2 – LA VALLEE DU NIL EN HAUTE EGYPTE

Salam alaiqum

J’arrive enfin à l’hôtel après une courte traversée du Nil par un petit ferry régulier qui embarque pour l’île Eléphantine. Les femmes ont leur carré réservé à l’avant. On ne se mélange pas. Les couples font traversée à part. J’ai eu un « surclassement » sur Booking à la Kayan guesthouse pour soi-disant une Chambre lit kingsize Deluxe. On est au courant qu’il ne faut pas tenir compte des appellations magnifiées ni de la surenchère d’étoiles dans ce genre de pays. Ça fait rire. On me présente une micro-chambre avec un seul lit alors qu’il devait y en avoir deux (j’héberge toujours mon fantôme) et les photos ne correspondent pas. J’en fait part gentiment à Mohamed qui est venu me chercher sur le chemin du ferry. Il tente de m’emberlificoter mais devant l’évidence de la réservation, il me propose la chambre suivante, plus vaste. Pour le prix (11€) ça ira. J’ai petit déjeuner inclus. La salle de douche a la taille d’un WC habituel dans lequel est casé le chiotte et un lavabo. Un flexible de douche est installé entre les deux et il faut un peu d’aptitude au contorsionisme pour faire sa lavette. Le flexible fuit. Ça fera quand même l’affaire. A côté se trouve le Bob Marley Moonlight, café et restaurant, avec un rooftop vue sur la ville d’Assouan. Sur l’île Eléphantine, il y a plusieurs références au reggae, King Jamaica, Nubian dreams… pas mal de jeunes hommes en dreads, peau foncée et, s’ils n’ont pas forcément fumé la moquette, ils sont tranquilles et constamment souriants. Don’t worry, be happy.

Car Assouan est en quelque sorte la porte de la Nubie, de l’Afrique. La Nubie était un royaume à cheval sur l’Egypte et le Soudan. Le peuple nubien revendique ses traditions, son artisanat, sa culture, sa religion.  Les pharaons noirs étaient nubiens. Plusieurs villages ont été engloutis définitivement après l’édification du barrage d’Assouan. Les villageois ont été relogés et sont remontés vers le nord, donc Assouan. L’île Eléphantine, face à la ville, en est un des refuges. Il y a un musée de l’art nubien sur l’autre rive (très bien). Et donc, l’origine du mouvement rasta se trouve bien dans les parages (Ethiopie, Soudan). Ça se perpétue comme un effet culturel ici. Un peu vintage pour nous maintenant.

Un taxi, qui tente comme tous les autres de m’arracher des milliards d’informations sur le temps que je vais rester dans le coin, sur ce que j’aime ou pas, sur ma nationalité, sur ma situation familiale et/ou amoureuse, me dit d’emblée qu’il a cinq enfants. C’est beaucoup mais le pourboire ne variera pas pour autant ! Il est obnubilé par les soudanais qu’il me montre en permanence sur les trottoirs. Il trouve les soudanaises très à son goût. Je ne sais trop s’il m’en proposerait comme il tente de m’embarquer dans le soi-disant meilleur restaurant de poissons de la ville. Il me parle des excellents massages effectués par les soudanaises. Forcément un homme seul est une proie. Et les occidentaux, d’autant plus les français, sont de grands lubriques, comme chacun le sait.  Bon je ne réponds plus à ses diatribes et me contente de regarder par la vitre. Nous voici arrivés. Non je n’aurai plus besoin de ses services… Choukran.

Un autre taxi m’amène à la gare des bus. Il est professeur, ce n’est guère flagrant vue sa dégaine. Il me vante sa Peugeot 504 (ou 5) bien pourrie qui date de 1977. Mon grand-père avait un modèle similaire. Bienvenue au royaume des vieilles Peugeot déclassées.

 

Vu à Assouan :

L’obélisque cassé, tout à fait évitable si le temps est compté, d’autant que le prix d’entrée, comme partout est élevé. C’est une carrière dans laquelle un gigantesque obélisque taillé sur trois côtés git encore sur le sol. Le chantier a été abandonné car une faille est apparue dans la pierre et il n’aurait pas été exploitable. Il aurait été le plus grand obélisque connu dans le monde. Pour le transport, les bateaux attendaient la crue du Nil pour pouvoir approcher et transvaser l’énorme bloc et le transférer là où il devait aller.

Les temples de Philae, à 7 kms de la ville, pas trop vaste et très bien remonté. L’histoire est que, comme les villages nubiens, Philae allait être englouti par les eaux après la construction du barrage. Montée de boucliers dans la communauté internationale. Pardon pardon, il faut sauver Philae. Plusieurs autres sites étaient menacés tout pareil, Abou Simbel par exemple. Ladite communauté internationale a remonté ses petites manches et ouvert sa bourse pour aider l’Egypte à sauver les monuments d’importance et les transférer en lieu sûr. Ainsi de Philae qui a été découpé et remonté sur une autre île proche, mais sauvée des eaux. Pour visiter Philae, il faut 1. Aller en taxi (négociation), 2. S’acquitter du droit d’entrée (cher comme d’hab), mais ce n'est pas fini, il faut accéder à l’île. Une longue jetée bordée de marchands de souvenirs à profusion, mène aux embarcations qui sont privées et annoncent leur prix à la tête du client. Oups. How much ? 500 LE. What ? (Quoi ? je traduis). Tell me your price, et patati et patata. Comme aujourd’hui je suis un peu bougon, j’ai moins de patience. Je remonte au guichet, demande si c’est normal de devoir payer en plus du billet. L’employé est un peu contrit et va voir un type qui vient me voir et semble comprendre le bins. Il me dit être de la police touristique et que le prix normal est de 250 LE. Et il m’accompagne au bateau. Dans le bateau, le garçon qui tient la barre me demande tout de suite de ne pas oublier son pourboire ! Visite et retour en ville.

Le vieux souk est une longue rue abritée parallèle en arrière du Nil. Sympa. Des boutiques à touristes mais aussi des boutiques du quotidien, nourriture, vêtements, droguerie… C’est l’heure de sortie des pains ronds des fourneaux, il y a queue. C’est la multiplication des petits pains. De beaux étals de dattes. Je me prends des cacahuètes.

Balade dans l’île Eléphantine, des petits chemins qui mènent à divers posts de bateaux, des ruelles étroites en terre battue dans les villages. Ça se fait à pied. Plusieurs constructions présagent de nouvelles guesthouses de bon niveau. Attention les habitants, ne vous laissez pas manger tout cru… L’île est surtout agréable pour son calme. En face, Assouan est frénétique. Prendre une bière (entorse à mon janvier sobre) sur la terrasse du Nubian Dreams en fin de journée est très agréable. Le ballet des bateaux sur le Nil et les belles voiles des felouques, sont apaisants.

Le musée nubien est très bien. Belles présentations de la civilisation nubienne et de l’Egypte des trente premières dynasties de pharaons, puis l’ère des rois et reines ptoléméiques (Cléopâtre par exemple), puis l’ère romaine, puis l’ère byzantine, les coptes et chrétiens et enfin l’islam…

L’île de Sehel, comme je ne fais rien comme tout le monde, je prends un taxi jusqu’à un supposé embarcadère pour Sehel, 4 ou 5 kilomètres au sud. Le driver dit ok et demande en permanence le chemin à d’autres sur le trajet. On traverse une banlieue pourrie où la misère côtoie la pauvreté. On trouve l’endroit. Un petit bateau à rames me fait tout de suite traverser. Le soleil cogne un peu, ça doit être irrespirable l’été ! Sehel est une petite île dont on fait le tour à pied, bien qu’un tuk-tuk me sollicite immédiatement. De même qu’un « guide ». De même que des tas de gens qui portent la main à la bouche en signe de faim urgente. Quelques moments gênants. Je ne vais pas résoudre la misère du monde aujourd’hui à moi tout seul. Les gamins savent dire « ouane youro » dès la naissance en tendant la main… et en insistant grave. Chaque photo fait suite à une demande de bakschich. Je n’ai jamais donné un kopek (ou une autre monnaie) pour une photo. C’est ma seule religion. Donc pas de photo si quelqu’un est dans les parages. Je prends une maison en photo, grande et jaune. Une dame habillée en corbeau, muette sans doute, vient me supplier en meuglant en m’indiquant que c’est sa maison. Mon œil. Et puis bon, je fais bien ce que je veux non ? Une très jolie maison bleue, des dames à l’intérieur fabriquent du pain… et me réclament de l’argent. J’entre. Je suis d’accord, à condition que ce soit raisonnable et que j’en mange de ce bon pain chaud à la mie jaune. Je n’ai pas encore déjeuné. Et commencent les palabres bon enfant, grands sourires et supplications, on se chipote, on se chipote. Il faudrait que je donne à chacune me dit l’une. Elles sont quatre. Je dis d’accord, mais sans dire combien à chacune. Comme par hasard, elles deviennent six, puis sept et huit. Ah mais, c’est que je n’ai pas de monnaie moi. Je négocie que l’une aille chercher le change de mon billet de 100 LE. Elle se ramène bientôt avec une poignée de billets chiffonnés de 5 et 10 LE. Un est bien déchiré, je lui rends avec quelques autres billets, un pour chacune. Mon nom sera vénéré pour quelques temps. Et merci pour le pain. 

Les chrétiens représentent 20% de la population égyptienne. Etonnant non ? Il n’y en avait pas dans les oasis. Assouan en compte une belle communauté.  Il ne semble pas y avoir de heurts entre chrétiens et musulmans, peut-être une ou deux fois quand des chrétiens ont voulu bâtir une nouvelle église. Mais il ne saurait être question qu’un chrétien devienne président de la république. Et les mariages inter-religieux n’existent pas, ou bien c’est l’exil obligé et le reniement des amoureux par chacune des communautés. Ils vont à l’école ensemble, sauf naturellement pour le cas des écoles coraniques. Les femmes qui n’ont pas de foulard ou ne sont pas voilées sont donc chrétiennes. C’est quand même un peu le bazar chez les chrétiens. Ils sont orthodoxes, catholiques, coptes, évangélistes, protestants… Pfouh quel bordel (pardon mon Dieu !). Il faudrait que je creuse ce que sont vraiment les coptes (le nom Egypte vient de copte, mais les égyptiens n’appellent pas leur pays Egypte, mais d’un autre nom que je n »ai pas retenu). Un type m’a dit qu’il était né orthodoxe mais avait choisi de devenir protestant. Il trouvait que bien des préceptes actuels orthodoxes ou catholiques n’étaient pas de la parole de Jésus (celui qui croit qu’il marche sur l’eau quand il a trop fumé ?), que les prêtres ont pris trop de pouvoir à dire il faut faire ci, il faut faire ça… Ils ne vont pas se mettre à imposer la charia eux aussi hein ! Donc il a protesté et est devenu protestant.

DEJe pars pour Abu Simbel, à 300 kms d’Assouan au sud, aux confins du lac Nasser et de l’Egypte. Le Soudan est à moins de 30 kilomètres. Je prends le bus public matinal de 8h. La plupart des touristes, s’ils ne viennent pas directement en avion du Caire, font l’aller-retour dans la journée, prennent un van collectif affrété par les agences et les hôtels. Ça leur coûte entre 25 et 30$ l’aller-retour. A moins d’avoir le temps très compté, je ne le conseille pas, ça fait partir très tôt et arriver trop tard (lumière). Mina, mon guide dans les oasis du désert m’avait dit qu’il n’y avait pas de bus public. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à douter de la parole sainte de Mina. A mon hôtel d’Assouan, Mohammed avait bafouillé que peut-être, mais pas bien, que les horaires n’étaient pas fixes… Balivernes. De toute façon, pour des gens comme moi qui veulent rester dormir à Abu Simbel, il faudrait mettre le double du prix, soit 50 à 60 $. Et vous avez vu la marmotte ? Le bus public marche très bien, il coûte 2,5€ le trajet (faites le calcul), il file tout droit sur la route sans virages et ne s’arrête qu’une seule fois pour le pipi thé. C’est le désert total. 3h45 de route. L’environnement est invariablement jaune de sable clair. De temps en temps des monticules plus sombres disséminés, comme des étrons d’extraterrestres, des terrils ou des pyramides, selon l’inspiration qu’on a sur le moment où on y pense. Vers la fin du trajet on trouve d’étonnants grands cercles de cultures vertes, du trèfle certainement. Ce doit être cette nouvelle zone agricole rendue possible dans le désert par la dérivation de canaux depuis le lac Nasser. La forme arrondie des champs est due au bras tournant des arrosages, comme pour nos champs de maïs.  Le lac Nasser était le plus grand lac de barrage du monde. Les chinois ont pris le leadership, comme de plus en plus sur n’importe quel sujet.

A ce propos, je suis le seul étranger dans le bus, mis à part un jeune couple de… chinois. Ils viennent de Shanghai. Ils arrivent vraiment à voyager seuls maintenant. Et il a dû y avoir une promo sur les vols ! A un restaurant d’Abu Simbel où je vais déjeuner, plusieurs tables sont remplies de… chinois. C’est l’invasion. Ils se sont gourrés, c’est pas Taïwan ici ! 

J’ai perdu mon dermophil indien, la guigne, c’est bien ballot.

J’achète trois paires de chaussettes au souk d’Abu Simbel, prix annoncé trois fois moins cher qu’au souk d’Assouan. Comme c’est bath, c’est épatant !

Je n’aime pas trop les falafels au petit déjeuner, quelle infortune.

J’ai une ampoule au talon gauche, elles sont nulles ces baskets. Trop de déveine. 

Il fait chaud ici, le soleil cogne en pleine journée. On vient de descendre en-dessous du Tropique du Cancer. J’inaugure mon bermuda. Je dois être le seul, mécréant, à la ronde, à exhiber mes jolies gambettes. Le petit village d’Abu Simbel sent la pauvreté à plein nez. Quelques bateaux de pêcheurs devant les maisons basses de terre et beaucoup d’ordures. C’est un peu affligeant alors qu’ils voient passer des cars entiers de touristes déversés devant le temple où l’entrée est encore prohibitive (pour les non égyptiens et non arabes s’entend), et qui ne viendront pas mettre un doigt de pied dans leur souk pathétique. 615LE (pourquoi 15 ?), soit 18€. Je reviendrai plus tard sur la grosse arnaque des prix d’entrée de tous les sites et musées et de l’écart de prix avec celui des locaux (5 à 20 fois moins). Ça n’a pas de sens. C’est comme si on mettait Rachida Dati à la Culture, on ne comprendrait rien… Ah bon c’est fait ? Ce monde tourne vraiment sur des angles carrés !

Abu Simbel se visite de bon matin, au lever du soleil, 6h30, pour avoir la belle lumière. Après, c’est tout écrasé et inintéressant pour les photos. Nous sommes quelques-uns, pas mal de français dans le lot, cocorico, un peu âgés, haricot rikiki. Pas encore les chinois à cette heure matinale. Il y avait longtemps que je n’avais pas vu autant de Reflex d’un seul coup. Les gens sont avertis de la lumière. Ca sent les soirées diapos ça ? Alors Abu Simbel, SUBLIME, c’est une anagramme presque parfait. Abu Simbel est l’un des sites déplacés du fait du barrage. Abu sauvé des eaux. Découpé et remonté, c’est le cas de le dire, 65m plus haut. L’opération a eu lieu dans les années 60. Il y a deux temples, celui de Ramsès 2, avec quatre statues maousses à l’entrée, Ramsès, sa femme, sa mère, ses frères et ses sœurs, ohoh, ce serait le bonheur. L’image est connue. L’intérieur est magnifique. L’autre est dédié à Nefertari, la meuf à Ramsès, les statues sont plus petites (une femme, c’est normal au pays des pharaons). Le site n’est pas très vaste mais on fait des kilomètres pour voir cette merveille. Quand je quitte le lieu vers 8h, c’est un ballet de vans et cars touristiques. Moi je vais prendre un thé au souk.

Retour en bus sans encombre. Toujours le seul occidental. Les chinois sont moins nombreux. Ils étaient deux à l’aller. Il n’est plus qu’un aujourd’hui (mais il occupe deux places). 

Je réserve deux jours et nuits en felouque, au gré du vent et du courant vers le nord dans la direction de Louxor. Je suis seul dans une felouque qui peut contenir douze passagers. J’ai trois boys pour moi tout seul. Ahmada, 64 ans, dit le Capitaine. Ibrahim, 28 ans, le capitaine en second, il fait aussi la cuisine. Rachid, 20 ans, le mousse à tout faire. Autant Ahmada est maigre et marqué, autant Ibrahim est rond, la peau tendue et jovial en permanence. Ils sont tous trois nubiens et catholiques. Catholicisme, religion monothéïste direz-vous ? Que nenni, il y a un deuxième Dieu au-delà de la trilogie habituelle, c’est Bob. Would you like to listen to nubian music ? Et vlan, voilà tout le répertoire de Bob Marley. Ca me va, ça me rappelle ma jeunesse. Et d’ailleurs, King Bob avait bien raison. Nous sommes quatre hommes à bord, pas de femme et pas de cris 😊. Quatre garçons dans le vent, et le vent est bien léger. Mais bon, Jamming en boucle, euh…

Le Nil est un des plus longs fleuves du monde. 6.700 kms. Il prend source en deux endroits différents. Le Nil Blanc au lac Victoria (Ouganda, Kenya, Tanzanie) et le Nil Bleu en Ethiopie. Les deux Nil se retrouvent à Khartoum (capitale de l’Ethiopie) et forment le Nil Bleu ciel haha. Les crues annuelles ont été domptées par la construction de barrages. Finies les cataractes qui faisaient les frontières des peuples. Un nouveau barrage, construit en Ethiopie (avec capitaux chinois) fait l’objet d’une polémique avec l’Egypte qui craint que son quota d’eau établi par des contrats vieux comme mes robes se voit réduit. L’affaire est dans les mains des Nations-Unies. On est sauvé.

Il y a différents bateaux « de croisière » sur le Nil. La felouque (voile), les dahabiahs (bateaux plats avec cabines, de taille raisonnable) et les gros bateaux à cinq étages qui chargent les groupes et polluent un peu le paysage. La felouque est évidemment la moins rapide, 20 kms par jour, il faut compter avec le vent bien inexistant aujourd’hui), sa direction qui fait tirer les bords et allonger la distance, et le courant. Il y en a du courant, il est doux mais visible à la vitesse des plastiques qui flottent. Ils sont hélas nombreux. Arrêt café en bord de sable, à côté d’extracteurs de sable. Le sable est gratuit en Egypte mais il faut payer le transport. C’est un café nubien, préparé pour moi sur la braise. C’est tout un truc. On a tout perdu avec nos capsules. Café en grain blond brûlé dans un pot sur la braise, puis pilé, additionné de cardamome, clous de girofles et cannelle, et rechauffé après addition d’eau. C’est strong mais bon. Du sucre si on veut pour déamerturiser.

A ce rythme, du temps, j’en ai. Les berges défilent lentement, vertes entrecoupées de bancs de sable, plamiers, papyrus, cannes à sucre… Peu de population pour me faire coucou comme si j’étais la réincarnation du Dieu Horus. On ne les a pas prévenus, je suis incognito. L’équipage me laisse tranquille, je lui en sais gré. Alors je lis. Je viens de terminer mon livre en cours, L’immeuble Yacoubian d’Alla El Aswany, chronique des habitants d’un immeuble du Caire (montée de l'islamisme, corruption, mariages, condition des femmes...). Et je pense aussi. Je pense que mes pantalons de voyageur se sont agrandis. Ou c’est moi qui ai perdu quelques tours de ceinture. Je deviens épousable. Ne le dites à personne. Comme m’avait dit une bonne amie, ce n’est pas la taille qui compte et nous avions pu continuer à nous fréquenter. Une autre m’avait déclaré qu’elle ne se satisfaisait que des grandes tailles et, pour une raison que j’ignore, alors que je mesure un bon mètre quatre-vingts, nos relations intimes avaient cessé, à peine commencées. Je n’ai pas bien compris ce qu’une hauteur ou un tour de taille venait faire à ces affaires. D’ailleurs ai-je bien toujours compris la diversité des pensées des femmes ? Sur la question des femmes en Egypte, elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes, plus que les 51/49 en général admis. La raison en est que, surtout chez les musulmans qui sont très reproducteurs, on peut faire plusieurs filles avant d’avoir enfin un garçon. Garçon Dieu Roi. A moins on ne eles élimine pas à la naissance (ou avant) comme on peut le constater en d’autres endroits. Ca pzeut kleur poser problème à ces femmes en trop qui ne trouvent pas de mari, car il ne saurait être question d’avoir des enfants (si ce n’est de relation sexuelle, en dehors du mariage. Voilà, je pense pendant mes voyages. Je pense à des choses qui n’ont rien à voir avec les voyages en question. Je me recentre…

Pour la nuit, j’ai toute la plateforme (une trentaine de m²) pour moi, 2 couvertures car la température baisse vite. Je m’aperçois au matin qu’Ibrahim et Rachid sont venus me rejoindre. C’est bon, il y a la place.

Ibrahim me demande si c’est vrai que Monaco est la plus belle ville de France. Euh…

Nous poussons jusqu’à Kom Ombo qui n’est pas un inspecteur. C’est un temple renommé installé au bord du Nil et qui a la particularité d’être dédié à deux divinités, Sebek (à tête de crocodile) et Haroréis (avatar d’Horus), à tes souhaits… Pas très grand, un peu pillé, beaucoup de pierre ont servi à d’autres constructions. Je le trouve évitable compte tenu de la profusion de temples dans ce pays. Nous revenons établir le camp à Daraw, mais comme il n’y a plus de vent et que nous sommes à courant contraire, nous faisons appel à un petit remorqueur.

Je quitte ma bande des trois et rejoins Hyndra et sa jolie voiture qui m’attend sur le quai. Nous traversons Daraw au petit matin, ville typique un peu fantôme entre destruction et construction, on ne sait parfois pas trop faire la différence. Gaza doit ressembler un peu à ça. Daraw n’est pas un camp de concentration, ne confondez pas ! Enfin, ça dépend pour qui. Il est le lieu, deux fois par semaine, d’un grand camel market, marché aux dromadaires. Alors là ça me plaît. Des dromadaires, il y en a assez peu aujourd’hui, mais on vend aussi des ânes, des veaux, des vaches, des moutons et leurs petits. Il se rassemblent des milliers d’hommes et presqu’autant de turbans. Je n’ai vu que trois femmes, dont deux qui m’ont tendu la main, la paume tournée vers le ciel, avec toute la misère du monde surjouée dans le regard. Quelques enfants demandent de l’argent mais sans trop insister. Je suis content d’être le seul blanc bec jusqu’à ce que je croise un groupe de touristes assez voyant. Ca parle français, je suis poli, je dis bonjour. Je ne reçois en retour que des regards condescendants ! Comment voulez-vous que nos étrangers s’intègrent si même entre nous, nous nous (nounounou) défions ? Ces gens doivent surtout être stressés de se trouver dans un milieu qu’ils perçoivent hostiles. J’admets que ça peut impressionner.

Il faut réussir à s’extraire des ondes négatives dégagées par l’objet du lieu, les animaux en plein stress, entravés, parqués, dont on reluque brutalement la dentition pour voir si le brossage est régulier, battus si indociles. Deux moutons, un dans chaque main de l’homme, sont traînés par les oreilles, ils hurlent évidemment. On verra bien quand les moutons auront enfin assis leur domination sur l’humain, on rigolera moins, on sera moins malin… Je me pose , j’attends qu’on ne fasse plus attention à moi, et je mitraille. Ou bien j’entre et me frotte à la foule des vendeurs et des acheteurs, je demande à photographier, personne ne refuse. Je suis inondé de sourires. Hyndra doit s’impatienter dans la voiture.

On s’en fout, c’est son job. Conduire et attendre. Je réalise qu’en voyage, ce sont des endroits comme ça qui font mon bonheur, bien plus que le temple d’Edfou que nous allons voir ensuite. Et pourtant il est magnifique. C’est le troisième plus vaste d’Egypte. Il est surtout bien sur ses pattes, qui sont d’immenses piliers rapprochés, terminés comme souvent par un évasement de pierre façon fleur de lotus. Les murs surtout sont d’une richesse de hiéroglyphes et haut-bas-reliefs représentant des moments de la mythologie égyptienne, des dieux et des pharaons. Ce qui m’étonne surtout est qu’en plusieurs endroits, la couleur ait subsisté au temps. On parle ici de plusieurs milliers d’années. Les guides en font des tartines sur chaque tableau. C’est éminemment intéressant. Moi, tout seul, je vais plus vite, à tort peut-être. Et on file vers Louxor. C’est parfois en parallèle le Nil, une bande verte agricole, la route, la voie de chemin de fer et enfin le désert, en frontières très nettes.