Voici le dernier volet du Gujarat, comme celui qu’on raccroche en fin de saison dans la maison familiale. J’y aurai passé une vingtaine de jours. En provenance de Jamnagar, 6 heures de bus, il faut contourner le golfe de Kutch pour arriver dans la région éponyme et sa capitale Bujh. Au-delà, à l’ouest, c’est le Pakistan. Le Kutch a un relief particulier, très plat et de très faible altitude, qui fait qu’en saison de mousson, la mer montant et les rivières débordant, il devient une vaste île. En saison sèche, comme maintenant, l’eau s’étant retirée et évaporée, sur une vaste étendue, c’est le White Desert, ou White Rann. Le sel se dépose formant une grande banquise blanche incongrue, ou pénètre dans le sol, rendant celui-ci totalement aride. Une faune particulière s’y sent chez elle, comme les derniers ânes sauvages, des gazelles et quelques félins. Les dromadaires sont apportés pour la grande joie des touristes indiens (pas celle des camélidés en tout cas !) et les buffles n’en peuvent plus de passer et repasser nonchalamment sur les routes surélevées.

La région a subi un important tremblement de terre en 2001. Les traces sont très visibles sur les palais de Bhuj, les parties effondrées n’ayant pas été reconstruites et les profondes lézardes font craindre un autre coup du sort. Concernant les bâtiments du quotidien, c’est plus difficile à observer car tremblement de terre ou non, l’aspect demeure défoncé et désordonné. Très peu de bâtiments anciens. Il paraît que la ville, de 190.000 habitants, un gros village en quelque sorte, retrouve un semblant de vie. J’y arrive de nuit, difficile de me faire une idée d’emblée et me réfugie dans un homestay basique. Je change de crèche le lendemain, la chambre n’ayant pas de douche et, pour mes trois nuits prévues, ça fera un peu juste. Une apparition de type cameo en quelque sorte. Je m’installe dans un bien meilleur quartier, tout près des palais et du Shroff Bazar (rue commerçante) et au calme. L’hôtel Gangaram (1.000 Rps – 12€) est vaste, au calme, le manager est sympa. Pour rencontrer d’autres voyageurs, notamment français (nous aurions pu parler d’Anne Hidalgo ou de jardins à l’anglaise), j’aurais dû aller au City Guesthouse, pas loin, mais ça, je ne l’ai su qu’après. Les palais des maharaos (maharajah local) sont d’époques différentes, sur le même site et très agréables à visiter, dont un qui dispose d’une incroyable pièce vieillotte tout en miroirs. Plus loin, le Kutch Museum est sympa à visiter, mais c’est un énième musée ethnologique avec quelques collections de pierres, de monnaies, de tissus, de vie locale, etc. Dans quelques vitrines est représentée la vie locale campagnarde, la cuisine, le tissage, le feu… Dans chacune, la femme travaille et l’homme regarde 😊

Je suis venu dans le coin pour sillonner la région autant que faire se peut. Je ne souhaite pas non plus galérer dans des bus locaux interminables ni crécher dans des bouges. J’aurais bien pris une voiture avec chauffeur (hors de question que je conduise en Inde, ce sont des fous du volant) pour deux jours et dormir quelque part tranquillos. D’après le gérant de mon hôtel, cette possibilité n’existe pas, on ne peut prendre un chauffeur qu’à la journée. Il me montre un trajet qui sent le truc formaté. Je spécifie bien que je ne souhaite pas accumuler les visites d’ateliers et de boutiques d’artisanat, dont chaque village se fait une spécialité. De toutes façons, je n’ai pas le choix, je prends, ça coûte 3.750 Rps, permis compris (donc 45€). Dès le début, je sens mal Popul, mon chauffeur attitré. Popul est malade, a les yeux brillants de défonce, se mouche en permanence dans son tissu sale, se râcle la gorge très très loin et crache régulièrement en ouvrant sa portière. Et Popul roule très vite, double en dépit du bon sens, comme si on avait un timing à respecter. En fait je crains (à juste titre) le trip qui ne va pas me plaire, convenu, dans les sentiers rebattus et pressé. Donc j’ai du mal à me dérider après la visite d’un premier village (sans intérêt archi) où heureusement les brodeuses sont off, du fait que c’est jour férié. Ouf ! Dans le deuxième village, c’est broderie aussi, on va voir les brodeuses, qui font la tête autant que moi. C’est ensuite plus intéressant avec la peinture Rogan qui n’est faite et vendue que dans le village, motifs fins réalisés avec un stylet qui étire et applique un mélange d’huile en pâte d’une plante du coin et de pigment Le motif réalisé est alors appliqué en copie sur le tissu final, comme un tampon, puis séché. C’est pas mal d’un point de vue technique, la réalisation finale n’est pas ma tasse de thé. Plus loin est le fabricant de petites cloches. J’ai un peu de mal à m’extasier sur tout ça et il me semble toujours assez gênant de repartir les mains vides des boutiques attenantes aux ateliers. Un peu comme si après dégustation chez un petit vigneron, on disait merci et repartait sans au moins les trois bouteilles de rigueur. Mais bon, quand on n’aime pas, on n’aime pas ! Popul (dont je ne vous détaillerai pas le front, le front popul 😉) voit bien que tout cela ne me convient pas et me propose de lui-même de zapper l’atelier cuir. Comme c‘est dommage 😉 Je ne vous parlerai pas non plus de la figure compliquée de Popul, pas vraiment lisse, tout en reliefs acnéiques. Vizaj Ravajai, le mari d’une coiffeuse esthéticienne aveugle de la banlieue de Delhi, en a fait une étude de cas intéressante.

Et enfin un village différent, typique de maisons rondes aux motifs colorés très harmonieux, presque modernes, de très bon goût, au toit de feuillages. La spécialité du village est encore la broderie. J’achète une poupée de chiffon moche que je n’arriverai pas à revendre au prochain vide-greniers. Montée au Khalo Dungar, sommet « vertigineux » du Kutch (462m. !) qui doit offrir une superbe vue sur le white desert au coucher du soleil. Mais en plein cagnard de ce début d’après-midi, c’est juste une balade. Les indiens aiment bien, on y a monté des dromadaires entravés pour qu’ils ne se débinent pas, pour grimper les fessiers paresseux jusqu’en haut. Le plus remarquable reste ce White Desert qu’on va chercher à une trentaine de kilomètres plus loin, sorte de banquise de sel sur des dizaines de kilomètres, jusqu’au Pakistan et même au-delà. Mes tongs craquent la croûte de sel. Un observatoire permet de s’élever pour voir l’horizon blanc à 360 degrés. Là encore de multiples lourdes charrettes tirées par des dromadaires exténués ou de petits chevaux trouvent preneurs. C’est tout de même beau cette Nature changeante en quelques kilomètres à peine…

Aujourd’hui c’est Holi, fête des couleurs. Je voyais bien depuis quelques jours ces étals de jouets multicolores, façon revolvers à eau, cela me rappelait le Songkran thaïlandais, Fête de l’eau l’an passé (dont l’édition est annulée cette année, because coronavirus). Et puis ces autres étals de pigments séparés dans des petits sachets de plastique. Et cela a fait tilt. L’Inde s’asperge de couleurs au nom de Krishna je crois. A chaque fois l’on s’excuse, c’est la faute à Krishna 😊 Happy Holi. Allez, les enfants, on se lave les dents, on s’habille et puis Holi ! Moi je pars en excursion dans la campagne, je ne vois pas grand-chose du Holi. A mon retour, je vais à la recherche des traces de bagarres colorées. Assez peu, ça se bat beaucoup plus ailleurs…Aucune commune mesure ici donc avec le délire de Chiang Mai…


Avant de quitter le Gujarat et rejoindre le Rajasthan par un bus de nuit, je vais passer la journée à Mandvi, en bord de mer. 1 heure de trajet en taxi jeep collectif. Sur les berges des chantiers de construction de gros dhows (gros dhow, pigé ?). Et la vieille ville, qui a moins souffert du tremblement de terre que Bhuj, a des bâtiments colorés très pittoresques. Le bleu des murs délavés et le soleil piquant donnent des allures de fin de terre, de sel de mer, de marins… mais je ne vois pas son port, ni ses plages. J’aime me perdre dans les ruelles, chaque détour dévoile une magnifique et lourde porte de bois, ou un portail entrouvert sur une superbe demeure… Un tuk-tuk (on dit moto ici) m’emmène au palais Vijaya où demeure le dernier maharao. Il s’arroge le premier étage de ce petit palais, c’est déjà pas mal. Et le commun des visiteurs déambule au rez-de-chaussée, sur le toit et les jardins. L’environnement est étonnamment très vert et planté. Ça se visite vite. Une petite fille toute fine, toute jolie s’approche de moi timidement et me demande une photo. Comme je ne sais pas résister aux femmes, j’accepte volontiers et me prépare à son selfie. Mais en fait ma bobine ne l’intéresse absolument pas, elle souhaite que je la prenne en photo toute seule devant le palais avec mon Reflex 😊 Je me prends un petit vent, une brise légère, un courant d’air frais 😊 Elle n’emportera pas sa photo, donc sa motivation ? Rester à tout jamais ma princesse de papier peut-être 😊

So long Gujarat...

J’avais pourtant réservé une couchette du bas, et me voici positionné à la couchette G, supérieure où la place est vraiment minimisée par la pente de la carlingue du bus. Largeur de la couchette 45 cms, impossible de se retourner, ni de tendre complètement les jambes. Bref, un moment peu confortable à passer, 8 heures exactement depuis Bhuj jusqu’à Abu Road (Pennylane…). Arrivée prévue 5 heures du matin. A 4h30 je suis réveillé par un retentissant ABUUUUU ROAAAAAD. Oups, j’ai dormi donc ! Branle-bas de combat, je reboutonne tout ce qu’il faut et m’extirpe de mon cercueil-couchette. Je me fais transporter jusqu’à la station de bus générale où une jeep partagée me propose la montée jusqu’à Mount Abu. Le chauffeur me propose de m’emmener directement jusqu’à l’hôtel que je lui nomme et m’arnaque au passage. Tant pis, je m’en remettrai, j’ai trop envie d’un lit. Ca caille, j’ai le temps de boire un thé au milieu des braseros que les lève-tôt allument. Pas de bruit, les gens sont encore ensommeillés. Mount Abu est à plus de 1.000 mètres d’altitude, il s’y trouve le point culminant du Rajasthan. Car me voilà maintenant au Rajasthan, j’en attends beaucoup, j’espère pas trop. Tout cela est rondement mené. A 5h30, me voici en haut. Bourré de scrupules (si si), je réveille le portier de l’hôtel. L’hôtel est complet. Arghhhh ! Il fait vraiment très froid, au moins –25 degrés Fahrenheit. Le portier m’indique un hôtel plus haut, le Yorkshire Inn. Impossible de réveiller les employés. En Inde, les hôtels se barricadent la nuit et les employés dorment par terre dans le lobby, très profondément surtout lorsqu’ils sont jeunes. Je me résous à m’allonger sur une banquette dehors, il fait horriblement froid et me voilà SDF, je vois le jour se lever. A 7 heures, j’estime que la sieste des employés a assez duré et je tambourine. Ils ne parlent pas un mot d’anglais. Quand je demanderai du papier toilettes, il m’apporteront le journal, puis des serviettes en papier. Alors il faut dire « roll paper ». Tant bien que mal, j’arrive à ma faire refiler une chambre et je m’allonge du sommeil du juste. Pas d’eau chaude, j’y suis relativement habitué sans que ça ne me gêne trop. Mais ici, l’eau qui sort du robinet et du pommeau est glaciale, idéale pour un whisky tonic ! Je vais utiliser mon droit de retrait de douche pour quelques temps, na !

Outre la fraîcheur qu’on trouve à Mount Abu après les températures harassantes des environs, c’est un joli petit lac dont on fait le tour au calme en moins d’une heure, j’y reviendrai avec mon bouquin. C’est une petite ville de 20.000 habitants, donc rien, et assez propre. Je m’étonne que les anglais, pourtant si prompts à chercher la fraîcheur du temps de leur splendeur indienne, n’aient pas laissé d’empreinte architecturale, de jolis bâtiments coloniaux. La ville ne comporte rien d’intéressant à ce point de vue. Il paraît que les gujaratis, abstinents contraints d’alcool chez eux, viennent se torcher la tronche à Mount Abu qui est au Rajasthan et à 5 kilomètres du Gujarat. Je n’ai pas vu de scène alcoolique, mais en tout cas, les hôtels fleurissent dans la station, même un Hilltone et un Sheratone, même si ce ne sont que les homophones.


Et ce sont surtout des temples jains magnifiques, rassemblés un peu plus haut à 30 minutes de marche. Le premier est millénaire, remarquablement conservé, tout blanc, tout en marbre dentelé et un enchevêtrement hallucinant de petites sculptures d’apsaras, d’éléphants, de déesses, etc. Je n’avait jamais vu une telle densité de prodiges. L’Alhambra de Grenade est plus vaste, mais n’atteint pas la magie d’ici. C’est dire ! Le désavantage des temples jains est qu’on ne peut prendre de photos, vraiment dommage, ce ne sera que dans ma mémoire, et en plus, il y avait du beau mondé plein des couleurs de l’arc-en-ciel à saisir. On ne peut pas non plus y entrer avec du cuir (ceintures, sacs…) et les femmes qui ont leurs règles n’y sont pas autorisées. Pour le cuir, je pense que c’est une histoire de grosses vaches. Pour les femmes menstruées, je ne sais pas la raison, la même histoire peut-être ? 😉

Et pendant ce temps-là, une petite épidémie pangoline de rien du tout fait tourner le monde à l’envers. Les bourses krackent ? Nos actions perdent de la valeur ? Achetons des actions sociales, des actions contre la faim, contre l’eau qui se pénurise, des actions vérité sans langue de bois qui ébranleraient certains de nos dirigeants, qu’à leur décharge, nous avons-nous-même mis en place… Tiens, le premier d’entre eux (dans la connerie), le guignol ricain, le grossier fanfaron de la Maison Blanche, celui qui vient de décider de fermer son pays aux européens. On comprend cela temporairement évidemment, et il n’est pas le seul. L’Inde s’y colle. Mais il exclue le Royaume-Uni de sa décision ! Pourquoi ? Le RU est également infecté pourtant et il y a fort à parier que leurs statistiques explosent dans les prochains jours. Dans ses messages de l’ordre de la santé et de la sécurité, cet imbécile, qui a la facilité de donner des leçons sur ce qu’il ne connaît pas, mais entre bouffer des hamburger, twitter et regarder Fox News, on ne peut pas tout apprendre, il mélange agréablement la politique, le dénigrement, les provocations et la dégringolade de ceux qui pourraient lui résister. Et ce bonhomme adipeux et moumouté se croient de plus empereur de droit divin, au-dessus de ce qui peut arriver au bas-peuple auquel il a eu la chance de ne jamais appartenir. Ce corniaud sans culture refuse d’être testé alors qu’il a manifestement côtoyé quelqu’un (un brésilien my God !) qui s’est avéré contaminé. Se croit-il de naissance immunisé ? Je rigolerais, et même pas jaune, s’il devenait malade. Comment se fait-il qu’un seul mot de ce type, dont tout le monde sait que c’est un crétin, puisse mettre le feu aux poudres boursières ? Il a juste la chance d’avoir pour lui le Dieu Dollar, me confiait Yanamarh Daibiyaiver, économiste de renom, conseiller du concierge de l’attaché à la propreté des toilettes du premier étage.

Je continue dans mes analyses toujours primaires, je le concède. Je suis loin d’être un expert, mais il ne me semble pas qu’on ait droit à un krack boursier chaque année, alors que la grippe saisonnière, rien qu’en France, fait 8.000 morts (2018-19)… Quand va-t-on finir d’être dépendants de ce monde absurde. Quand va-t-on réussir à enfin s’unir en Europe et contrer manigances et provocations ? Les Etats-Unis sont peut-être encore nos alliés sur le papier, mais il y a bien longtemps que ce ne sont plus nos amis. Et pendant ce temps-là, on fait le décompte morbide des contaminés, des guéris et des morts, pays par pays. Pour une fois, on espère être les derniers de la compétition. Les Etats-Unis rejettent la faute sur l’Europe. Ben tiens ! Et ça sert à quoi ? Les experts étasuniens disent eux-mêmes qu’ils ne savent pas trop combien sont contaminés. « Tout est sous contrôle » assène l’homme des cavernes.

Pour l’Inde donc, elle prend le bon sens de se protéger. Echaudée par ce groupe de touriste italiens contaminés en goguette dans les forts du Rajasthan, elle ferme ses frontières de façon drastique et ne délivre plus de visa aux ressortissants européens et d’autres bien infectés. Ca se comprend. Que chacun reste avec sa merde. Et l’Inde n’est certainement pas armée pour faire face à une gigantesque épidémie qui frappe les faibles qu’elle a en nombre. Il n’y a pour autant pas de raison qu’elle y échappe un peu comme les autres. Si tout le monde érige ses propres murs, les compagnies aériennes vont finir par cesser leurs envols à vide. Sylvain ne sait pas s’il pourra revenir des Etats-Unis la semaine prochaine. Christian et Françoise voient leur prochain voyage en Jordanie annulé. Moi-même qui mène la vie dure en ce moment, je subis les annulations de mes locations. Côté positif, me voilà hors de contrainte pour mon retour et j’ai déjà le choix dans la date (la même et vieille contrepèterie usée que j’emploie à chaque voyage 😊). Je reviendrai en plein pic épidémiologique, puisqu’il paraît que nous n’en sommes qu’au début. Mais aurai-je seulement un avion pour y poser mon popotin ?


Bon allez, je retourne bouquiner 😊