Alors je finissais mon post précédent en me demandant comment on faisait du temps de l’argentique… Je me rappelle que j’emportais une trentaine de pelloches, des Fujicolor 36 poses 400 ASA, n’étant pas sûr de la qualité et du stockage de celles que nous trouverions dans tous ces pays chauds. Une photo était un trésor qu’il ne fallait pas gâcher, le développement coûtait des sous tout de même. L’attente des résultats au retour était aussi terrifiant qu’un test HIV ! Mon premier Reflex numérique, c’est justement en Inde que je l’ai utilisé, il y a une douzaine d’années, à Varanasi (Bénarès), 200 photos claquées la première matinée ! Ah quand on se lâche, on se lâche !


Quelle est cette folie qui prend ces gens, toute la journée et principalement aux dernières lueurs du jour, d’affluer en masse (euphémisme en Inde), vers ce bout de la ville, presque tout en bas, à Colaba justement. On s’habille bien, son plus beau sari en accord avec bracelets clinquants, ou bien l’accoutrement noir de musulmane ne laissant filtrer que le regard. On maquille même les yeux des petits enfants. Les manteaux noirs qui recouvrent les habits des musulmanes sont plus divers et travaillés que dans les pays arabes où ils sont relativement standardisés, mais ils demeurent néanmoins, en contraste encore plus marqué par les couleurs vives des concitoyennes hindoues. Je trouve qu’il y en a beaucoup de ces corbelles… belles belles comme le jour… Enfin, pour leur mari ou leur papa, mais ce n’est pas toujours objectif. Les ados en bande sont majoritairement habillés à l’occidentale.

Alors, après la cohue piétonne et automobile et le bruit ambiant incessant, nous voici entrés dans l’inévitable goulot d’étranglement qu’est la sécurité et le check des sacs. Deux queues séparées, les dames et les hommes, évitons les mauvaises manières. Certains aiment toujours bien dépasser par les côtés, ça leur fera gagner 50 centimètres. Et c’est la grande esplanade devant le monument, où tout le monde se retrouve. Ce n’est pourtant pas un lieu saint ou sacré. Celui-ci est universel puisqu’il enthousiasme l’ensemble des religions. Voici la Gateway of India. Une sorte d’arc de triomphe pas très joli mais pas particulièrement laid. Posé quasiment en bord de mer, on n’en fait même pas le tour, on n’entre pas non plus à l’intérieur. Il n’a d’autre signification que de commémorer la venue du roi George V, l’Elisabeth de l’époque,  il y a une centaine d’années. Et ce fut le lieu où les derniers régiments britanniques ont paradé avant l’indépendance. Ironie du genre. Brexit again 😊

Nous sommes à l’ère du selfie et des photos par smartphone, en Inde encore plus qu’ailleurs, et pourtant les nombreux photographes « officiels » armés d’imposants Reflex font recette. Ils se prennent pas mal au sérieux lorsqu’ils font poser leurs sujets qui eux-mêmes se plient docilement aux fantasmes du preneur d’images. Fantasmes chastes. En arrière-plan l’arc de triomphe, et si on se retourne, c’est l’imposant Taj Mahal Palace Hotel, bien connu des catalogues sur Mumbai. Les indiens adorent se prendre en photos eux-mêmes, prendre des poses ridicules dignes de Bollywood. Les filles bombent leur torse de côté pour mettre en évidence des formes qu’elles n’auront jamais. Les garçons se passent la main dans les cheveux et adoptent un regard ténébreux. Et s’ils ont jeté le dévolu sur l’occidental qui passe à proximité, c’est soit les photos sournoises au débotté, soit, pour les plus téméraires, une demande de pose avec Monsieur, avec Madame, avec la grand-mère, mais le plus souvent avec les potes, l’un après l’autre, et aussi en groupe. Pour l’instant ça va, pas trop de sollicitations, pourvu que ça dure. Au début, comme souvent pour tout en Inde, c’est rigolo. Au bout d’un moment, c’est répétitif et ça lasse.

Alors les voilà tous rassemblés en clans, amoureux, familles ou bandes de copains. Certains même s’assoient par terre (bitume) et pique-niquent. En Inde, comme souvent en Asie, où on est en général très nombreux, on aime s’occuper aux mêmes choses que les voisins, savoir qu’on fait partie du même monde, se regrouper en masse. En Inde plus qu’ailleurs aussi, où la contestation générale est érigée en sport olympique, on manifeste beaucoup en nombre, mais ça c’est un autre débat. Cela sidère mon esprit ultra-individualiste. Mais j’aime profondément être l’observateur solo dans les foules, pour autant que j’ai l’assurance de m’extirper à l’envi…

Autre phénomène de masse indien, le slum. Le slum n’a guère la sympathie du shum québécois ni la poésie relative du slam d’Aubervilliers. Ne pas confondre. Le slum est l’appellation anglaise (?) de bidonville. Vous vous souvenez certainement du film Slumdog Millionnaire et ses images magnifiées , presqu’attirantes d’un bidonville de Mumbai. La réalité est évidemment tout autre. Et je m’embarque à la conquête touristique du slum de Dharavi, qui, avec 1 million d’habitants (sur 225 hectares) est paraît-il le 2ème plus grand bidonville d’Asie (le premier se trouvant au Pakistan). Oui, ça se visite, mais pas seul hein ! on s’y perdrait à l’aise. Une médina marocaine est une vaste rigolade comparée à l’immensité tortueuse, souvent peu ragoutante, d’un slum indien. Donc j’adhère à un petit groupe, nous sommes 6 blancs-becs accompagnés de Marjur, gentil guide issu de Dharavi. Les revenus de la visite (900 inr – 11€ pour 3 heures de visite) sont remis à une association d’aide à l’éducation dans le slum ou un truc du genre. C’est bien. Pas (trop) de voyeurisme, on nous demande d’ailleurs de ne pas prendre de photos par respect, ça se comprend, tant pis.

Marjur me demande plusieurs fois si ça va… Bon d’accord, je suis le plus vieux du groupe, mais tout de même, je n’en suis encore pas aux couches confiance ! Ceci dit, je dois avoir une sale figure ce matin, je vais arrêter ces cachetons qui me donnent des vertiges. Et puis mauvaise nuit réveillé souvent par les ronflements, dans son casque tellement les cloisons en tremblaient, d’un sbire de l’hôtel allongé au sol sur un matelas crade de fortune dans le couloir devant ma porte. Et puis aussi ma mauvaise gestion de la nourriture de la veille, 2 biscuits au petit dej, quelques momos au dej et ma bière apéritive du soir, copieusement accompagnée de cacahuètes a coupé court à mon appétit au dîner. Rebelote ce matin avec seulement 2 biscuits. On te l’a dit pourtant, et répété, Oh grand voyageur, qu’on doit se ménager en Inde. Ok Ok, je ne le referai plus.

Reste que je suis dans le vague, il fait de plus excessivement chaud ce matin, le bruit ambiant est étourdissant, et Marjur parle beaucoup (trop), ma concentration est mise à rude épreuve, je suis les débuts explicatifs et puis m’évade vite vers des trucs sans rapports, ou bien des rapports tout personnels. Un exemple : une déviance neuronale m’embarque vers une sorte de slum slam onirique. Ladies and gentlemen, let me have the pleasure to introduce the Dharavi slam band… Guy Mauve au texte rondouillard et charpenté, Harry Holey, dont les notes gluantes ont rravi les ados du 13ème arrondissement et Elie Copter au phrasé si tourbillonnant que la Princesse Anne herself en a perdu son dentier… Sous vos applaudissements !!! Eric, are you ok ? Hmmm !?! Me voilà pris en faute comme un gamin à l’école, lorsque l’esprit s’évade des murs, poétisant le théorème de Pythagore où la Guerre froide, aglagla. A quoi pensais-tu ? En voilà bien une question stupide dont la vérité de la réponse serait le plus souvent inavouable. J’étais ailleurs, c’est tout ! Donc Marjur pose une question au groupe, je fais répéter, je n’ai pas bien compris. Il demande à quoi chacun pense quand on évoque un slum. Il n’y avait pourtant guère de sophistication dans la question. Il y aurait eu aussi demande plus originale, l’impression d’un groupe de CP que nous serions ! Euhhhhh, la pauvreté Msieu ! Ouais ouais, j’ai déjà été plus intelligent et anticonformiste quelques fois dans ma vie…


Je zappe un peu les explications sur le travail des enfants, l’utilisation de produits dangereux, la vie communautaire, la cohabitation sans gêne des hindous et musulmans, les aides gouvernementales sur l’occupation de l’espace, la fourniture électrique, l’éducation (anglais, informatique, savoir au moins compter jusqu’à huître) comme seule voie d’extraction de ce goulag consenti…

La grande occupation du slum de Dharavi est le recyclage du plastique. Des collectes sont faites quotidiennement en ville, arrivent au slum dans d’énormes sacs et les petites mains s’activent à trier les plastiques par genres, bouteilles, filtres, pare-chocs, sacs, etc. Après différents procédés, sont produites des petites billes de plastiques qui seront vendues et réutilisées par l’industrie. Autre occupation, le tannage et la coloration du cuir, embossage, fabrication de portefeuilles, sacs, etc. Dans un autre coin, c’est l’atelier poteries particulièrement utilisées pour le stockage de l’eau. Je sors enfin de ma torpeur et discute avec Marjur que j’aime bien et qui m’aime bien. Je l’aime bien principalement parce que, me disant qu’il est de confession hindoue, il ne croit cependant pas à l’idée de toute réincarnation et trouve grotesque l’argent dépensé (même par les plus démunis) en fleurs et autres colifichets pour le bien-être supposé des divinités. En voilà un spécimen rare ! Je l’interroge sur la réalité de la mise à l’écart des musulmans et des récents édits de Modi sur la légalité de la citoyenneté indienne (supposant écarter les adorateurs de l’Islam). Sans volonté de parole officielle je crois, il me dit qu’il y a malentendu, qu’en Inde il est aisé de manipuler des masses illettrées et que les multiples courants s’en font chou-gras. Il n’a certainement pas tort. En tout cas, à part la prohibition (morale) absolue de tout mariage mixte (il ne saurait être question, en plus, de tout rapport avant mariage), musulmans et hindous, et autres… s’entendent très bien dixit Marjur. Et à Dharavi, c’est l’esprit communautaire d’appartenance au lieu qui compte.

Après m’être perdu dans les boyaux sombres et bruyants avec un russe du groupe, et que les satellites de Google Map n’ont pas encore répertoriés, je me retrouve enfin à « l’air libre ». Je reprends mon train de banlieue, pas si mal, vers la station Churchgate à Bombay sud.

Mon hôtel à Mumbai : Traveller’s Inn Hotel – 1.600 INR (21€) la nuit. Parmi les moins chers de sa catégorie (moyenne) dans le quartier de Colaba – rue calme, personnel ultra sympa et aidant, rooftop quelconque mais qui a le mérite d’exister, chambre aveugle et sans charme mais pas trop chaude, le ventilo suffit, micro salle de bains. Les chambres du dernier étage sont plus lumineuses et récemment refaites, mais plus chères (45€).


J’ai vu, j’ai fait …

-         Le musée Chhatrapati Shivaji Maharaj Vastu Sangrahalaya, oups ! autrement dit le CSMVS Museum. Il n’est pas rare d’utiliser les acronymes en Inde. 650 INR l’entrée pour les étrangers. Comme c’est souvent, voire toujours le cas, l’entrée pour les étrangers est 5 à 10 fois plus chère que celle des locaux. J’accepte de payer plus, ok, mais il y a tout de même dérive… Par exemple, le must-to-see en Inde, le Taj Mahal a un prix d’entrée de 1.330 INR pour les étrangers, soit 17€, contre 250 INR pour les indiens (3€). Ce musée est incontournable lors d’une visite à Mumbai, multiples objets, statues, peintures… genre de petit Louvre, très bien présentés dans un bâtiment colonial extra.

-         La Jahangir Gallery, attenant au CSMVS est de taille réduite, entrée gratuite. Elle présente des expositions d’art contemporain. Très bien et l’air y est très bien conditionné. Important.

-         Le quartier de Colaba et son marché qui permet de s’extraire de la Mumbai trépidante et d’entrée par des ruelles dans le quotidien des gens. A la témérité de chacun de décider jusqu’où ira cet enfoncement.

-         Le quartier de Kala Ghoda, adjacent à mon hôtel, petites rues, certaines interdites aux voitures. Des cafés, restaurants et galeries d’art se sont montées, attirant une clientèle bobo. Pour autant, la réalité indienne n’est pas éjectée. Plutôt sympa.

-         Le marine drive, au-delà de la gateway, grande longueur de plusieurs kilomètres en forma de croissant (le collier de la reine) où viennent les amoureux du soir contempler le coucher de soleil. So romantic malgré la brume intense de pollution qui fait paraître la skyline de façon fantomatique, et les travaux de la future route express dont le tunnel sous la plage va désengorger le centre de la ville. Quelques années de bazar en perspective, mais c’est partout en ville. Comme cette nouvelle ligne de métro n°3. Quel bordel ! En bout de la promenade, c’est la Chopatti beach où il est conseillé aux western guys de ne pas tremper un orteil. Les enfants, on va se baigner, et après, on va tous chez le dermato !

-         Le Crawford Market, marché couvert de nourriture principalement, sympa sans plus, les touristes s’y rendent

-         La JJ School of Art que j’ai trouvée par hasard en revenant du Crawford Market. On y entre sans problème. Y sont exposées à l’extérieur des sculptures des élèves et à l’intérieur dessins, peintures et projets de fin d’année. Cela vaut bien quelques musées.

-         Les balades en taxi. Les taxis de Mumbai sont de toutes petites voitures jaune et noir raccourcies, à peine plus longue que ces voitures électriques dont la pub vantait le fait qu’elles pouvaient faire un créneau dans le sens perpendiculaire à la route. On y entre avec un chausse-pied. Ils ont tous un compteur, ce qui évite des tractations de bout de ficelle à n’en plus finir. Certains conducteurs fixent tout de même un prix de la course au départ, et il faut leur imposer d’allumer le compteur. Vexés, je les soupçonne d’allonger l’itinéraire. Pas grave, je profite du pays. Et puis cet autre, dont j’aurais dû me méfier avec ses dents en avant et l’amoncellement de pellicules enneigeant ses épaules. Je lui demande de me conduire au Mahalaxmi temple, paraît-il coloré. Je suis un peu en manque de temples à Mumbai. Bien cachés. Nous voici dans l’enfer de la circulation. Les taxis n’ont pas d’AC ni de ventilo. Fenêtres fermées, c’est intenable, fenêtres ouvertes et à l’arrêt, c’est irrespirable. Avec une petite vitesse, si le cancer du poumon gagne, au moins on se ventile un peu. Bref, sans doute énervé par les bouchons, le comble pour un chauffeur de taxi, il n’a qu’à devenir embouteilleur ! mon lascar m’arrête devant un temple en me disant que c’est là. Sauf que ça ne ressemble pas aux images vues auparavant et que mon navigateur estime qu’il manque encore 5 kms pour y parvenir. Bon, je veux bien être cocu, mais j’aimerais mieux ne pas le savoir. Je lui laisse la moitié de la course, il râle, tu m’as arnaqué, je m’en suis aperçu, tu as perdu, et moi aussi d’ailleurs… Je fais mon rebel(gitude) attitude, on ne m’aura pas une fois, ni même deux. Naïf que je suis… Tout ça pour un temple qui n’est même pas de ma confession. J’en ai marre, je prends un autre taxi et retourne à la maison dans le calme relatif de Colaba.

-         Les Sassoon Docks, petit port de pêche et marché de poissons au sud de la pointe de Colaba. Un des plus dégueulasses que j’ai jamais vus. Et sans prétention, j’en ai vu quelques-uns. Les chairs sanguinolentes jonchent le sol, les femmes nettoient les poissons à l’eau piochée dans le rivage, eau marronnasse encombrée de déchets, des petites filles m’abordent, auxquelles je préconiserais bien quelques cours d’anglais car leur vocabulaire semble se limiter à « Money ». Ames sensibles et odorats exigeants s’abstenir. Au bout de 30 minutes, je quitte…

-         Le Mahalaxmi Dhobi Ghat, qui est un énorme espace coincé entre voie ferroviaire et route, est un gigantesque lavoir et séchage à linge depuis près de 150 ans. Une armée de personnes y lavent et étendent le linge des hôtels et hôpitaux de Mumbai. Les cordes à linge sont de grosses cordes torsadées qui permettent de coincer les tissus à étendre. Un étonnant promontoire a été aménagé pour que les touristes aient un aperçu en surplomb. Pour une fois qu’on pense à nous ! Pour ceux qui veulent faire un tour à l’intérieur, des cerbères non officiels barrent le passage et demandent 300 INR pour la visite complète. J’ai trouvé cela excessif et des hollandais m’ont dit que ça ne valait pas vraiment le coup.

-         Des tas d’autres choses, l’ambiance, des quartiers aperçus depuis le taxi… mais bon, je ne peux pas aller serrer individuellement la main des 18 millions d’habitants !


J’ai pô vu :

-         Le Dr Bhau Dajilad Mumbai City Museum, fermé de mercredi, jour où j’avais évidemment prévu d’y aller. Paraît-il très très bien

-         Le National Gallery of Modern Art, fermé pour installation d’une nouvelle expo. Les commentaires sont mitigés. Les commentaires négatifs concernent surtout la cherté de l’entrée en rapport avec la qualité des expos.

-         Le Sakshi Gallery, fermée également pour nouvelle expo à venir

-         Et pleins d’autres trucs évidemment

Mais je suis content des 4 ou 5 jours passés dans la ville, bien que je sois également heureux de m’en extirper. Je vais aller lancer mon cochonnet ailleurs, trouver d’autres inspirations d’écrivaillon improbable. Oui oui, improbableuuuuuu, bas-bleu de quartier en culotte courte, gratte-papier besogneux et folliculaire de bas-étage 😊

Bien à toi, Benjamin, from India 😉