Cher tous,

J’ai la plume qui soudain me démange, vite trouver une oie peu farouche et profiter de cette porte ouverte pour sortir les pensées quand d’autres sortent leur chien. Revenir en arrière. Ce que nous vivons est tellement prégnant que nous oublions vite un passé éloigné de quelques semaines seulement. Déverser un trop plein de colères et d’incompréhensions, donc du cynisme qui paraît-il me caractérise. La France n’est pas une garderie d’enfants. Le « pouvoir » exécutif l’oublie trop souvent…


Mercredi 11 mars, il y a 3 semaines, une éternité, je m’apprête à quitter le Gujarat que j’aurai passé un bon mois à découvrir, vers le nord, vers le sud, vers l’ouest. Déjà des noms s’estompent. Ces villes aux sonorités similaires où on intervertit facilement les nagar, les abad, les pur, et nous voilà parler d’une autre avec accent approximatif… Malentendus. Petites ou moyennes, mais à la démesure indienne elles sont bruyantes, malodorantes, défoncées, excitées et soumises à la fois. Aux rituels, aux croyances, aux obligations de castes, à la famille, aux trafics, à ceux qui décident, à la survie…

Et voici la petite merveille qu’est l’île de Diu, havre de paix, exclavée du Gujarat, jolies plages de sable et crustacés sur les marchés. Pour la première fois, on m’y confronte au Coronavirus en me questionnant sur ma date d’arrivée en Inde, ma date de départ de France. Je suis dans les clous. Il n’y a pas de raison. Parti depuis plusieurs semaines, je ne suis pas importateur de mauvais malin. On ne me demande qu’une déclaration sur l’honneur, date de visa à l’appui tout de même. L’Inde administrative commence à se préoccuper pendant que l’Europe étonne son monde par la soudaineté de l’expansion et son incapacité à la freiner. L’Italie est déjà dans le collimateur, la Chine évidemment, la France pas encore, elle est juste citée au même titre que l’Allemagne, Taïwan et la Corée du sud. Vu d’ici, c’est bien loin. La France, avec son impeccable compétence médicale saura gérer. Je peux continuer à rêver mes périples indiens. L’Inde est fascinante, parfois attachante, très souvent surprenante. Le voyageur, plus qu’ailleurs sûrement, doit lui-même trouver ce qu’il est venu chercher. Et puis voilà Bhuj, la capitale du Kutch qui me déçoit. J’ai déjà la tête ailleurs, je suis sorti de mon présent. Me revoilà planificateur de voyage, j’ai (trop) lambiné à prendre mon temps, il me faut accélérer et je suis maintenant trop en désir de Rajasthan, à portée de bus. Je n’approfondis donc pas ce coin d’Inde aux confins du Pakistan. Les distances sont longues, les routes pas terribles, les points d’intérêts très éparpillés, à peine visibles et décevants parfois (« toute cette route pour ça ? »). J’exprime mon droit de retrait pour filer plus au nord, vers ce Rajasthan dont je prévois un bon mois de (re)découverte.

L’Inde n’est officiellement pas touchée par le virus. Il y a certes cet étudiant testé positif à son retour de Chine au Kerala, et puis ce car de touristes italiens, appréhendé au Rajasthan, les occupants sont tous testés positifs et envoyés à Delhi pour la révision quarantaine. On parle d’autres cas au sud, bientôt au Maharashtra que j’ai quitté quelques semaines plus tôt. Pas de mort officiellement. Pour autant, adepte de gigantesques rassemblements, il n’y a pas de raison que l’Inde soit épargnée. On sait tous déjà que l’Inde, comme tant d’autres nations, ment tant qu’elle peut dans ses chiffres officiels. La Chine avec son histoire de pangolin, pauvre espèce en voie de disparition, accusée très certainement à tort pour masquer la folie humaine, 3.000 morts ? On rigole maintenant qu’on connaît les dévastations européennes. l’Iran aujourd’hui curieusement bloquée à 3.000 morts, là où pourtant le confinement est difficile à gérer, où les conditions sanitaires sont bien dégradées. La Russie sûrement. Le Brésil emboîtera le pas de cette vaste rigolade médiatique. Finalement, seules les « vraies » démocraties parlementaires ont la faiblesse de leur transparence et comptent avec régularité le morbide au quotidien, à l’appui de tableaux et ratios. Les médias relaient sans cesser. L’Inde, impréparée et impréparable, semble pour l’instant en dehors du jeu, au moins rien ne se voit encore dans le quotidien, rien qui puisse inquiéter. Lâchement, ce serait bien de laisser la situation s’arranger en Europe, et puis rentrer tranquillement.

Dans ma tête de mule, un cas logistique se pose. J’aime bien les coups d’avant. Cela m’a souvent empêché de profiter de l’instant présent. Le voyage au long cours est mon médicament. Apprendre le temps ! Pas la gestion du temps comme on l’enseigne dans les formations professionnelles où c’est l’efficacité qui prévaut. Le temps qu’il faut apprendre à étirer, à combler de silences, parfois d’ennui et de vide, d’intensité contemplative. J’y arrive presque, c’est un travail de très longue haleine. Et tous les matins, je n’ai plus aucun mal à me rendre à ce travail ! En France, ma maison a des locations prévues jusqu’au 21 avril. Je prévois donc un vol de retour à cette date, après ce serait abuser. Je n’ai pas encore de billet de retour. Ce sera vraisemblablement sur Air India, qui a un vol direct quotidien et de jour pour Paris si je dois partir d’ici. C’est parfait. Cela me laisse la possibilité de rester, ou de partir si j’en ai marre pour aussi aller cuire ma peau ailleurs, en Thaïlande sûrement. Pour l’instant, j’ai des occupants jusqu’au 21 mars. Compte tenu des développements de la crise virale, les décisions commencent à s’emballer ici et là. Des pays se ferment aux voyageurs en provenance de France un à un, ou promettent d’inconfortables quatorzaines au retour. Il me paraît maintenant évident que les deux locations suivantes, entre 21 mars et 21 avril, ne seront pas honorées. Mais je dois en avoir confirmation pour ne pas risquer, le cas échéant, de me retrouver coincé et sans domicile fixe si je dois revenir en France de façon anticipée. J’interroge mes deux locataires potentiels sur leurs intentions réelles. Pour leur forcer la main à me répondre, je leur propose une annulation complète et sans frais s’ils annulent à très court délai. J’ai bien fait et les événements ultérieurs (quelques jours après, à peine) me donneront raison. Les locataires se désistent et me remercient pour mon offre. Je soigne mon image, pas comme ces compagnies aériennes qui balancent des coups de com dans l’eau ! Réflexion compréhensible plus bas… Qui sont-ils ? Une famille française expatriée au Qatar, et qui a peur de se voir interdire la réintégration de son logement qatari à l’issue de la location. Et une famille péruvienne qui ne souhaite pas exposer l’ensemble de ses membres, dont des enfants, à l’épidémie. Si je perds des revenus, qui vont donc moins compenser mes frais de voyage, me voici libre. Libre de rentrer avec l’assurance d’un logement quand je le souhaite après le 21 mars. C’est ce que je voulais. Me voici libéré d’une incertitude, ça me rend plus à l’aise. Je propose néanmoins un prolongement, sous conditions des déroulements à venir, à mes locataires en place, les sachant désireux pour cela. Leur propre maison est en travaux que les événements ont ralenti. Je suis encore naïf et grippe-sou. Ils refuseront, heureusement, ils se débrouilleront dans une maison inachevée mais habitable.

Alors me voici arrivé en bordure du Rajasthan, dans la station de Mount Abu, à 1.000 mètres d’altitude. Nous sommes le jeudi 12 mars, il est 5 heures du matin, Mount Abu roupille dur. Le bus de nuit m’a vomi dans le noir et le glacial, 7 ou 8 degrés, pas plus. Les hôtels sont bouclés et je me résigne à patienter dehors. J’attrape un léger coup de frais que je traîne encore aujourd’hui, trois semaines plus tard. J’ai eu vraiment froid, mal équipé, deux fois dans ce voyage, dans un désert d’Oman lors d’une nuit venteuse sous la tente, et ici en Inde, au Rajasthan où pourtant les températures de jour commencent à grimper jusqu’à la saison de mousson. Je continue depuis à tousser de temps en temps et à avoir une petite gêne respiratoire, entretenue par la non prise de médicaments. Ce n’est pas grave, c’est d’ailleurs habituel dans mes voyages en Asie, souvent pris par la soudaineté d’un vent frais s’infiltrant sous t-shirt et bermuda ou la violence de l’air conditionné subit et que je déteste. Pour ôter toute ambiguïté avec des symptômes covidiens, je reviens de la pharmacie, armé d’une boîte de Doliprane (on n’en délivre pas plus d’une par personne) et de sirop pour la toux. Il n’y a plus de thermomètre disponible. Ma main sur mon front suffit à me dire que la température est correcte, comme un doigt mouillé pour le sens du vent.

Je passe deux jours tranquilles à Mount Abu au bord de son lac, à bouquiner à l’ombre des jeunes filles en fleur et du côté de chez Swan. J’en ai pour des années ! Pas un touriste. Je n’ai pour l’instant pas envie de surseoir à la fin de mon voyage au Rajasthan, qui se profile comme un graal. Ca va être véritablement jouissif. Ce n’est donc pas encore d’actualité bien que je commence à m’en préoccuper. Ça va bien tenir un petit mois encore cette affaire, non ? J’y crois encore. L’Inde semble encore ok, j’aurai toujours le temps d’attraper un vol de retour s’il le faut.


C’est à Udaipur, où j’arrive le samedi 14 mars, que je prends conscience de l’exponentialité des événements. Les morgues se remplissent en Italie, l’Espagne suit le mouvement. Et la France, oulala, déjà 1.000 cas et quelques dizaines de morts. J’en reste encore aux comparatifs avec une grippe saisonnière, dont je lis qu’on estime 80.000 décès par an, donc pas trop d’alarme, mais c’est maintenant la situation en Inde qui m’inquiète.

L’Inde est particulièrement nationaliste, son dirigeant Modi est bien dans la mouvance des dirigeants actuels des grands pays. Quelle que soit l’affaire, elle n’hésite pas à trouver des boucs émissaires à ses problèmes s’il le faut. Il est mieux que ce soient des groupes affaiblis dont l’extinction chagrinerait peu de monde. Ce qu’il faut faire pour retrouver le calme... Des extrêmes de tous bords, hindous ou musulmans, hésitent rarement à s’en prendre physiquement à ceux prétendument fautifs. L’Inde est imprévisible et irrationnelle, les mouvements de masse peuvent être redoutables. L’ambiance actuelle est à l’éviction des musulmans, la belle affaire ! Le pouvoir en place de Modi n’est pas étranger aux débordements. Il laisse commettre les exactions de la police. Nos petites matraques parisiennes de certains mois de mai sont des amusements pour enfants. En ce moment, ça se castagne du côté de Delhi. Des intégristes hindous vont commettre quelques lynchages dans des quartiers musulmans, pour on ne sait quelle raison. La police regarde. La population s’émeut à peine, c’est courant. L’Inde est surtout un pays surpeuplé, les conditions d’hygiène sont plus que légères. On considère que 30% de la population est migrante de l’intérieur (à Ahmedabad, le sbire de ma superbe guesthouse venait d’Udaipur, sa femme et son fils étaient là-bas…). Le travail fonctionne en majorité en économie de l’ombre. La majorité des indiens vit au jour le jour. L’Inde a une structure sociale très complexe et fragile. La valeur humaine n’est pas la même qu’en occident. Bien qu’on innonde de fleurs et de dons les divinités pour se protéger de ceci ou cela, le fatalisme règne en maître. Un grand nombre ne mange pas plus d’une fois par jour (heureusement qu’ils sont en majorité végétariens) et n’a pas accès direct à l’eau potable. La presse commence à stigmatiser les occidentaux, apporteurs du virus. Le fait est certainement réel. Il faut bien qu’il vienne de quelque part ce virus. D’un pangolin de zoo peut-être ? Haha. Au Royal Palace d’Udaipur, je rencontre un jeune couple, de Nantes je crois. Ils viennent d’arriver. Je m’étonne de leur présence car Modi a annoncé la fermeture des frontières à tout visiteur étranger. Ils semblent être arrivés in extremis. Je leur signale que, même s’ils semblent bien portants, ils sont peut-être porteurs du virus et que leur venue est inconvenante. « Ah mais vous comprenez, ce voyage nous a coûté tellement cher… ». Les comportements sont inconsidérés et mènent à là où on est. Et pourquoi, alors que beaucoup plus proches, les chinois n’ont pas contaminé massivement l’Inde ? L’Inde et la Chine sont en tension permanente. Compétiteurs de qui aura le plus grand nombre d’habitants, ils se regardent en chiens de faïence pour une influence de zone. On ne voit donc pas beaucoup de chinois en Inde, comme vraisemblablement pas d’indien en Chine, sauf peut-être cet étudiant... Les journaux commencent à s’emballer et les rumeurs se répandent. La poudre est moins rapide ici que les paroles et les écrits. Et aussi les croyances.

A Udaipur, que je retrouve après 12 ans, je m’étonne de ne pas voir déambuler de groupes de touristes (et c’est tant mieux). L’analyse est simple, les tour-operators ont annulé les voyages dernièrement. Ne restent quasiment que les voyageurs au long cours comme moi. C’est plutôt agréable. J’avais détesté la surenchère touristique lors de mon premier passage. Je reste quatre jours pleins à Udaipur, hébergé dans une très agréable guesthouse dont la terrasse de toit donne sur le lac. Les hôtels, nombreux, sont vides. Les marchands de bibelots, gravures et artisanat en tous genres, de qualité acceptable (mais toujours négocier au moins la moitié du prix annoncé) font un peu la tête. Ils comprennent parfaitement que la saison touristique va se terminer plus tôt que prévu. La machine est enclenchée.

Je revois mes plans. Le 21 avril est loin. Beaucoup trop loin. La situation ne se maintiendra pas jusque-là.  Terminé l’angélisme. J’élimine définitivement la Thaïlande de la fin de mon programme et réserve un vol Air France pour Paris le 9 avril. En effet, Air India vient d’annoncer qu’elle interrompait tous ses vols vers la France (entre autres) à partir du 24 mars. C’est chaud… Pour le retour, je préfère un vol direct. En général, il y en a trois possibles : Air India par vol de jour et Air France et KLM (via Amsterdam) par vol de nuit.

Et puis cela s’enchaîne. Une rumeur (qui s’avérera fausse, mais finalement sensée) se répand, et de bonne foi, je contribue à la répandre. Les touristes étrangers seraient priés de quitter le territoire indien avant le 29 mars. Il me semble évident que l’inde se prépare à l’arrivée du virus et ne veut pas avoir à gérer les touristes, ni avoir dans les pattes des observateurs qui viendraient contrecarrer les plans de communication officiels. Je ne suis pas naïf. Vu comme ils n’hésiteront pas à traiter les touristes plus tard, ils n’en ont rien à faire des touristes. Mais il vaut mieux qu’ils ne soient pas là. En revanche, ce qui est vrai, est que du jour au lendemain, l’Inde ferme au public tous ses monuments nationaux payants. Le Taj Mahal est fermé, idem pour les musées, les forts, les anciens temples, les palais… Très clairement, le tourisme n’est plus une priorité. Touristes de l’étranger, partez ! Là on comprend mieux… Il me fallait sans doute ce déclic pour réaliser que mon parcours est définitivement bouleversé. Je n’aurai pas la possibilité de revoir le fort citadelle de Jodhpur et la magnifique vue qu’on en a sur la ville bleue, celui d’Ajmer, de Bundi, de Jaisalmer… Ce voyage n’a plus d’intérêt. D’une certaine façon, ça me libère de mes hésitations. Mais de fait, quand partir ? Tout de suite je ne peux pas, je n’ai pas encore de maison disponible. Alors quelle limite se donner ? Air France, sur son site de réservation, annonce que les frais d’annulation seront nuls compte tenu des circonstances particulières dues au covid-19. Ouf, j’annule donc mon billet du 9 avril. Il s’avère cependant, quelques pages plus loin, que la compagnie ne rembourse pas… mais propose un voucher nominatif pour le montant du billet valable pendant un an sur Air France ou KLM (la destination n’est a priori pas imposée). Je trouve l’effet de com (ne pas annoncer l’astuce en première page) un peu gonflé, d’autant que je ne voyage jamais sur Air France (trop chère), mais le site ne me laisse pas trop le choix. A moins d’attendre que l’annulation vienne d’Air France elle-même… ce qui sera le cas, mais trop tard pour moi… la compagnie serait alors dans l’obligation de rembourser le prix du billet selon le règlement européen n° 261/2004. Celui-ci stipule que les compagnies qui annulent les vols secs sont obligées de proposer le remboursement des billets à leurs clients. Mais là encore, ça va être l’arnaque. Suite au remplissage du formulaire d’annulation, Air France m’adresse un email laconique disant que du fait d’un afflux de contacts dû au coronavirus, il sera répondu plus tard à ma demande. Près de trois semaines et plusieurs relances plus tard, j’attends toujours…

Air France annonce qu’elle va stopper ses vols sur l’Inde le 24 mars. Ça brûle ! Je réserve un nouveau vol sur KLM pour le 29 mars, j’irai jusqu’au bout de l’autorisation de séjour ! 2ème billet acheté, en économique of course, 300 à 350 € chaque fois. Nous sommes le mardi 17 mars, la France entre en confinement et je suis content d’être encore en Inde, à peu près libre. Je sais que c’est maintenant temporaire.

Je parcoure à pieds les ruelles colorées d’Udaipur, tu parles d’une ville blanche. Les maisons sont autant roses, bleues ou vertes que blanches. Je m’acharne encore à quelques photos, mais la magie n’y est plus. La situation et les informations courtes glanées sur le mobile prennent tout le temps disponible de cerveau, impossible de réellement profiter. Et puis l’ambiance générale évolue insensiblement. Si les vendeurs continuent à être aimables, voire affables, avec notre porte-monnaie, certains indiens, plutôt les jeunes mâles, commencent à croiser les occidentaux en sifflant « corona », en détournant le regard ou s’écartant ostensiblement de notre chemin. Pour l’instant, si je ressens d’un coup ce changement d’attitude, ça va encore pour moi, d’autres voyageurs me le confirment et ça va aller crescendo. Voilà ce que je redoute de l’Inde, ce sont les indiens ! C’est plutôt bien de pouvoir de pouvoir rentrer à la guesthouse, profiter des espaces communs et de la grande chambre pour bouquiner, roupiller, s’informer… On ne parle pas encore de confinement, seulement de temps en temps. Le manager de l’endroit, très gentil, voit bien que les cinq blancs-becs répartis dans ses chambres sont les derniers clients de la saison. Il me montre les annulations qu’il vient de recevoir. La police vient de lui ordonner de nous embarquer tous à un dispensaire proche pour obtenir renseignements et température. Je trouve qu’ils feraient mieux de s’occuper de la population plutôt qu’enquiquiner les touristes. La balade n’est pas si contraignante, la guest s’occupe de tout et je n’ai pas de température. On me donne un papier tamponné, comme à l’armée, je suis apte à continuer mon trajet. C’est ridicule, la fièvre peut très bien intervenir plus tard… Nous quittons tous Udaipur demain. Un jeune couple franco-suisse, après avoir songé à se réfugier au Canada (mais les frontières viennent de se fermer) part s’abriter à Taïwan où une quatorzaine les attend, mais où le virus semble maîtrisé. Ils ont laissé des affaires au Népal. J’ai oublié où se rend le couple anglais, lui est de Londres, elle de Manchester, il faudra faire un choix sûrement. Dans la ville, on ne parle plus que de ça entre voyageurs. Deux jeunes allemandes téléphonent à leur ambassade. Un jeune couple français en voyage de noce de longue durée n’aura pas de logement à son retour. Des anglais retraités, voyageant toute l’année, sont sans domicile fixe en Angleterre. Les espagnols voient la situation de leur pays se calquer sur l’Italie, avec quelques jours de retard…


Mon voyage est terminé, amputé d’un bon mois, plus que dix jours pour remonter tranquillement vers Delhi, ne pas trop m’éloigner, on ne sait jamais. Je n’irai pas à Jaisalmer, cela est sûr. Les monuments étant fermés à la visite, il est inutile que je me rende à Chittaurgargh, ma prochaine destination, ni à Bundi ensuite, et c’est un déchirement, pas plus à Ajmer et son fort pas loin. Ça se complique pour occuper le temps. Je décide de tracer en ligne droite (ou presque) pour Jodhpur et retrouver mon amie Astrid qui s’est planquée pour la saison chez Cchoparam qui tient une très chouette guesthouse, genre lodge, 20 kms avant Jodhpur. Ils viendront me chercher à la descente du bus, au village au joli nom de Kakina. Durant les 7 heures de trajet, le paysage n’étant pas très intéressant, je me trouve des thèmes de réflexion. Par les temps qui courent, et bientôt galopent, ces thèmes n’ont rien d’optimistes, l’heureux ne vient pas. Le premier qui s’impose est le mensonge.Vous avez quatre heures. J’en ai six. Je hais subir le mensonge, il me donne l’impression d’être pris pour un enfant mal fini. Ca démarre mal. Qui peut avouer aimer le mensonge ? Par omission ou trahison, mais oulala, je ne parle pas d’un débat philosophique, je suis pour l’instant dans un bus brinqueballant, les neurones s’entrechoquent allègrement… Il me semble que nos gouvernants manient de plus en plus et sans vergogne le mensonge, dont, pour moi, ils ont mal appris l’art. L’art du mensonge est de ne pas se faire attraper, d’être convaincant. Nos politiciens, quel que soit leur bord, mentent mal, très mal. Sans aucun amour-propre, ils sont capables d’affirmer le contraire de ce qu’ils ont dit la veille, sans sourciller ni prendre la peine de se justifier. Au moins, pour cette aptitude, admirons-les. Je ne suis pas le seul intuitif de ce pays à détecter les mensonges de ceux que nous avons collectivement mis en place pour prévoir, gérer et décider en notre nom. Et pourtant les (vrais) media sont relativement peu enclins à sortir les contradictions de nos élus. Où est le bug ? Le résultat est factuel. Plus personne ne croit personne. C’est le bordel. Résultat corollaire : les réseaux sociaux se lèchent les babines, disent n’importe quoi et sans limite, ni vérification, à une population de plus en plus aculturée et abêtie. Ce sont eux que l’on croit maintenant, car la mauvaise info (au passage bourrée de fautes d’orthographe) est rapide. Ce sont eux que l’on relaie. Bravo monsieur qui a les fesses d’un bouc. Bravo les autres… Vous souvenez-vous de François Fillon, chantre de l’honnêteté en politique, ses promesses de nettoyage de la corruption, s’accrochant coûte que coûte à sa candidature dégénérée. Out ! Menteur ! Escroc !


Et plus près de nous, Agnès Buzyn certifiant les yeux dans les yeux ne pas briguer le poste de maire de Paris, retrouvant les mêmes regards éberlués une semaine plus tard pour expliquer que la mairie de Paris est son combat de toujours, et, après la défaite, assurant que l’élection était une mascarade. On est un peu perdu là, madame ! Out ! Lâche ! Menteuse !

Et cet autre qui enjoint à sa population d’absolument rester chez elle mais surtout aussi de sortir pour aller voter. Où sont les magouilles ? Et ceux-là qui certifient que les masques sont véritablement inutiles, aujourd’hui ils disent l’absolu contraire, les masques arrivent. Qui y a sincèrement cru ? Les asiatiques seraient des imbéciles à porter si facilement un masque ? Out ! délivrez-nous Seigneur !

Et cette Sibeth Ndiaye dont il faut absolument croire le contraire de ce qu’elle dit en première intention. Et Olivier Véran, qui a pourtant l’air d’être investi et carré, il affirme un jour que la France est prête, que les masques sont là, et pourtant, le corps médical (pas encore la population puisqu’on lui a dit que c’était inutile !) s’alarme de ses manques de moyens, au moins de protection. Ce petit monde s’excuse au nom de la protection qu’elle doit à son bas-peuple. Mais on n’a pas besoin d’être protégés, les adultes sont adultes, pas des enfants qui vous admirent parce que vous offrez parfois quelques bonbons pour nous faire taire, nous avons besoin de prévisions, de vérité première, d’actes et de décisions comprises. Il y en a marre de la politique des mots, de la communication stérile, des jeux d’influence. C’est pas parce qu’on a dit qu’on a fait. Demandez à un candidat de municipales son programme, à coup sûr il démolit simplement le bilan de son prédécesseur et annonce des solutions « bateau » (voire de surenchère débile – cf.Paris). « Il faut plus de social, plus d’intérêt écologique, il faut aider les riches et les pauvres sans oublier la classe moyenne… ». Nous voilà bien avancés ! Et La France n’est pas une entreprise capitaliste à hiérarchie verticale… Faisons un retour en arrière, une dizaine d’années, des élections présidentielles… 2007, Sarkozy passe parce que Ségolène Royal embrouille son monde, son programme est soi-disant participatif, elle ne sait juste pas sur quel pied danser avec sa narine au vent (elle n’a pas changé son registre d’ailleurs). Lui dévoile vite sa vulgarité droitière, il ne remontera jamais la pente. 2012, Hollande sort Sarkozy, le « peuple » de gauche espère, il déchante vite, la France, à l’image de son président, se ringardise, s’immobilise. 2017, Macron sort Hollande et se présente, les français votent contre l’autre, espèrent un peu le changement, puis déchantent. N’étant pas dans l’extrême, ni d’un côté, ni de l’autre, je passe mon temps à voter blanc ou à voter contre. Est-ce normal de n’avoir plus, et depuis longtemps, de cap à espérer, de guide à vouloir suivre ? On nous serine que la crise actuelle va remettre en cause nos systèmes actuels. Pfouhhhh, mais qui y croit donc ? Les médecins et infirmiers applaudis à 20 heures chaque soir, remerciés par les politiques qui leur ont craché à la figure depuis des années, seront bien vite oubliés, la crise passée. Les guignols qui gouvernent les grands pays analyseront la catastrophe actuelle comme une simple parenthèse et reprendront vite le cours de leurs occupations politiciennes et financières. Il y a une élection à tenir, une bourse à remonter, des influences à retrouver. Et pourtant le peuple américain applaudit Donald le connard, pardon, le canard, qui en fait pourtant bien des conneries, très dangereuses qui plus est. On ferme les boutiques sauf les magasins d’arme. D’ici c’est éberluant, mais le yankee est content. La politique fonctionne à la com, ça marche encore, hélas. Bolsonaro aura peut-être un peu plus de mal, mais il verrouille. Poutine aussi verrouille, Xi Jinping n’en parlons pas, et Modi, cet ultranationaliste, est en train de prendre de sacrées décisions, à la mode indienne, brusques et brutales. Ça y est, l’Inde est dans le tuyau, il faut vraiment partir.

Je passe deux journées pleines et calmes, confiné dans le lodge de Cchotaram, au milieu de sa famille. Je n’ai rien à y faire que lire, assister de très loin à la dégradation de la situation mondiale, tenter de comprendre les mécanismes d’une famille indienne, à l’opposé de nos concepts. J’en suis assez mal à l’aise, je l’ai déjà écrit, mais c’est instructif. La police a déjà demandé à Cchotaram d’arrêter de promener ses guests dans le village, ça ne fait plus bon genre. Astrid et moi sommes les derniers clients de la saison. Partout où je passe maintenant, je fais les fermetures… Air France arrête ses vols le 23 mars maintenant et il n’y a plus de place sur les vols existants. J’ai encore ma place sur l’hypothétique vol KLM du 24 mars (à 3 heures du matin) et Astrid a réservé pour le lendemain 25 mars. Lequel de nous deux verra son vol annulé ? KLM a en effet annoncé qu’elle n’assurerait que trois vols dans la semaine, sans annoncer lesquels, ce serait trop facile. Car oui, j’ai à nouveau acheté un nouveau billet de retour. Il ne reste plus qu’une place en Business, et bing ! 812,00 €. En tout, j’augmente la trésorerie d’Air France KLM de 1.461,34 €. La date du 29 mars paraît maintenant trop loin. Nous sommes le 18 mars, c’est dans dix jours, ça ne tiendra pas. Les annonces et restrictions s’accumulent chaque jour. Les frontières se ferment les unes après les autres. Des états de l’Inde sont déjà fermés aux étrangers. C’est une sorte de piège qui se resserre sur nous. A quelques jours près, ça peut changer la vie. J’annule donc mon vol du 29 mars selon la même procédure que celui du 9 avril. On m’oblige à remplir un document me proposant un voucher (encore un) valable pour une durée d’un an. Je clique sur « OK ». Je reçois le même message d’embouteillage des demandes avec réponse promise ultérieurement. Nous sommes en lien téléphonique avec l’ambassade de France à Delhi qui ne peut rien dire de concret. Le site Internet du ministère des affaires étrangères conseille aux ressortissants français à l’étranger de rentrer au plus vite sur les vols commerciaux encore existants. On comprend bien que le ministère souhaite avoir le moins possible de ressortissants en détresse à s’occuper.  Je n’aime pas Delhi, trop capitale, trop peuplée, trop bruyante, trop polluée… J’aimerais cependant y passer ma dernière journée, celle du 23 mars, pour faire les dernières courses que je n’ai pas pu faire. Nous décidons, Astrid et moi, de réserver un vol Jodhpur-Delhi pour le 22 mars, dans deux jours.

Et puis Narendra Modi fait sa première allocution télévisée ce soir, à propos du coronavirus. Il prépare son peuple, essaye de lui faire croire à l’inéluctabilité de l’épidémie et des mesures à prendre. C’est presque peine perdue dans ce pays où gourous et sectes prônent la prière et invoquent les étoiles. Chez Cchotaram, on est persuadé que tout rentrera dans l’ordre le 1er avril. Leur gourou l’a dit ! Modi décide un confinement général pour le dimanche 22 mars, un jour pour se préparer. Ceci est destiné à montrer au monde entier que l’Inde prend enfin de correctes décisions. C’est une sorte de test de faisabilité. Pour Astrid et moi, c’est surtout le signe qu’il ne faut pas traîner, déjà que les étrangers ne peuvent plus entrer, pourrons-nous vraiment sortir. Autre décision, interruption totale des vols internationaux au 31 mars. Ça confirme. 22 mars, 22 mars, mais n’est-ce pas le jour de notre vol pour Delhi ? Arghhhh. Qu’à cela ne tienne, on ne prend pas de risque et on réserve un nouveau billet pour le vol de demain, 21 mars, samedi. Le vol du 22 sera effectivement annulé, nous le saurons après.


Avec Air France et KLM, les messages arrivent, pas ceux que j’attends, je récapitule d’abord :

-         15 mars, réservation AF pour le 9 avril

-         17 mars, annulation du vol AF du 9 avril pour lequel je recevrai le 24 mars l’information que le vol est annulé, je remplis à nouveau une demande de remboursement ou voucher, pas de réponse à ce jour

-         17 mars, réservation KLM pour le 29 mars

-         18 mars, annulation du vol KLM du 29 mars, remplissage de demande de voucher, pour lequel je reçois le 20 mars, une sorte de voucher bizarroïde, soi-disant en pièce jointe, mais il n’y a pas de pièce jointe (à suivre donc)

-         18 mars, réservation KLM pour le 24 mars pour lequel je recevrai le 23 mars l’information que le vol est annulé, puis, deux heures plus tard, que le service à bord (restauration) sera modifié compte tenu des circonstances ! Ça me fait une belle jambe ! Le vol étant annulé par la compagnie avant que j’en effectue moi-même l’annulation, je demande cette fois-ci le remboursement comme est sensé le faire sans barguigner Air France KLM selon le décret européen. Je n’ai évidemment pas eu de réponse à ce jour.

-         26 mars : Astrid pourri la page publique de Facebook,, on lui demande vite de passer en messages privés. Je fais de même, mais étant moins geek, je ne parviens pas à la page publique, et me contente de messages privés pour lesquels je reçois une réponse standard et hors de propos.

Retour en arrière, nous sommes maintenant le samedi 21 mars, vol depuis Jodhpur sur Vistara parfait. Astrid et moi atterrissons vers 17 heures à l’aéroport international de Delhi. Une amie d’Astrid lui envoie un message, un vol Qatar Airways serait en train d’être affrété pour la France pour cette nuit. C’est l’ambassade qui négocie. Etant sur place, nous cherchons des informations à l’aéroport. Nous n’en trouvons pas, le vol n’est pas annoncé, mais c’est de toutes façons un peu le bazar. Si ce vol existe vraiment, pas de question à se poser, nous le prendrons si c’est possible. Nous appelons l’ambassade qui confirme qu’un vol est effectivement en cours de négociation avec la compagnie qatarie, que rien n’est encore sûr. L’interlocutrice s’assure que nous sommes à Delhi et prend nos noms et numéros de passeport. Nous sommes assez excités pour le coup, la crainte d’être déçus aussi si ça ne marche pas. Pourquoi le Qatar et pas Air France ?


Arrivés à la guesthouse, c’est l’effervescence. Les guests, tous français, sont en lien téléphonique avec l’ambassade, chacun pour soi, et confirment que le vol aura bien lieu. Il reste maintenant à s’assurer de bien être sur la liste. Au point où j’en suis de vouloir rentrer au plus vite, et de saisir l’occasion qui sera peut-être la dernière, et la journée de demain (le 22 confinement décrété en Inde) étant morte, j’accepterai n’importe quoi, n’importe quel prix. Je me rue sur mon téléphone et appelle une vingtaine de fois l’ambassade qui ne répond pas. Les autres ont déjà obtenu la confirmation, moi pas encore, je crains de laisser passer la chance. J’ai des doutes sur mes capacités d’appel avec ma sim card indienne. Et puis on m’appelle, et puis je décroche (façon de parler !), et puis une jolie voix chaude et sereine me demande ce que je souhaitais, je remercie chaleureusement de me rappeler, oui le vol est confirmé, il suffit de se rendre à minuit à l’aéroport terminal 3 porte 1 où un groupe de l’ambassade attendra pour faire passer, vous prenez mon nom ? pas la peine, il n’y a pas de liste constitué, mais ça ira, il y a de la place, le prix est de 450 €… Pour un peu, moi si réfractaire à la chose, je lui demanderais de m’épouser, elle a l’air si joli derrière sa voix !


Douche et pizza pour la dernière soirée en Inde, Astrid et moi prenons un taxi pour l’aéroport. Y être à 22 heures ne nous semble pas être une avance excessive. Tout le monde averti fera pareil. Effectivement, l’attroupement est déjà important autour d’un groupe habillé de gilets jaunes, et oui, floqués France. Et liste il y a ! Et le W de mon nom n’est pas à mon avantage pour savoir rapidement si je fais partie de la liste. Chacun est appelé, des visages s’illuminent un à un tandis que les autres demeurent anxieux dans l’attente. Et j’en fais partie, et il y a encore de la place pour ceux qui ne sont pas sur la liste. Et la suite, vous la connaissez. Je quitte l’Inde et son tumulte en devenir pour aller me confiner dans l’un des pays les plus contaminés du monde. Va comprendre Alexandre ! Retour en 19 heures, 9 heures de stop à Doha. C’est un peu long. Dans la salle d’attente à Doha, j’y rencontre d’autres voyageurs d’autres horizons, dont cette française de Chambéry en provenance du Vietnam. Qatar Airways a vraiment fait du bon boulot. Air France s’est-il perdu dans les couloirs ? D’après la fille, les vietnamiens paraissent encore plus remontés que les indiens à l’égard des occidentaux. La plupart des passagers ont un masque, il paraît qu’on n’en trouve pas en France. Moi-même je viens d’en acheter un dans une micro-pharmacie, du gel hydroalcoolique aussi. Si j’avais eu plus de monnaie sur moi, j’en aurais acheté plusieurs pour les envoyer à Tom et sa famille…

On nous laisse nous entasser, aucun geste « barrière » ne nous est demandé. Les hôtesses n’ont pas de masque au départ, elles en auront sur le vol vers Paris. Je suis très étonné d’arriver dans un Charles-de-Gaulle désert, personne ne nous accueille, au moins pour nous donner quelques consignes, nous éloigner d’un mètre les uns des autres par exemple, prendre rapidement notre température pourquoi pas… Les rares employés de l’aéroport ne portent pas de masque ni de gants. On nous laisse nous agglutiner autour du tapis bagages… Pas sérieux, vraiment. La République des mots je vous dis… J’ai la chance d’attraper vite mon sac et de chopper le seul taxi qui se présente. Le chauffeur porte un masque. Je n’ai jamais été aussi vite chez moi depuis Roissy. Au moins un point positif ! Nous sommes dimanche soir, madame Branco a eu la gentillesse de me laisser de quoi faire un dîner dans le frigo.

Ma prison est une cage dorée, je m’y attendais. En l’occurrence spacieuse et laissant arriver la lumière de tous côtés. J’ai l’habitude de rester un jour ou deux sans sortir de la maison ou de ne discuter (façon de parler) qu’avec une caissière de supermarché ou une ouvreuse de cinéma. Ça devrait aller donc, sauf ce manque de liberté commun à tout le monde. Je n’aime pas ne pas pouvoir faire ce que j’ai envie, je ne suis certainement pas le seul. Le jardin a besoin de moi, c’est la saison de son redémarrage, tant mieux. Il n’aura jamais été autant bichonné. Je songe à y reproduire les parcours de Versailles, j’aurais le temps. Et puis je vais refaire mes toilettes. Par manque de peinture, le chantier s’arrête. Si, le temps du confinement, les jardineries et magasins de bricolage avaient l’autorisation d’ouverture sous conditions, ils feraient fortune ! Quel désastre cette économie en déroute. Je ne dépense que l’argent de la nourriture, pas d’essence, pas de sortie, pas de plaisir, me voici écureuil… Comment les magasins vont-ils se remettre ? Comme en si peu de temps les économies peuvent s’effondrer. Le monde s’étonne de nos économies à flux ultra tendu, les réserves financières sont ridicules. L’argent public versé à flot aujourd’hui pour maintenir tout ce monde-là la tête hors de l’eau, il faudra bien le retrouver un jour, quelque part… Et je continue la lecture de Marcel, j’ai du mal, je vais peut-être télécharger la Peste de Camus, le relire, c’est de circonstance. Et je cuisine, le gratin de chou-fleur n’a plus de secret pour moi, et puis mes soupes, ah… mes soupes… Ma voisine a choppé le covid, ça a l’air assez léger, je l’entends comme habituellement parler et rire. Peut-être serait-il bien d’attraper la maladie, afin de guérir et surtout s’immuniser, car je prévois ce confinement très long et le déconfinement très brouillon. Je songe à aller embrasser ma voisine tant qu’il est temps…

Et Air France dans tout ça ? Air France qui se pavane à mettre son personnel au chômage partiel et profiter des sous de l’état et à faire fonctionner son service communication à fond. Air France sauveur !!! Je m’étrangle. Dans le Figaro de ces derniers jours, on suit un équipage trouillard et suréquipé qui va effectuer un vol de rapatriement à Delhi, tiens tiens. 600 € la place. Air France est présenté comme héroïque. Le vol part à vide évidemment. Dans la presse, et dans l’esprit des gens, on perçoit que les français à l’étranger seraient des sortes de délinquants, tout au moins des inconscients d’être loin. On n’aime pas ceux qui ne font pas comme nous, ceux qui profitent alors qu’on trime. C’est humain sûrement ! On doit remercier la France (et Air France) qui se dépatouille pour faire rentrer son monde vacancier. Les grincheux disent que c’est l’argent de l’Etat, donc nos impôts qui permet cela. Pas du tout, ces vols ne sont pas du tout gratuits pour les passagers. Certaines compagnies en profitent. 600 € pour ce vol Air France, 450 € pour le vol Qatar Airways que j’ai eu la chance de prendre, 300 € environ habituellement pour un aller simple. Et où était Air France quand plein de monde était dans l’expectative ? Air France avait annulé ses vols tout simplement. Elle aurait dû au contraire en doubler le nombre. Le ministre des Affaires Etrangères a récemment pointé du doigt les compagnies aériennes qui n’auraient pas joué le jeu du rapatriement, ou à des prix acceptables. Sans nommer malheureusement ces compagnies. Alors Air France gesticule. Mais c’est avec Qatar Airways que les ambassades ont pu négocier le rapatriement de français au Cambodge (450 € le billet), en Nouvelle Zélande (1.300 €), certainement d’autres destinations à l’est vers l’Asie. Pourquoi pas avec Air France, empêtré sans doute dans ses conventions collectives et ses comptes d’apothicaire ? Je reconnais bien évidemment que la situation va être ultra critique pour l’ensemble des compagnies, Air France compris. Elles font aujourd’hui le forcing auprès des états et de l’Europe pour contourner la réglementation et obtenir le droit d’établir des vouchers au lieu d’avoir à effectuer des remboursements. Pour cela, elle fait la sourde oreille, le client n’est pas roi, juste une sorte de concierge d’un roitelet de province qui aurait eu le privilège de payer à ses frais un billet sur LA compagnie. Et de cela surtout, je lui en veux. Les Etats, la France en premier, vont plier. Les compagnies ont des frais fixes faramineux, sans aujourd’hui le soupçon d’une miette de recette. Le consommateur final est en partie financeur donc. J’ai 1.461 € dans la trésorerie d’Air France qui ne m’a pas transporté. L’Etat va me réclamer les 450 € qu’il m’a avancés pour mon retour sur QA. Au lieu de me les réclamer, il pourra peut-être compenser partiellement avec ce que me doit AF, n’est-il pas actionnaire ? Une piste… Et si la compagnie fait faillite ? L’Etat n’abandonnera pas AF. Et si on oublie nos vouchers (qu’on obtiendra peut-être) ? Et puis, l’utilisation de nos vouchers ne fera pas entrer de l’argent frais dans l’entreprise. Et puis, si au bout d’un an, les vouchers ne sont pas utilisés, on ne peut pas partir tout le temps n’est-ce pas, serons-nous indemnisés en numéraire, ou aurons-nous perdu le deal ? L’Etat se préoccupe de ses entreprises et c’est normal, mais il prend ses concitoyens pour des idiots, de simples pions malléables. C’est insupportable 😊

Et pendant ce temps, quid de l’Inde. De loin maintenant, ça paraît être un bordel désorganisé. Ce n’est pas une surprise. Je n’aimerais vraiment pas avoir à gérer une crise d’ampleur dans ce pays multiple, si pauvre et bourré de traditions et de croyances diamétralement opposées. Narendra Modi a décidé du jour au lendemain le confinement total du pays tout entier. La répression policière facilite. Imaginez des policiers dans nos parcs parisiens un jour de confinement par beau temps, un véritable carnage ! Les magasins sont tous fermés. La population est prise au piège (les touristes restants sont à la même enseigne, voire pire puisqu’ils sont stigmatisés). La plupart des habitants n’a pas les moyens d’acheter de la nourriture pour une ou deux semaines. L’eau potable n’est pas toujours, loin de là, dans les logements. L’économie est gelée, des millions de travailleurs sont à la rue, sans ressources, et retournent à pieds dans leurs villages, faute de transports. Tu parles d’un confinement !


Et vous avez bien raison, j’ai eu une sacrée chance de pouvoir rentrer à temps dans d’acceptables conditions. Il était quand même chouette ce voyage, quoique qu’écourté. J’aurai certainement la possibilité de le reprendre plus tard, là où je l’ai laissé, quand la situation se sera stabilisée. Au programme aujourd’hui, remplir un énième sac poubelle de lierre, faire mes 30 minutes de rameur, préparer une liste de courses, reconstituer mon tas de bois, repasser des fringues, lire quelques pages de Marcel, regarder le programme télé, cuisiner les endives qui traînent dans le bas du frigo, commencer la liste des choses à faire après, balayer devant ma porte et dans mes pensées, faire la sieste, allumer un feu et regarder les jolies flammes, déplacer des objets, regarder où en sont les pieds de Salomon, fouiller la remise pour voir s’il ne reste vraiment pas de peinture, vider le lave-vaisselle, téléphoner à Tom, prendre mon sirop pour la toux… Pas de quoi s’ennuyer. Avec tout ça, je n’ai pas le temps (ni l’envie) d’écrire…

Télétravaillez ou téléglandouillez bien 😊