Bonjouratous,

Ricou retaille la route, il est temps. Après quelques petites virées covidiennes franchouillardes, grecques ou espagnoles tranquilles depuis mon rapatriement en urgence d’Inde en mars 2020 (oui déjà !), la bougeotte me reprend. J’ai l’opportunité d’évasion d’une dizaine de jours. Je pense d’abord retourner en Grèce, me baser à Thessalonique dans le nord pour écrire, ce qui serait raisonnable. Ce serait du séjour, pas du voyage. En octobre ça devrait passer, la mer encore chaude, les gens, sauf les vieux, au travail. Comme d’habitude, je me nourrit du projet, pas question de revenir en arrière, c’est bien ancré. Je regarde les cartes, les possibilités, les billets d’avion, les prix. Eviter de dépenser plus que le revenu de ma location. Et puis mon regard se porte sur la gauche, vers la mosaïque balkanique, les fragments yougoslaves, aux portes de notre Europe mais qui ne sont pas près (ni prêts) d’y entrer. Aujourd’hui, seules la Croatie et la Slovénie sont intégrées. Les autres, tintin. Et il y a cette Albanie, bien à part, grande (ou petite) comme la Bretagne, au passé si tourmenté, si dur, fermée dans sa dictature paranoïaque et bouchère pendant plus de 40 ans, jusqu’en 1991. Va pour l’Albanie alors…

J’y suis allé une seule fois, en 1988, il y a 33 ans, l’âge du Christ. Je sors mon album photos dédié, plein de photos jaunies petit format quelconques, avec mes cheveux et mon ventre plat d’alors. Quelques souvenirs reviennent. Les grandes avenues de Tirana sans voitures, menant à d’imposants palais de type soviétique, à l’écart des maisons délabrées et des rues poussiéreuses. C’est grandiose et oppressant. Je lis quelque part que la circulation automobile est aujourd’hui intense et anarchique dans la capitale. Je vais voir ça. Dans mes souvenirs aussi, la multitude impressionnante de tout petits bunkers dans les campagnes, comme des igloos de béton, inutiles militairement, mais il fallait faire croire à la population de l’imminence d’invasions étrangères hostiles. Il y en avait 700.000, un pour 4 habitants ! En reste-t-il ? Et puis cette côte adriatique déserte, alors que sur l’île de Corfou, 5 kilomètres de mer à peine au large, on faisait la fête. Aujourd’hui, les stations balnéaires ont poussé, la riviera albanaise est prisée, la mer émeraude ou turquoise est la même qu’ailleurs dans les parages, autant en profiter et aligner les transats à outrance l’été. On me dit que ce dernier été, l’Albanie ayant fait fi de contraintes sanitaires, la côte était surbondée, apriori sans conséquence covidique, va comprendre Alexandre. Je vais voir ça aussi. Et ces magasins aux vitrines minables, un petit morceau de viande à son crochet faisant la joie de familles entières de mouches, trois ou quatre parfums d’origines improbables se concurrençant sur une longue étagère usée, des légumes arrachés à la terre, dans de petits paniers, que nos clochards n’oseraient pas voler dans les poubelles des supermarchés… Et puis la tristesse sans artifice des hôtels faits pour dormir et non s’y sentir bien, des hôtels sans charme. Et encore notre détresse dans les rares restaurants, il y avait heureusement des byreks à peu près partout, feuilletés de fromage et épinards je crois, mangeables. Qu’est-ce qui a changé d’autre ? A peu près tout je pense, en bien comme en moins bien, cela dépend certainement de quel côté on est. L’élite mafieuse a sans doute remplacé l’élite communiste. C’est peut-être la même, mais je ne suis pas expert.

En 1988, il n’y avait pas de visa touristique. Un copain faisait son service à l’ambassade de France à Tirana. Nous avions pu entrer dans le pays par son intermédiaire. Lui et sa femme étaient venus nous chercher en R5 bleu électrique bien usagée à Dubrovnik qui était encore yougoslave. Au moins 250 kilomètres de route, soit pas mal d’heures de trajet, et autant pour le retour. Je me souviens du passage du miroir sous la voiture à la frontière et de la fouille approfondie de nos sacs qui ne contenaient guère plus que quelques t-shirts et bermudas, des traveller-chèques inutiles sans doute aussi. Ce sera plus simple cette fois-ci, passe sanitaire en poche, ça suffit. Les vols sont low-costs, ceux dans lesquels une simple valisette en cabine, coûte plus chère à voyager que la personne assise (placement aléatoire, à moins qu’on paye en plus). Ces compagnies qui bombardent d’emails stressants destinés à vendre surclassements, sièges prioritaires, bagage en soute, assurances annulation et blablabla. Ma valisette a-t-elle bien les dimensions requises pour être en cabine ? Est-ce que je peux me permettre un petit sac à dos en plus ? Stress inutile, tout passe comme sur des roulettes, ils ne mettent pas les moyens humains pour pinailler. De toutes façons, pas de vol direct abordable. Je décolle de Beauvais, ce qui me convient, sur Ryanair pour Bari dans les Pouilles. Puis l’hongroise Wizzair prend le relai jusqu’à Tirana. Coup de l’opération vol : 188€ AR, pas de bagage en soute. Une solution (plus) intelligente aurait été de prendre un vol pour Corfou, vol direct et pas cher sur Transavia, puis prendre un rapide ferry pour Saranda au sud de l’Albanie. Mais j’ai pensé à cette solution plus tard. C’est un road-trip, je lis quelques blogs, 10 jours seront bien courts, il faudra faire des choix. Qui dit road-trip dit voiture. J’en loue une à l’aéroport. Modèle bas de gamme, pour une fois je prends une assurance complète, ça semble judicieux en Albanie, même si ça double le prix. Coût de l’opération location voiture : 240€ pour 10 jours.

L’Albanie en quelques autres chiffres : 3 millions d’habitants (autant en diaspora), dont plus du quart à Tirana, un PIB par habitant ridicule, 4 pays à ses frontières (le Monténégro, et que ça saute !, le Kosovo, le plus albanophobe de tous, la Macédoine du Nord et la Grèce), l’Italie est à quelques encablures, 90 kms au plus près, mais il faut savoir bien nager, 60% de musulmans (pas trop furieux), 10% de catholiques, 7% d’orthodoxes. Y sont nés Mère Térésa et Ismaïl Kadaré, et bien sûr le sinistre Enver Hodja (pet à son âme).

Il fait nuit à 18h, à peu près l’heure où j’atterris. Pas de tampon sur mon passeport. Déception. Je change de l’argent, 1000 lek font un peu moins de 9 euros, c’est presque facile. J’achète une carte sim, justement 1000 lek pour 14 jours, ça marche tranquilou. Je vais chercher ma Punto. Bonne nouvelle, on me donne un modèle supérieur pour le même prix. Je n’ai pas regardé la marque ni le modèle, mais ce que je vois tout de suite est l’emplacement spécialement prévu devant le pare-brise pour positionner mon smartphone sans qu’il tombe ou que j’ai à le tenir. Je pourrai me diriger à l’aise Blaise. Oui je sais, je ne cesse de clamer qu’un voyage réussi est un voyage où on se perd ! Mais là, très sincèrement, il fait nuit, je suis seul, je ne connais pas la route, je me suis laissé dire que la conduite albanaise était sans concession (j’appréhende un peu) et j’ai envie d’arriver à mon hôtel safe et au plus vite. Et je revendique la possibilité d’être de mauvaise foi parfois. La route est nickel, large et convenablement éclairée. Les abords ressemblent à n’importe quels abords de route menat de l’aéroport au centre-ville : succession de centres commerciaux, sièges de marques internationales, banques et concessionnaires auto. Les enseignes succèdent aux enseignes. Google maps me perd un peu en fin de parcours, tente de me faire prendre des escaliers. Je dis non tout cru et retombe sur mes roues.

Mon hôtel, l’Areela boutique, 56€ pour 2 nuits sur Booking (j’aurais pu 40€ mais c’était un lit simple) est très chouette. Hôtel de charme super bien décoré dans un quartier calme qui semble se reconstruire. La minette de l’accueil a les yeux qui brillent quand elle constate que je suis français. Je reste sur cet aspect favorable et évite de lui dire qu’elle n’était certainement pas encore un projet quand je suis venu pour la première et seule fois dans son pays. Elle m’explique tout bien, me donne les indications d’une pizzeria pas trop loin. D’ailleurs rien n’est trop loin à Tirana. Sur le chemin de ma pizza, il y a plein de cafés. C’est soir de match, Albanie-Pologne, les cafés sont pleins. J’apprendrai plus tard que furieux du but polonais, le public a lancé des bouteilles sur les joueurs, le match a té interrompu. Je note donc qu’il ne faut pas rendre furieux mes futurs interlocuteurs. Personne ne porte de masque. Il va falloir que je m’habitue. Je croise les cafés Mon amour et Mon chéri, je verrai aussi un café Eiffel et une boulangerie parisienne. Mais qu’est-ce qu’on leur a fait ? J’avale ma pizza à 5€ et vais faire un tour vers la place Skanderbeg, immense et pas loin. A l’un de ses angles, des gens dansent autour d’une musique traditionnelle, ça apporte un peu de vie dans le vide de la place.

Et demain il fera jour…