Chers tous,

Mon 3ème vol réservé sur KLM Air France est mercredi dans la nuit, le 24. Il n’y a plus qu’un vol de la compagnie par jour en prévision, et encore, les informations sont confuses de ceux qui partent effectivement, ceux qui sont annulés, ceux qui sont reportés. Il est illusoire de songer à transiter par un autre pays, chacun se ferme aux étrangers. Toujours vers Jodhpur, je réserve un vol pour Delhi sur Vistara airlines, la nouvelle compagnie de la famille Tata, pour le 22. Cela laissera le temps de faire des derniers achats le 23. Et puis, comme dans la plupart des pays non encore vraiment atteints, et qui prennent conscience de la gravité du phénomène auquel ils n’échapperont pas, les jours actuels voient se multiplier les décisions et avertissements. Pour ce qui concerne l’Inde, Modi fait un speech préconisant un confinement et arrêt des activités le 22 mars, sous prétexte de test, il sensibilise vraiment l’opinion. Je vois très visiblement le retournement de la population et l’esprit des gens, jusqu’à présent nonchalants sur le sujet. A cela s’ajoute, comme quasiment partout, la stigmatisation de l’étranger, importateur du virus. A mon sens, personne n’est absolument responsable à part ce pauvre gars qui a bouffé du pangolin ou de la chauve-souris. Même ce connard de Donald parle de virus étranger, de virus chinois, et des chinois parlent d’un complot américain et ont vraisemblablement trafiqué leurs chiffres pour s’instituer aujourd’hui en sauveteurs du monde puisque paraît-il, mais faut-il vraiment le croire, ils sont venus à bout du virus. Et les vietnamiens se bouchent la face au passage des occidentaux maintenant très atteints. Et la Thaïlande a enfin compris qu’il fallait qu’elle se barricade et se confine, arrête ses tentatives de maintien de l’industrie touristique dont elle est fortement dépendante. Rester dans un pays étranger au sien, en tant qu’européen, va vite devenir intenable.

Du fait du confinement le 22 mars en Inde, je prévois l’annulation du vol pour Delhi ce jour-là et achète un autre billet (encore !) pour la veille, le 21, avant d’en avoir confirmation, ce n’est que 50€, au point où j’en suis… Bien m’en a pris, le vol du 22 est annulé. Mais aussi, le 22, tout sera fermé. Les restaurants, les boutiques, il est demandé à la population de rester chez elle, c’est dimanche, c’est plus facile. Un occidental, d’autant plus, n’aura pas à mettre un orteil dehors. Il faut donc trouver une guesthouse plutôt sympa pour y passer cette journée de confinement. Ce n’est pas forcément simple car des hôtels refusent maintenant les étrangers. J’en réserve un sur Booking, et puis Astrid me parle d’une chouette guesthouse, pas trop loin de l’aéroport, dans le coin sud de Delhi, plutôt agréable. C’est la Bed and Chai Guesthouse, sorte de repaire de français. Je la recommande vivement. J’annule ma précédente réservation, mais c’est trop tard pour être remboursé. Je m’en fous…

Cchotaram nous emmène au petit aéroport de Jodhpur, quelques occidentaux rejoignent Delhi avec la même problématique que moi, quitter le pays au plus vite. L’avion est nickel et pas du tout rempli. Une heure de vol. Arrivée à Delhi, une rumeur se répand qu’un vol Qatar Airways s’envolerait cette nuit pour Paris (via Doha). Nous cherchons un comptoir Qatar à l’aéroport Indira Gandhi de Delhi. Il n’y en a pas. Téléphone à l’ambassade qui confirme l’option, mais cela demeure flou, c’est toujours en négociation, pas fous les qataris, ils veulent bien aider mais ça se paye… On prend nos noms, nos numéros de passeport, l’ambassade s’assure que nous sommes bien à Delhi. N’importe quelle éventualité est bonne et tant pis pour les 3 précédents billets achetés, il vaut mieux partir ce soir si c’est possible. Je file à la guesthouse, Astrid annule sa réservation ailleurs et préfère venir à la Bed and Chai où il y a des français. Effectivement nous y trouvons d’autres concitoyens, tous à leur téléphone et la même information, en lien avec l’ambassade ou le consulat. L’information semble bonne. Après de nombreuses tentatives, j’arrive à obtenir de nouveau l’ambassade. Ils semblent vraiment s’occuper de l’affaire et nous demandent d’être à l’aéroport à minuit, terminal 3, porte 1. La GH voit ses clients partir tous ce soir. Ils comprennent qu’il est mieux que nous retournions chez nous mais ne proposent pas néanmoins de réduction sur le prix de la chambre alors que nous ne l’occupons que quelques heures et n’y prenons qu’une douche. Ni même du fait que nous ne prendrons pas le petit déjeuner qui a l’air parfait. Pas grave, au point où on en est… Si je reviens à Delhi, j’irai quand même dans cette GH.

Je sors vite fait acheter une bière, un masque (qu’on trouve dans toutes les petites pharmacies) et du sanitizer (gel pour se laver les mains). Il y a donc pénurie en France. Allez faire vos courses en Inde !

Je téléphone à Tom pour lui annoncer la probable bonne nouvelle. Pour une fois il exprime un véritable enthousiasme spontané. Il ne sait sans doute pas combien ça me fait un plaisir immense. Evidemment, nous sommes tous à l’aéroport au lieu dit à 22h00, soit 2 heures avant le rendez-vous fixé. Cinq ou six gilets jaunes de l’ambassade sont là avec des listes et nous appellent à tour de rôle. Avec mon W, l’ordre alphabétique est rarement avantageux, et j’ai un léger stress jusqu’à ce qu’on m’appelle. L’affaire semble vraiment bien engagée. Et même les français venus mais non répertoriés arrivent à s’inscrire sur le vol. Pour entrer dans le bâtiment, c’est toute une organisation puisque nous n’avons pas de billet. On nous contrôle, confrontation du passeport et de la liste (ou graal !). Ça y est, c’est bon, enregistrement, carte d’embarquement, passage de la douane, tampon de sortie, scan du bagage en cabine… on ne va tout de même pas revenir en arrière maintenant. Un peu l’impression de partir d’Inde comme un voleur malgré tout. Je reviendrai of course. Il est malgré tout, à court terme, assez paradoxal de s’escrimer à fuir un pays encore sain pour aller se confiner plusieurs semaines ou mois dans l’un des pays les plus contaminés du monde ! L’ambassade a fait un sacré bon job. C’est l’Etat qui avance les 450€ du vol. On nous fait signer un papier sur l’honneur, en vue d’un remboursement dans les quatre mois.

Je ne dis qu’une chose : « Cyclopantanoperhydrophénanthrène ! »

On embarque, youpie. L’avion décolle à 4 heures du matin. Avec effroi tout de même, je réalise que nous aurons 9 heures de stop à Doha ! Arghhh. Ce couple nantais avec enfants 8 et 10 ans, partis depuis un mois seulement pour un voyage de cinq ou six mois en Inde, Vietnam, Cambodge, Thaïlande et Indonésie, n’attrapera pas l’unique train possible et va devoir improviser pour une nuit à Paris. Au total, notre voyage devrait durer 19 ou 20 heures ! Nous devrions arriver à CDG vers 20h, d’après les calculs de quelques touristes. Astrid va louer une voiture à CDG, filer immédiatement en Champagne récupérer quelques affaires et partir dans le Gers. Dans ces cas-là, je bénis le fait d’être parisien ou tout comme. Bizarrement l’avion (Boeing 777) n’est pas plein, j’ai un peu de place, je dors plutôt bien jusqu’à Doha. Arrivée à 6h30 ensuqués. Tout le monde ou presque a son masque, ce qui n’est pas le cas (ou très peu) du personnel de l’aéroport. Y déjeuner est incroyablement cher, je suis aussi déformé par mes habitudes indiennes, certes. Dans l’aéroport, il existe des quiet rooms, personne ne semble au courant, c’est donc très quiet. On peut s’y allonger tout à son aise.

Le vol pour Paris est prévu vers 15h. Cela laisse vraiment le temps de réfléchir au sens de la vie. Des voisins de café, de Chambéry, viennent de Phuket. Ils ont la chance de prendre leur vol prévu pour Genève, leurs vacances n’ont pas été tronquées. Ils me racontent que d’un coup tout s’est bloqué dans l’île, les vendeurs ont remballé leurs produits et ont fermé boutique, les lieux de divertissement ont fermé également. Il ne fait vraiment plus bon d’être ailleurs que chez soi… L’exemple aussi de cette jeune française en débardeur et pantalon léger. Elle n’a rien de plus chaud pour l’arrivée parisienne. Elle a laissé une partie de ses affaires dans un hôtel vietnamien, pensant y retourner. Mais tout s’est accéléré pour elle. Partie pour un voyage de 15 jours, elle a eu la chance d’une semaine de visites, mais l’autre semaine en confinement, les vietnamiens étant moins que fairplays.

Atterrissage à 20h. Je suis chez moi à 21h20. Charles-de-Gaule est désert. Le taxi me dit qu’il ne reste plus que des vols de rapatriement. Astrid va galérer, les loueurs de voitures sont tous fermés à 18h, elle va trouver un hôtel à 145€ la nuit près de l’aéroport. C’est 10 jours d’hôtel correct en Inde. Il fait glacial dans ce pays. Je me suis déjà conditionné à ma vie de maintenant, en confinement total de plusieurs semaines, ou mois, pour l’instant je suis un peu glauque pour réaliser réellement. La France fera son bilan de divorces, de baby boom, d’enfants revendus. Pour ma part, je vais relire « Cent ans de solitude » ! On va se serrer les dents ou la ceinture (j’ai perdu 6 kilos, youpie, mais je ne vois vraiment pas dans quelle partie de mon corps). Ce n’est quand même pas ce machin de nanomicro qui va bousiller la vie de la planète entière si ? Ah bon ? C’est déjà fait ? Pour quelques années croyez-vous ? Alors gardons l’humour et le contact. Nous sommes bien plus fragiles qu’on le croit. Va-t-on donc remettre en cause notre système de dépendance, de mondialisation ? Bah, les chinois vont vite reprendre leur développement sans état d’âme. Vaste utopie !

Et je pense aux commerçants non alimentaires, aux chauffeurs de taxi, aux escorts, aux mariages annulés ou reportés, aux prêtres, aux imams… à tout ceux que chaque journée non travaillée est un drame de plus… Et je pense aussi aux voyageurs encore coincés. Pour l’Inde, ça s’annonce très mal. J’ai dû prendre un des derniers vols possibles. KLM vient d’annuler ses vols pour l’Inde à partir d’aujourd’hui ou demain, dont celui que je devais prendre le 24. Le gouvernement a tout interrompu en liaison avec l’international. Je n’aurais eu au final que peu de stress, une chance incroyable liée à de bonnes décisions. KLM ne rembourse pas le vol qui l’annule, j’aurai un autre voucher valable un an. Obligé de repartir donc… quelque part… à suivre… Mon voyage s’est interrompu d’un mois, j’ai du temps à rattraper.

Et vous ? racontez. Dans quel état d’esprit est-on après une semaine de confine ? On se serre les coudes hein ? Rendez-vous pris pour un apéro en juin, d’ac ?

Je vous embrasse

ERicW