Je m’embarque pour le Gujarat, Etat du milieu ouest de l’Inde, dont la capitale, Gandhinagar, qui compte pourtant plus de 6 millions d’habitant, est loin d’être parmi les villes connues du pays. Ville sans intérêt, même pas signalée dans les guides à usage touristique, elle est s’ébroue à l’ombre d’Ahmedabad, réputée pour son patrimoine et sa vieille ville, paraît-il pour ses restaurants aussi, mais je les cherche toujours… 6 millions d’habitants tout pareil, à 30 kms à peine. Le Gujarat se situe entre Mumbai et le Rajasthan et est régulièrement sauté par les voyageurs pressés.

J’apprends avec horreur que dans cet Etat, l’alcool est officiellement interdit ! La faute à qui donc ? La faute à Gandhi Léon qui trouvait que ce n’était pas bien. Et que vient donc faire Gandhi dans cette décision gouvernementale ? Le Mahatma était originaire du Gujarat, voilà pourquoi, ça vous en bouche un coin. L’Inde lui est forcément reconnaissante, il a fait des trucs bien, pas toujours clean, notamment dans sa jeunesse (comme voler des sous dans le portefeuille de ses parents, tirer les couettes de sa voisine, se rouler des pètes et devenir avocat…), ça on le sait, mais de là à me supprimer ma bière bienfaitrice du soir !!! Et rendez-vous colmpte, MG n’aurait pas été assassiné en 1948, il fêterait ses 150 ans cette année ! Je ne peux revenir en arrière, je suis dans le train, orange et rouge à deux niveaux, direction Vadodara, 400 kms de Mumbai, le trajet dure 5 heures 30.

Le train express (réservation à l’avance impérative) est pas mal, climatisé, place réservée. L’Inde s’améliore, on peut réserver en ligne et s’éviter les monstrueuses queues à la gare, on n’a donc pas forcément de ticket, et le contrôleur n’est plus un composteur, il s’amène avec un gros listing des passagers et demande le nom des personnes assises, et il coche. Oui oui, moi c’est bien Eric.

Vadodara est une petite ville agréable, de près de 2 millions d’habitants quand même, ce qui la classe en situation non éligible sur la liste des villes indiennes, aérée. Je ressens l’air que j’avais oublié exister à Mumbai ! Sans rire. Mon hôtel, le Grg – 830 INR (11€) est classique, fonctionnel et sans charme particulier. La chambre empeste la naphtaline, ce qui fait fuir les cafards. Le ventilo fait un bruit excessif. Mais à ce prix-là je ne vais pas ma plaindre.

Deux principales choses à voir en ville, le Laxmi Vilas Palace, où vit toujours la famille royale locale, un des palais les plus grandioses du Gujarat, il est du XIXème siècle. Malheureusement, c’est la fête à Shiva et il est exceptionnellement fermé. Je regrette profondément. Je fais chou-blanc pour la même raison au Baroda Museum. Je me rabats sur une promenade au très agréable parc Sayaji Bagh qui contient un zoo, crocodiles, tigres, cerfs, etc. Les zoos, moi j’aime pas trop, et je m’installe à l’ombre pour finir mon bouquin. Grave erreur, à moins d’être en manque de compagnie, il ne faut pas s’arrêter en Inde. Comme le miel attire les mouches, le blanc-bec à l’arrêt est un aimant à indiens en mal de selfies, hellos et poignées de main. Aujourd’hui je suis de bonne humeur et me prête volontiers au jeu, ça leur fait tellement plaisir 😊. J’émets cependant quelques règles : une seule photo à la fois, destruction au bout d’un jour, pas de détournement, photo-shopping, diffusion sur les réseaux sociaux ni impression sur papier pour punaiser dans les toilettes ou parution dans la presse locale. Tu rêves Herbert ! Et les inévitables questions « where do you come from ? » « what is your name ? ». Je résous maintenant cette dernière demande de façon très simple, je dis m’appeler Oman, et c’est écrit sur mon chapeau. C’est beaucoup plus facile à comprendre que l’improbable Eouik 😊

Une cinquantaine de kms en bus, 1 heure de trajet, et c’est la vraie campagne ses petits oiseaux et écureuils. Le site de Pavaghad sur la colline (trop haut je n’y vais pas) et sa voisine Champaner. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre et je suis très agréablement surpris par cet ensemble d’anciennes mosquées du XVIème siècle disséminées entre villages, champs et forêts. Les groupes de touristes vont à la principale mosquée à la descente du car et me laissent tout seul à la découverte des autres. Quel bonheur ! L’entrée du site est très chère, 600 INR, près de 8€. Pour les locaux, c’est 40 INR. Le rapport est de 1 à 15. Un peu abusé non ? En très bon état et convenablement restaurées, ces mosquées (qui n’ont plus d’office religieux), sont classées au patrimoine mondial. Chouette ballade.

Mon premier thali à Vadodara. Ahlalaaaaaa… Le thali est une spécialité gastronomique indienne, plutôt du nord du pays je crois. Dans un grand plat rond en inox sont positionnés des petits bols en inox également dans lesquels sont servis toutes sortes de mixtures, salées, épicées et sucrées. Chapatis en accompagnement et deux verres de lait et eau. Chaque petit bol est une véritable découverte de saveurs. Si j’étais mal éduqué, je crierais ma joie. Ce soir, c’est au restaurant Aamantran, pas loin de l’hôtel. Si vous passez par Vadodara, svp, allez-y, vous m’en serez reconnaissants pour plusieurs générations ! Chaque serveur, ils sont 6 ou 7, est responsable d’un ou deux « plat » et ressert à volonté quand on a terminé ou jusqu’à ce qu’on dise stop. C’est remarquable et je n’en peux plus. Le fin du fin est l’arrivée de la cuvette en métal jaune dans lequel on se lave les main à l’eau chaude citronnée qu’un serveur verse d’une cruche du même métal. Folklore me direz-vous ? Il n’y avait que des indiens dans ce restaurant, comme dans la ville d’ailleurs… Tout cela pour 315 INR (5€). Dommage que je n’ai vraiment plus faim !


Revenons à Ahmedabad, 100 kms et 2 heures de bus depuis Vadodara. En voici un choc culturel. La vieille ville, à l’est du fleuve Sabarmati, est une monstruosité de bonheur architectural, inscrite au Patrimoine Mondial depuis peu. La ville a été créée en 1400 et quelques brouettes par Ahmed Shah, sultan de son état. Et je me souviens très bien que 400 ans plus tard, on considérait que la cité était une des plus belle du pays ! Tu m’étonnes Simone, plein de petites ruelles où les tuk-tuks ne passent pas et où on profite du calme. Sur les autres axes, guère larges, c’est dantesque et le piéton n’est absolument pas roi de ses pieds ! Là c’est vacarme et couleurs, commerces à profusion, scooters, tuk-tuks… Les anciennes maisons, de briques et de bois, très ornementées, subsistent toujours, en mauvais état naturellement, mais elles tiennent. C’est étonnant et magique. Si on regarde en l’air, on ne regarde plus ses pieds… Dilemme incessant. Ai-je déjà vu un ensemble si vaste, habité et plein d’histoire ? Pas sûr, ou bien c’était il y a longtemps. Le Reflex chauffe. Une intéressante promenade à faire : suivre le parcours proposé par l’office du tourisme de la ville, 2 bonnes heures de circuit le matin, un peu cher comme d’hab (300 INR), beaucoup de monde (essentiellement des indiens en weekend), mais cela permet de passer par les meilleurs endroits, mosquées, temples, mausolées, demeures... Je m’aperçois qu’au bout d’un moment je ne m’extasie plus, et pourtant c’est toujours aussi beau. Que faire pour maintenir en état et rénover ? Injecter quelques milliards de roupettes, expulser les gens et transformer en ville musée ? Bah….

Je loge au French Haveli (Haveli = maison de maître qu’on trouve au Gujarat et au Rajasthan), plein de charme au cœur de la vieille ville. French parce que c’est un architecte français qui l’a rénové, ce que je comprends… Ma petite chambre est adorable, le matelas pas trop dur (la banquette de lit mou 😊), la salle de bains séparée très chouette, patio, terrasse, salle à manger et autres parties communes pour se reposer, lire, etc., petit dej ultra copieux. Bref, plus maison d’hôtes qu’hôtel, demeure refuge que j’apprécie vraiment. Et Mohan est aux petits soins, pas toujours très compréhensible, mais aux petits soins. Plus cher évidemment, mais ça les vaut, 28€.


A l’extérieur de la ville se trouve l’ashram de Gandhi, où ce dernier a passé une quinzaine d’années à son retour d’Afrique du Sud, a viré sa cuti, fomenté la désobéissance civile, entamé la marche du sel et a fini par se faire emprisonné par les britanniques dont les oreilles commençaient à chauffer tout fort des agissements de ce maigrichon ! Pas hyper intéressant, mais calme apprécié le long du fleuve. On y prépare la venue de Trump himself demain en visite d’état en Inde. Trump et Modi, on les voit partout en ville sur d’énormes affiches, tout sourires et poignées de mains, bordées de slogans vantant les plus grandes démocraties qui se rencontrent et la promesse d’un futur brillant. Amis du populisme mondialisé, accourez ! Sourires de façade certainement, on a beau partager son goût pour la provocation, les insultes sur réseaux sociaux, et le culte de sa personnalité, on ne peut forcément que se détester. Mais dans ces milieux, qui aime ses alliés ??? « Faut-il aimer ses ennemis et peut-on haïr ses alliés ? », vous avez quatre heures… Le pire est que ces gens sont élus. Bientôt, la masse acculturée et manipulée par les réseaux sociaux, arrivera bien à installer au pouvoir quelques partis dystopiques ! Ah nous serons bien ! Les fastes de la visite officielle de Monsieur Big Mac sont évidemment controversée, les millions de dollars dépensés pour ces deux journées ne vont certainement pas rendre plus vivable la vie de ce bidonville qu’on a emmuré sur 2 kms pour le cacher aux yeux aseptisés de Donald et Melania lors de leur passage. L’Inde n’est pas fière de sa misère ! Je ne suis pas connu pour ma langue de bois, je ne vais pas commencer aujourd’hui à tenir des propos xyloglottes ! Reste qu’aujourd’hui, affublé de mon bermuda crade et effrangé et chaussé de tongs dont j’espère qu’elles tiendront le coup quelques temps, c’est moi qui serre les mains du peuple, accepte des thés impromptus dans des gobelets de carton grands comme deux dés à coudre et envoie mes plus beaux sourires stéréotypés.

Ahmedabad est le genre type de ville qu’on découvre avec le temps qu’on lui consacre, ne pas avoir peur de se mêler à la foule hyper dense du Chowk Market où c’est la folie commerciale, la folie des saris, un festival des couleurs de l’arc-en-ciel, d’entrer dans les cours ou les cul-de-sacs et s’extasier devant les portes brinquebalantes. Et revenir aux mêmes endroits à d’autres moments, car la ville évolue, ce qui était chaos hier soir, peuplé de marchands ambulants, de tuk-tuks, de motos et scooters, de vaches et de piétons imbriqués, peut être d’un calme intense avant l’ouverture (tardive) des boutiques. Les gens sont adorables. Les parents me montrent à leurs enfants comme si j’étais la Tour Eiffel (le Taj Mahal serait plus approprié), les femmes me sourient comme si j’étais un objet de désir, ce que je suis d’ailleurs, même si je reconnais que c’est un peu moins flagrant qu’avant 😉. Les jeunes nanas pouffent avec leurs copines quand c’est moi qui leur sourie, j’évite les contacts avec les jeunes mecs car c’est demande de selfie assurée, ils viennent bien à moi tout seuls 😊


Parmi les monuments de référence, chaque religion a son must : la mosquée Jama du XVème siècle et sa vaste esplanade bordée de 260 colonnes ; le temple jain Hutheesingh, seulement 170 ans et riches de centaines de délicates sculptures ; et le temple hindou Swaminarayan, vieux de deux siècles, en bois sculpté et très joliment coloré.

J’ai loupé le National Museum, un des 4 bâtiments construits par Le Corbusier à Ahmedabad, fermé le jour de ma visite, le Toilet Garden, même raison encore, décidément, qui a l’originalité de présenter schémas et maquettes de chiottes écologiques (40% de la population indienne n’a toujours pas accès à des toilettes correctes), le Callico Museum (collection de tissus, broderies parfois très vieux) parce qu’il fallait réserver et seulement un petit groupe est accepté chaque jour. Des suédois m’ont dit ensuite avec des paillettes dans les yeux, que la visite vaut vraiment le coup. Je suis évidemment loin d’avoir tout vu, j’ai beaucoup marché et sué, profité du calme de l’haveli. Maintenant, j’ai envie d’endroits qui ressemblent moins à de grosses villes…

La route qui mène à Palitana, 200 kms au sud en 5 heures de bus, est classique de l’Inde, morne et guère jolie. En se rapprochant de la mer, les marais salants sont malheureusement avalés par la route 2x2 voies en construction. Vers la fin du voyage, les cultures et collines rendent plus verts et acceptable le paysage. Palitana n’a guère d’intérêt, petite ville bruyante (donc indienne) et sans attraction touristique. J’irai à l’aube voir ses temples magnifiques. J’ai du temps, mon hôtel à l’écart est calme, ça tombe bien, je suis en pleine lecture d’un bouquin érotique. Notre ami gentleman cambrioleur de ces dames, parviendra-t-il enfin à pénétrer l’antre humide et chaude qu’il convoite avec avidité depuis un certain temps. Fracturera-t-il le portail en avant du jardin buissonneux ou forcera-t-il la petite porte à l’arrière ? La suite ne sera pas dans le prochain épisode 😉

Car c’est pour les temples jains de Shatrunjaya qu’on bifurque vers Palitana. Plantés en haut de collines, on monte un dénivelé de 500 mètres, 3.300 marches et 1h30 pour y parvenir. Je démarre mon ascension à 7h, le soleil pointe juste à l’embauche, j’accompagne de nombreux indiens, mais certainement pas tant que lors des grands pèlerinages. Des porteurs sont un peu insistants. Pour 2.000 INR AR, ils proposent une montée pépère (pour le client, pas vraiment pour eux ! dans une chaise de toile suspendue au milieu d’un gros bambou. Il faut donc 2 porteurs. Cela ressemble au gros gibier chassé et rapporté au village par les indigènes des bandes dessinées. Pour les gros clients, c’est carrément la chaise portée sur 2 gros bambous par 4 porteurs, genre chasse au tigre à dos d’éléphant. Vraiment pas une partie de plaisir pour les porteurs ! Le spectacle à l’arrivée est mérité. Mais quelle idée de toujours bâtir ses lieux de vénération dans des endroits impossibles d’accès ! Voici venir une forêt de temples très concentrée, construits au fur et à mesure depuis 900 ans ! Quelle majesté, j’en oublie presque que j’ai presque plus d’eau. C’est quasiment indescriptible, l’Inde possède un gigantesque patrimoine de cette nature, je reste presque trois heures au sommet à déambuler, me perdre, enlever mes chaussures, remettre mes chaussures… Lors de la descente, que je ne trouve pas si aisée, 3 français assez âgés me demandent avec espoir s’ils sont bientôt arrivés. Je leur dit la vérité crue, fallait pas demander. Je leur cache que 1) ils sont vieux 2) ils sont inconscients (il leur reste une demi-petite bouteille d’eau chacun 3) il commence à faire vraiment chaud…

Retour sur Bhavnagar, 50 kms en bus local, ville classique bruyante, commerçante et populeuse. Trop fatigué, je n’arrive pas à en voir les bons côtés. Balade dans la vieille ville en fin d’après-midi, vacarmantesque, les scooters et tuk-tuks envahissent les espaces autrefois dévolus aux piétons. Je ne regarde plus en l’air, je ne sors plus le Canon, les hellos qui me sont beuglés dans les tympans et les tirages de coude incessants des petites mendiantes finissent par m’horripiler. Je vais trouver refuge à l’hôtel et y dîne (mon premier repas de la journée, va pas chercher plus loin pourquoi t’es nase !!!).