était, le couple continue sa balade. Et Monsieur regrimpe Madame. Monsieur a la santé, mais ça ne dure pas plus longtemps. Monsieur doit être un éjaculateur précoce. Ni chez Monsieur, ni chez Madame, on ne sent un quelconque plaisir ou sentiment. Les regards restent vides. Et l’amour dans tout ça ?

Je vais jusqu’à la Christ Church en m’arrêtant tous les trente mètres, mes jambes ne répondent plus. D’ailleurs je reviens à mon hôtel, il est 17h, je n’en sortirai que le lendemain à 10h. Dans la nuit, la masala omelette du matin repart par où elle est entrée. Je me crois tiré d’affaire, il me faudra encore une journée zombie. Je zappe encore le petit dej. Je grimpe jusqu’à l’hôtel Varuna qui me semble bien placé en début de Mall et pas loin de la gare. J’y arrive exténué après une bonne dizaine de pauses et de vertiges. Les chambres ne sont pas encore nettoyées. Je fais affaire et demande à visiter une chambre. J’arrive dans une qui vient d’être quittée par des indiens. C’est indescriptible. Un mélange de Beyrouth et de décharge municipale. Une quantité de papiers par terre alors qu’il y a des poubelles. Tout qui traîne. En fait ils font comme ils font dans la rue. Je ne louerai jamais ma maison à des Indiens ! Je redescends chercher mon gros sac (avec terreur) le temps qu’ils nettoient la décharge qui va me servir d’abri. On croise des porteurs dans cette ville, harnachés comme des baudets, une sangle au front. Un métier de bourricot ! Cette fois-ci je n’en rencontre pas et, malgré les roulettes, mais dans mon état, je fais une pause tous les dix mètres et je mettrai une bonne heure pour m’en remettre. Je zappe de déjeuner. Il faudra bien que je me restaure un jour, mais là, pas vraiment envie de curry, de gravy, d’épicé de masala et autres sauces piquantes. Et puis il fait froid à cette altitude. Les chambres n’ont pas de radiateur. Pas non plus de clim, ni de ventilos. J’ai dormi tout habillé la nuit dernière.

Je me force à sortir encore. D’habitude j’aurais fouillé cette ville dans tous les sens, mais les perspectives de retours en côte me semblent insurmontables. Nous sommes lundi, et la foule est toujours aussi dense. On ne se préoccupe pas de moi et c’est tant mieux. Un guide me suggère une randonnée pour demain. Mon pauvre, je ne fais pas dix mètres sans avoir besoin de m’asseoir. J’achète des amandes séchées. J’en mange une, pas plus, il ne faudrait pas recommencer une indigestion ! Ça passe. J’en avale cinq ou six. Whaouh ! Et j’achète un beignet aux légumes. Je vais essayer de le grignoter par petits bouts sur un banc. Je croise mon regard avec un macaque qui a fermement l’intention de me voler mon quatre-heures et j’ai juste le temps de me réfugier dans une boutique. Je remballe mon beignet dans mon sac et je le mangerai à l’hôtel. Sur le retour, une femme crie derrière moi. Un singe est en train de vouloir lui chiper son sac en plastique. Elle résiste et gagne la partie. Sauf que c’est son mari qui l’engueule maintenant.

Bonne nouvelle, je me réveille a priori en forme. Je demande des butter toast jam. On m’apporte des butter toast et des jam toast. J’en mange deux. Infâme. La vue est époustouflante depuis la grande baie vitrée de ma chambre, le bas de la ville et les montagnes. Le temps est très clair aujourd’hui, mais pas un grain de neige sur les sommets à l’horizon. Le lower bazar est bien plus sympa que le Mall qui le surplombe, où tout est trois fois plus cher. Je me rassure en constatant que les gens du coin sont autant essoufflés que moi dans les montées. Les commerçants installent leurs étals. Les riches touristes indiens ne sont pas encore réveillés. Un marché d’épices est installé comme sur une vaste terrasse où l’air est totalement libre. Sans doute un des plus beaux marchés d’épices que je n’aie jamais vus. Et pourtant si simple. Je m’achète des chaussettes (les miennes commencent à tenir toute seules), et aussi une ceinture, et puis va pour cette écharpe. Que de beaux souvenirs je me rapporte. Les vues sur la ville, station de montagne, sont superbes. Immeubles imbriqués les uns dans les autres, toits de tôle rouges ou verts, les balcons souvent grillagés pour ne pas tenter les singes. Je me prend un chai, c’est bon signe. Je redéclenche mes photos. Je suis guéri ! Et je m’achète des fraises. C’est donc que j’étais enceinte. Pas mauvaises, peu sucrées et bien molles.

Un truc sympa à faire est de venir à (ou de repartir de) Shimla en petit train. Construit il y a 120 ans, le toy train est sur voie étroite, chaque wagon ne comporte que 30 places, ce qui permet de prendre des courbes serrées. Je l’ai pris dans la descente, mais ça me paraît aussi bien dans la montée. Il dévalle les 100 kms de Shimla à Kalka en… 5 heures. On peut descendre en route, papoter avec les gens et remonter. Enfin presque. Les deux heures de la partie haute sont superbes. Quelques arrêts où les vendeurs de nourriture font fortune. Je me jette sur un « maggi », nouilles sèches ramollies à l’eau chaude, façon Bolino. C’est ce que j’avais envie. A Kalka, changement de train pour retour sur Delhi en quatre heures.

DELHI

Je m’apprêtais à dire que ce voyage m’avait étonné par le fait que les indiens ne m’avaient pas énervé. En général, ça arrive au bout d’un mois. Et puis voilà Delhi. Tout se passe bien jusqu’à ce que j’arrive à l’hötel Elégance dans le quartier Paharganj, que j’avais réservé une semaine plus tôt en le quittant. « Je reviens le 15, même prix ok ? J’arriverai tard, ok ? ». « Ok sir, ok sir ». Mon œil, ils n’ont pas gardé ma réservation et l’hôtel est plein. Il est tard, 22h passés. Je les engueule dans toutes les langues, sauf les indiennes que je ne connais pas. Ils ne vont pas déloger quelqu’un pour moi, alors je laisse mon sac et part faire la tournée des hôtels, il y en a beaucoup dans les parages, pas mal de pourris, c’est un peu le quartier des petits budgets. Tout est complet ce soir, il doit y avoir un gros salon, un congrès mondial ou la tournée Michèle Torr ! Dans un petit hôtel, il reste une chambre (à nettoyer), le type en veut 3.000 rps la nuit, je négocie à 2.500 rps pour deux nuits. Je visite la chambre et fais demi-tour. Un autre n’a plus qu’une chambre à 5.000 rps la nuit, c’est hors budget, je tourne le dos, le type ne me rappelle pas, argh et re argh. Je fais chou blanc partout. Ca va se terminer sur le canapé du lobby de l’Elégance ça. Par dépit, je retourne à l’hôtel pourri à 2.000 les deux nuits. Pas de bol, la chambre vient d’être prise. Et puis à celui plus chic à 5.000. Idem, un type est en train de signer le registre. En dernier recours, en face de l’Elégance, j’entre dans le Dream Palace (ne pas se fier aux noms dithyrambiques des hôtels en Inde) où je plaide ma cause. L’hôtel est complet mais le type me propose de m’installer un matelas dans une petite pièce derrière le comptoir, avec toilettes attenantes et un petit lavabo fêlé. Il me demande 1.800 rps. Ils rigolent avec leurs prix ce soir, mais je suis acculé. Je lui laisse 1.500 rps. C’est assez propre, super bruyant et c’est pour une nuit. Je me réveille fatigué et de mauvaise humeur.

C’est ma dernière journée pleine en Inde. Je ne lésine pas, je prends une chambre à 4.500 rps au Baba Deluxe. La chambre n’est pas prête, sauf si je paye 1.000 rps de plus ! Je rêve. J’ai les Indiens dans la peau. Il est temps que je parte avant d’en torturer un très lentement. Je laisse mon sac jusqu’à l’heure du check in légal et pars vers le Fort Rouge. L’atmosphère est aujourd’hui laiteuse, il fait chaud et lourd. Après avoir eu froid en altitude à Shimla, je suis heureux de retrouver un climat tempéré bientôt. Grosse queue dans le métro où il fait une température de four. Dans le métro, il faut passer la sécurité comme dans les aéroports. Il y a une file spéciale pour les femmes. Ca permet de voir qu’il y a vraiment peu de femmes dans cette ville. Peu de femmes qui prennent le métro en tout cas. J’aimerais être une femme ! Et puis re la queue pour aller acheter son token (jeton qui fait office de ticket).

Le prix d’entrée du Fort Rouge est de 600 rps pour les étrangers et 50 rps pour les Indiens. Et c’est 950 rps (11€) si on veut visiter les musées qui s’y trouvent. Ça va pas non ? Cet écart à nouveau renforce ma rogne. Des guides se succèdent pour me proposer de m’accompagner. Je fais non de la main, puis de la bouche. Comme ils sont insistants, je demande ce qu’ils ne comprennent pas quand je dis non. Et puis que l’entrée est suffisamment chère comme ça. Et puis qu’il y a des explicatifs écrits et que c’est bien suffisants… Et puis d’ailleurs, vu la mine fermée que je dois avoir, comment ont-ils le courage de m’aborder ? Et comme je hausse le ton, il y en a un qui me dit que de toute façon les guides indiens n’aiment pas travailler avec des gens comme moi. Comme ça c’est très bien, chacun chez soi. Il est vraiment temps que je rentre non ? Le parc du fort qui est fort vaste et fort vert et fort entretenu me calme. Je prends mon bouquin. Je ne réponds pas aux demandes de selfies des groupes de garçons – toujours les mêmes. Je sors à peine mon appareil photo, mais c’est inintéressant. Je rentre à pieds. Et je ferme la boutique.


Hôtel à Shimla : Treebo Varuna (2.000 rps la nuit – 23€). Très grande chambre avec super vue, propre après le passage du nettoyeur. Draps sales et déchirés. Patite salle de douche parfaite avec cloison pour la douche. J’ai bénéficié d’une remise de dernière minute. Plus cher aurait été trop cher, mais ce n’est pas donné à Shimla.


Voilà, c’est la fin de mon sixième voyage en Inde. J’y reviendrai. Lors de ma demande de visa, j’ai coché la mauvaise case et j’ai demandé (et obtenu) un visa pour cinq ans. Retourner au sud, retourner à Varanasi aussi, à Hampi, comprendre Goa… Cette fois-ci, c’était un périple d’environ 4.500 kms en 45 jours effectifs. La moyenne est facile à faire. Puisque nous en sommes aux chiffres, le budget total a été d’environ 2.200 €, soit près de 50€/jour, avion compris et 35€/jour sans l’avion. La moyenne de mes nuits d’hôtels est de 17€, stable par rapport à mon dernier voyage. L’hébergement représente le plus gros poste. Puis vient le transport en avion qui a augmenté comme partout. Puis la nourriture (le premier panier de supermarché retour en France va représenter 20% du total de ma nourriture de tout le voyage !) et les transports locaux.

J’ai dû faire environ 2.000 photos, j’en ai gardé 1.500 parce que je ne me suis pas résolu à en jeter plus. Et c’est sans compter celles que je n’ai pas faites parce que je n’ai pas osé, parce que je n’ai pas eu le réflexe, par paresse ou parce que je n’avais pas mon appareil avec moi au moment de la photo du siècle. La sélection du blog, plus étendue que d’habitude, est plutôt pas mal je trouve. Mais l’Inde est un pays de couleurs, de tronches, de diversités, de bizarreries… Impossible de se louper.

J’ai aimé à peu près tous les endroits où je suis allé, j’y ai en tout cas trouvé de l’intérêt. Je suis allé dans des fiefs hindou (Mathura, lieu de naissance supposé de Krishna), musulman (Ajmer), sikh (Amritsar). Pour les jains, vu quelques temples, notamment Ranakpur, mais je ne sais pas s’il existe des villes particulièrement marquées jaïns. Pour les chrétiens (5% de la population), ce serait sans doute Goa. J’ai aimé des endroits pour des lieux à part, principalement les bazars, plus que ce qui en fait leur renommée (Chittaurgarh, Udaipur, Ajmer, Mathura). J’ai été bluffé par le Shekawati, par le Golden Temple d’Amritsar. Et même si je les avais déjà vus, j’ai été émerveillé par la majesté imposante de forts et citadelles (Jaisalmer, Jodhpur, Bundi, Amber à côté de Jaipur). Je me suis réconcilié avec Jaipur. J’ai regretté ne pas être resté plus longtemps à Mathura, et même à Chandigarh. A Bikaner, il y avait un peu de tout ça. Et puis Bharatpur, ma première étape, sa réserve d’oiseaux et la guesthouse familiale parmi les plus sympas où j’ai mangé le mieux je crois. Et Alwar pour son City Palace hors du temps. Je ne parle pas de Delhi, on y vient parce qu’on y arrive où parce qu’on en repart, c’est la folie, c’est pittoresque ou moche selon l’humeur qu’on a…

J’ai à peu près toujours été hébergé très correctement pour un prix somme toute modique (17€ par nuit). Ça revient moins cher aux couples évidemment. Je privilégie les hôtels familiaux où les patrons sont de bons conseils et recherchent le contact. Comme je l’ai déjà écrit, j’ai regretté l’absence des femmes dans l’hôtellerie. Cette dernière aurait vraiment à y gagner.

Enfin, je n’ai pas beaucoup fait de rencontres, notamment dans la deuxième partie du voyage. J’ai été étonné par l’ascendant des touristes indiens. Les touristes étrangers ne sont pas revenus à hauteur de ce qu’ils étaient avant le covid.