Sib (ou Seeb), dans la grande banlieue ouest de Mascate, marque le début de la Batinah, très vaste plaine côtière, très plate, avec les montagnes abrutes du Djebel Shams et des monts Hajar en fond de scène. La Batinah est bien arrosée de ses wadis, les mécanismes d’irrigation sont ancestraux, il y a de la verdure et c’est le grenier maraîcher et à blé d’Oman. Comme d’habitude, la ville roupille de midi à 17h. Les commerces sont fermés, hormis coffee shops et supermarchés. Ce n’est pas la saison où on est encore écrasé de chaleur, c’est donc une habitude devenue coutume. Et puis le soir, tout s’anime, Oman est très commercial, l’argent circule. Sib est agréable sans être une jolie ville. D’ailleurs, les villes omanaises ne sont pas jolies. Je n’ai vraiment trouvé du charme qu’à Nizwa, la vieille ville. Sib a une corniche agréable, un port très moyen, mais je m’y sens bien. Les boutiques de la rue principale se font une sacrée concurrence par produits : le périmètre des chaussures, les tailleurs pour hommes, pour femmes, les boucheries, et surtout les joailleries, les lumières des vitrines renvoient le clinquant. Monsieur emmène Madame (ou Mesdames) acheter colliers et bracelets. « Mais chéri tu es fou ! » - « T’inquiète Maman, le baril a grimpé aujourd’hui » 😊 Ah on aime le doré dans ce pays, faut que ça pète, faut que ça se voit… euh… sous la djellabah noire ?

Sib est au nœud des expressways, celles où on blinde à 120 km/h. Attention, il y a radar tous les 3 kms ! Moi ça va, j’ai Titine qui couine quand on la… pousse à plus de 120, pratique ! A ce propos, j’avoue avoir bien râlé ces dernières années sur l’emprise du numérique dans les voyages (cf profil). Et vas-y que je te dis où il faut aller. Et vas-y que je te dis quel hôtel il faut réserver. Et vas-y que je te réserve un taxi, que je te donne les horaires de trains, que je te donne la température, que je te donne les infos du monde entier et que je te dis où tu en es de ton ovulation !!! Les amis, le numérique est entré en moi, je passe un temps fou à comparer les hôtels sur Booking, à réserver à l’avance ou sur place (à Oman, c’est toujours le même prix en direct que via Booking… je n’ai toujours pas compris). Mais surtout, sans navigateur (Map.Me ou Google Map), je me serais perdu un nombre incalculable de fois et n’aurais tout aussi sûrement pas accédé à certaines destinations. Je ne vais quand même pas dire merci, j’ai ma fierté, mais j’admets que ça rend la vie tellement plus facile (en échange, quel temps passé sur le smartphone !!!). La 4G fonctionne quasiment partout à Oman, même dans le désert comme je l’ai déjà dit…


C’est sur la commune de Sib qu’a été bâti l’aéroport international de Mascate, et la grande mosquée Sultan Qaboos est facilement accessible, une vingtaine de kms par l’expressway. Cette dernière est ouverte à la visite tous les matins (sauf vendredi) aux mécréants. Il y a foule. Mais la visite est évidemment incontournable dans les circuits. Ca baragouine toutes les langues. Cette mosquée a été offerte par le Sultan Qaboos pour les 30 ans de son règne. Pas au RMI le sultan ! Le sultan d’Oman, c’est Louis XIV, il décide de tout, l’Etat c’est lui, il n’y a pas d’élection démocratique. Ça fonctionne comme cela. Tant qu’il y a de l’argent, les affaires du pays sont simples. Pour en revenir à la mosquée, elle est effectivement très belle et épurée, dans les couleurs crème de pierre qu’on aime ici, très vaste. Il paraît que le tapis de la grande salle de prière (qui peut accueillir 20.000 personnes, tout serrées quand même), de 4.200 m² est le 2ème tapis tissé d’un bloc au monde. 600 ouvrières pendant 4 ans. Ah ça emploie sec à Oman !

Mon hôtel à Sib, la Seeb guesthouse, 11 omr (26€) la nuit, est dans le plus pur classicisme de l’hôtellerie de classe moyenne omanaise (il n’y a pas de classe inférieure) : vaste chambre, belle salle de bains, télé, petits savons, immense lit double et propreté irréprochable. Mais aucun charme particulier. Pour moi qui recherche le rapport qualité/prix, c’est parfait. Il n’y a encore vraiment qu’à Nizwa que j’ai trouvé un vrai hôtel de charme bien placé et au prix correct.


Aujourd’hui, virée à la recherche de rien. Un objectif, la pointe Al-Sawadi, à une centaine de kms de Sib. Je longe au maximum la côte. Je ne retrouve pas hélas la qualité des plages du Dhofar et de Masirah. Impossible de se baigner pour pas mal de raisons : la mer est souvent basse, voire très basse, le sable est gris, les gens s’y promènent en famille et pique-niquent à l’ombre de leur 4X4, Monsieur, Madame (ou Mesdames) et la marmaille, tout ce monde reste habillé évidemment, la mer est pour faire joli, pas pour se baigner, les plages ne sont pas toujours très propres et bon… je n’ai pas envie. Reste que longer la mer est toujours agréable. A Barka, le fort est majestueux devant la mer, alors que son environnement est moyen, pêcheurs, baraquements, terrassements. Il est fermé pour travaux. A Sawadi, deux plages plus dorées se rejoignent pour faire une pointe. Des pêcheurs me sollicitent pour aller faire du snorkeling autour des petites îles qui font face. Trop tard pour moi. Une grosse tortue verte est échouée sur le sable (accident de ponte ?). Personne n’y fait attention.

J’ai une longue route à faire aujourd’hui. Partir plus au nord encore en faisant une longue boucle dans les terres pour voir les intérêts de la région, et revenir vers la mer à Saham. La première étape est Nakhal et son fort, l’un des plus réputés du pays. Fermé pour travaux… Décidément… Ils se ressemblent tous, mais celui-ci est réellement imposant, planté sur son vaste piton, il domine le village. Je reviens un peu en arrière, me trompe de route et passe par des toutes petites voies dans la palmeraie et j’aboutis au Bait Al Ghasham, grande demeure bicentenaire privée, impeccablement restaurée et meublée. Personne encore que moi. La visite est accompagnée. C’est Fatima qui s’y colle, timide, elle se racle la gorge en permanence, et pourtant je suis tout sauf intimidant non ? La visite est un peu récitée. L’ensemble est parfait, mais au bout du compte, toutes ces visites de monuments restaurés, forts ou maisons, se ressemblent allègrement, les chambres des maîtres, des enfants, la cuisine, la salle des ablutions, le puits, la pièce de stockage des dattes, etc. avec force vieux meubles, coffres, outils, armes, vaisselles, etc. C’est chouette mais on se lasse un peu.


Ensuite, c’est la montée vers Wakan, village haut perché bénéficiant des eaux abondantes du wadi local. Seuls les 4X4 peuvent faire des 3 derniers kilomètres très abrupts. Je vais jusqu’où je peux et continue à pieds. Les villageois me demandent si j’ai bien de l’eau ! Oups, ça grimpe sec sous le soleil et dans la rocaille et la poussière. Je compte qu’un 4X4 qui monte me prendra. Bingo, le premier est tout heureux d’avoir un frensi à bord. Conducteur omanais et 4 ouvriers indiens à l’intérieur. Comme à mon habitude, je me la ramène et leur dit que je serai en Inde dans une dizaine de jours… Heureusement qu’ils m’ont pris car je pense que j’aurais abandonné à pieds en cours de route. Et ça aurait été dommage. L’intérêt réel au sommet de la route, outre le paysage à couper le souffle, est un petit chemin de randonnée très bien fait qui suit un fadja (voie d’irrigation) le long d’un arc des monts Hajar. Nizwa est à 30 kms derrière la montagne, mais pour la rejoindre en voiture, il faut en rajouter 200 ! La vue est magnifique. Ces plaines et montagnes arides et rudes me rappellent les superbes bouquins de Roland et Sabrina Michaud sur l’Afghanistan, qui traînaient chez mes parents. J’y verrais bien s’y jouer un bouzkachi du roi (cf. Kessel).

Dans la vallée, les maisons, à peu près toutes sur le même plan, carrés de terrain enclos de murs et empilages de cubes pour les maisons, sont plus colorées que d’habitude. Dérogations sultanesques ?

Le fort de Rustaq, lui aussi immense et majestueux, est fermé car un toit se serait effondré. Ça tombe bien, j’en ai assez des forts 😊. J’en ai fort assez ! Je redescends ensuite à toute blinde sur l’expressway à 4 voies…


J’arrive vers Saham. Peu d’hôtels dans les parages et trouve tant bien que mal à une sorte de motel dont le nom est écrit en arabe, en retrait de l’expressway, immense chambre d’environ 25m² + grande salle de bains de 5m² + cuisine de même taille. La voiture est garée à l’américaine, sous un auvent incorporé au bâtiment, attenant à l’appartement. Nickel propre et au calme. Pour 13 omr (30€), on excuse l’éloignement d’un peu tout. Il me reste une demi-heure avant la nuit, je vais zoner vers la côte préservée des grandes voies routières. Immense plage avec baraquements de pêcheurs et sorte de médina basse directement sur la plage. C’est malheureusement dégueulasse. Pas mal de terrassements en cours. Des projets ? Au retour dans la nuit, de grandes résidences secondaires, comme toujours encloses, sont superbement illuminées. Je vais manger un poisson entier et riz biryani, devant le défilé de l’expressway, 2 omr. Mon budget n’aura pas été avalé par la nourriture dans ce pays. Ils ne parlent pas anglais, je vais choisir directement mon plat en cuisine.


Je n’arrive pas tellement à identifier la cuisine omanaise, le pays n’est pas réputé pour sa gastronomie, on n’y vient pas pour cela. On trouve des restaurants indiens, beaucoup, pakistanais, libanais un peu, iraniens, afghans ou yéménites, mais tout cela se confond un peu. Certains restaurants proposent même une carte de cuisines turque, chinoise, arabique, indienne et pakistanaise ! Faites votre choix. Les très nombreux coffee-shops proposent des samoussas, des salades, du biryani et des burgers (de poulet ou de bœuf).


Sur ma route vers Sohar, 40 kms plus au nord, je fais une halte baignade. L’immense plage de sable marron foncé est assez propre et vide en cette matinée. L’eau est moelleuse et sans vague, super agréable. Je dérange les bancs de petits poissons du bord, ça frétille à fond. Une épuisette, et hop, à moi la friture. Deux gros poissons (30 cms) font un saut d’un bon mètre hors de l’eau pour me souhaiter la bienvenue dans leur bocal. Depuis l’année dernière et ma piqûre de raie au pied, j’ai toujours une appréhension lorsque je viens perturber la faune sous-marine. Une importante transformation semble se faire du côté de Saham. Ca démolit à tour de bras sur la côte. Les maisons basses des pêcheurs tombent les unes après les autres. Ca sent l’expropriation à plein nez. Pour faire quoi ? Une nouvelle grande route ? Une nouvelle ville de front de mer ? Avec la très longue plage de malade qu’ils ont, moi je te bâtirais une station balnéaire huppée avec casinos à gogo, transats alignés et mojitos à volonté, concours annuel et international de châteaux de sable, festival du film joaillier et régime fiscal particulier. Les ados se lèveraient à 5 heures du soir pour se préparer à leurs vomis alcooliques de la nuit. Les hommes s’offriraient à toutes les femmes qui les désiseraient (donc la leur par défaut), on mangerait les langoustes fraîches et vivantes et ferait des paris de plusieurs milliards de bouzoufs. Ah mais là, je rêve trop d’un monde idéal. Je ne crois pas qu’ils osent et en arrivent là à Saham… L’inévitable fort, carré celui-là, est déjà bien restauré. C’est un début.

Sohar est une ville côtière très agréable, décontractée, aérée, très très propre et flambant neuve. Une zone industrielle ressemblant au Centre Pompidou multiplié par cent s’est développé autour de son port, à une dizaine de kms, créant emplois et revenus. Depuis une dizaine d’années, la ville a pris son essor. Et ça se voit. Les Emirats Arabes Unis sont à une soixantaine de kms, Dubaï à 170 kms et l’Iran à 175 kms au-delà des flots. Belle corniche, fort tout beau, belles boutiques. Comme partout un nombre démentiel de tailleurs pour hommes, de tailleurs pour dames, de coiffeurs, de coffee-shops et de laundries… mais avec des devantures plus chics et neuves qu’ailleurs. La longue plage de Sohar attire le monde en fin de journée, la mer est montante, mais encore retirée loin. C’est finalement assez joli toutes ces personnes qui se promènent en noir et blanc. J’y reste deux heures, assis sur un parpaing, plongé dans mon bouquin. Je m’aperçois qu’il fait nuit. Au restaurant ce soir, les serveurs étaient pakistanais. Le biryani de bœuf m’a bien piqué les lèvres, mais la viande était dure et immangeable. J’aurais dû prendre les brochettes que me suggérait le serveur.


C’est aujourd’hui vendredi, jour férié pour beaucoup de monde. Les migrants (mâles) bengladais, indiens ou pakistanais (impossible pour moi de distinguer les faciès) se différencient des omanis par leur accoutrement du vendredi/dimanche (à l’occidentale ou pantalons fins longues chemises que j’aime beaucoup) et au fait que n’ayant pas de voiture, ils circulent à pieds ou en vélo, font du stop. Au coffee-shop du matin, les serveurs sont des indiens du Kerala. On parle boutique encore. Le chef indien n’aime pas le premier ministre Modi (maudit ?). Normal, mon indien est musulman. Comment peut-on apprécier cette mode galopante du nationalisme dans les nations peuplées ? Celui, sournois qui édicte des lois, et l’autre, plus direct, qui épure tout simplement sous les regards outrés et passifs de la communauté internationale. Au final, je pense que j’aurai eu plus de contact avec les migrants qu’avec les omanais de souche. Mon analyse superficielle est que les omanais possèdent et font fructifier leurs business en employant du personnel immigré soumis et payé en dattes. Ce que mon confirme mon nouvel ami du coffee-shop qui est estomaqué du prix de mon hôtel, 15 omr (35 €) alors que c’est le moins cher en ville, alors que lui ne gagne que 100 omr par mois. Sa réflexion sur les omanais : « they sleep and eat ». Son patron vient chercher l’argent de temps en temps. La gestion et tout le service est assuré par les 6 indiens de l’équipe, y compris l’argent et le paiement des clients. Comme tout est en cash dans ce coffee-shop, je ne vois pas bien comment le boss peut vérifier précisément les flux. Il doit bien y avoir des arrangements en plus du salaire… Mon ami indien travaille 2 ans et retourne 6 mois en Inde. Et puis il recommence. Il a passé auparavant 10 ans en Arabie Saoudite. Il préfère les omanais aux saoudiens, a priori plus corrects. Il reconnaît que sa situation dans un coffee-shop est plus enviable que celle de ceux qui travaillent à la construction des routes et des bâtiments. Il a beau avoir sa femme et ses fils au pays, il dit être heureux de cette vie. Je ne m’empêche pas de penser, avec mes critères occidentaux, qu’elle est bien bizarre cette économie qui repose quasi exclusivement sur le travail d’une énorme population immigrée payée 3 ryals 6 baisas… Quelle durabilité ?


Au fish market du matin, les poissons sont débarqués directement depuis les barques qui accostent. Trente mètres séparent du lieu de vente. Comme à Mascate, c’est une grande halle propre. Rien à voir avec des marchés asiatiques que j’ai pu voir, où les poissons traînent par terre et où on patauge allègrement dans un mélange d’eau et de jus de poisson ! A Sohar, c’est du beau poisson, du gros ou très gros même. En poissonnerie, les gros thons sont les plus beaux 😊 Je n’en reviens toujours pas de la quantité de faune aquatique ponctionnée chaque jour (nuit) dans les mers, et ici ce n’est que Sohar et une pêche artisanale. Comment cette faune arrive-t-elle à se reconstituer ?

Journée vadrouille en voiture un peu plus au nord encore. Je pousse jusqu’à Shinas (40 kms de Sohar) en me rapprochant dès que je peux de la mer. Toujours pareil, grandes plages, abandons et destructions. Personne ne vient plus dans ces parages. L’expressway à 5 kms dans les terres fait défiler les voitures à toute berzingue. Quelques forts, toujours les mêmes, restaurés, s’imposent au milieu des maisons brinquebalantes et non entretenues. Au village d’Harmul, un artiste du coin a réalisé de beaux murs peints de personnages. Cet écart de conduite dans ce pays si lisse, est étonnant.