18 jours plus tard, retour en Grèce. Kalimera ou Kalispera selon l’heure. J’avais à faire. Une petite semaine à Corfou, la 7ème île de Grèce en taille. Vol direct 2h30. L’aéroport est à portée de pieds de la ville-capitale. Corfou, la plus septentrionale des îles ioniennes, mais aussi la plus occidentale de Grèce, regarde l’Albanie en son nord. Les agences proposent un aller-retour dans la journée pour Saranda (bof) en 25 minutes de ferry et le site de Butrint pour ceux qui aiment les vieilles pierres plus ou moins debout. Pour dire « On s’est fait l’Albanie ! » et rompre la monotonie des vacances transat-terrasse. Car Corfou est résolument vacancière, balnéaire. L’île, près des villes, me fait penser au midi varois avec ses enfilades de loueurs de voitures, de tavernes diverses, de supermarchés, de vendeurs de matériaux, de sorties de plage... Pas autant, je m’autorise juste le parallèle. Rien à voir avec le nord de la Grèce, plus dans son jus.

Il y a un (très) léger rapport avec mon précédent trip macédonien. Retour en arrière, 1915. Les Serbes, à peine obtenu de nouvelles frontières après les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913, doivent se défendre bec et ongles contre l’Autriche-Hongrie vorace. Le rapport des forces est inégal, les Serbes sont valeureux mais doivent plier. Les troupes vont se refaire une santé à Corfou. Il n’y avait pas d’appartements-studios ni de club Marmara à cette époque et le Club Med était loin d’être un projet. Les plages existaient, mais savaient-ils nager ? Certains y sont venus mourir (cimetière serbe dans la ville de Corfou). Après ce repos mérité, les troupes serbes sont allées rejoindre les collègues alliés de l’armée d’orient sur le front macédonien, pour tenir ce front et plus si affinités… Les Serbes sont réputés particulièrement hargneux. Corfou avait l’habitude des envahisseurs : corinthiens, romains, byzantins, vénitiens, napoléoniens et Rule Britanniens… Elle fut enfin rendue à la Grèce en 1864 comme les autres îles ioniennes (Leucade, l’Ithaque d’Ulysse, Céphalonie, Zante). Toutes les îles de Grèce ne sont pas en Mer Egée. J’ai commencé à lire « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix, un de ses best-sellers où il raconte sa guerre, celle d’Alsace et de Lorraine, un autre front, pas celle de Macédoine de mon grand-père. Dans la longue préface, j’y apprends que Momo prenait ses notes dans un petit carnet de toile noire huilée. Exactement le même support que celui utilisé par mon Bompé. Ce carnet était-il fourni par l’armée à ses trouffions ? Je retrouve les mots employés par mon grand-père : marmites (obus), entonnoirs (trous d’obus), boîtes de singe (conserves de corned-beef), Boches, saucisses (dirigeables type zeppelin), etc. et l’expression du moment « C’est épatant ! ».

La vieille ville de Corfou est vaste et magnifique, immeubles vénitiens à néoclassiques colorés. Il y a du monde, ça se sait qu’elle est belle et qu’on y trouve de beaux souvenirs. Je redouterais de venir ici lors de l’été calendaire. Nous sommes fin mai… et c’est l’été hors vacances scolaires. Il y a néanmoins du monde, mais c’est supportable. Les restaurateurs connaissent la loi de l’offre et de la demande. Les prix sont plus élevés et les portions plus petites. Quelques chouettes petits musées. Le musée municipal présente dans quelques salles d’un beau palais des peintres corfiotes, beaucoup de portraits, très sympa. Un musée des arts asiatiques occupe un grand palais. Assez incongru ici, j’y fonce Alphonse. Pour la partie indienne, il y a un léger rapport. Alexandre le Grand a poussé ses troupes jusque dans l’ouest de l’Inde, entre Indus et Gange. Mais Alexandre le grand était macédonien… Bref, j’ai beaucoup aimé la partie indienne, très didactique. J’ai moins aimé les étages japonais et chinois mais je concède qu’il y avait des objets admirables. Pour clore l’espace, exposition superbe de tapis afghans anciens. Un petit musée byzantin aussi avec une très belle collection d’icônes. Et pour clore le tour des musées, un musée archéologique, c’est obligé en Grèce, issu des fouilles effectuées à Corfou, assez peu de choses mais rénové récemment, très espacé, lumineux et agréable à visiter. L’avantage des musées est qu’il y fait chaud l’hiver et frais l’été. Ça devrait remuer les foules. Et bien non. Ils sont déserts. Et ça manque cruellement de jeunesse. On ne fait pas faire aux gens ce qu’ils ne sont pas venus faire. Les gens boudent les musées. C’est général, c’est passéiste. Il faut leur offrir de grandes expositions bien médiatisées où ils adorent ne rien voir et se marcher sur les pieds. Ils regardent les vitrines où les tableaux sur l’écran de leur smartphone puisqu’aucune œuvre ne leur échappera... Comme Ramsès 2, une catastrophe à peine intéressante, très tape à l’œil, certainement très chère à monter. j’y ai vu des gens venir en famille, avec petits enfants et poussettes !

A Corfou, je sors de ces musées tranquilles, la foule est dans les rues commerçantes et les restaurants. L’avantage des musées est qu’il n’y a personne. L’inconvénient pour les musées est qu’il n’y a personne ! Il se posera bien un jour l’intérêt de financer et d’entretenir des lieux et sites culturels et patrimoniaux qui n’intéressent plus personne. Les musées donc, le cinéma d’auteur, la littérature bien écrite, le théâtre, la télévision de qualité… Le choc risque d’être percutant pour nous, (futurs) retraités.

J’avais réservé une petite voiture. On m’octroie une Fiat à rallonge, comme si j’allais conduire les Gipsies King sans en oublier un ! Ça ne m’arrange pas. Pas besoin de grande voiture en Grèce, surtout dans une île. Pour négocier des virages serrés et des pentes raides et cabossées, pénétrer dans les rues étroites et sinueuses des villages, croiser d’autres véhicules sur des routes à une demi-voie, se garer tout simplement. « Je suis Eric, bien sous tous rapports, physique avantageux et rire communicatif… Echangerait limousine blanche contre citadine, peu importe la couleur ». Je change le lendemain. Ils n’ont toujours pas de petite voiture mais ils m’en trouvent une, une Micra. Je ne pensais pas pouvoir être aussi heureux de conduire une Micra ! Ils essaieront de refourguer leur serpent à roulettes aux clients suivants.

Je loge en retrait de Corfou ville (Kerkyra pour les locaux), 10 minutes du centre en voiture. A la fois bien et mal placé. Bien pour aller explorer le reste de l’île. Mal car pas dans la proximité immédiate de la ville. Mais les propriétaires, Christina et son mari, sont adorables. Ils m’accueillent comme si j’étais Homère ou Aristote. Christina a préparé une pastitsia (gratin de pâtes, viande hachée et béchamel) et m’en propose une grosse part. J’ai mangé dans l’avion, pas faim. Je retrouve l’assiette dans mon frigo. Ça fera mon dîner. Ça cale sec. Son mari m’aide à faire les manœuvres de mon char pour éviter les éraflures onéreuses. Ce soir sur TV5 Monde, c’est Capitaine Marleau. Une première pour moi. Une dernière aussi… Il me manque un petit balcon ou une terrasse pour profiter à plein du logement, y rester un peu, poser mon ordi.

J’en rêve depuis ce matin avant même le décollage. Plage de Kontogialos sur la côte ouest, face à l’Italie, à hauteur du talon de la botte. On ne la voit pas, c’est loin tout de même, 300 kms à peu près. Dimanche après-midi, il y a un peu de monde, les enfants ne sont pas couchés, mais c’est très correct quand même. Beau sable doré, pente douce, eau transparente, température au poil.

Direction le sud en longeant la côte est, face au continent grec, l’Epire à la côte montagneuse et inhabitée. On le voit en permanence. J’ai aimé le petit bourg de Benistès, petite station balnéaire où on parle allemand (comme partout), un café sous les platanes. J’ai apprécié ma longue baignade un peu plus bas en bord de route, personne ou quasiment. J’ai bien déjeuné à Mesongi, les pieds presque dans l’eau. Salade grecque de rigueur pour commencer et très bon pain aillé. La suite de la côte voit défiler les petites tavernes où je regrette à chaque fois de n’avoir plus faim. Je prends une auto-stoppeuse. Je ne comprends pas où elle va mais ce n’est pas loin d’après elle. J’ai le temps, pas de souci. Elle sent fort des aisselles. L’émotion sans doute. Les fenêtres sont ouvertes. Je la dépose au petit bourg de Boukari, où j’étais déjà 20 minutes plus tôt. J’ai fait une boucle sans m’en apercevoir.

Lefkimi, gros bourg du sud de l’île, m’a déçu, aussi on ne se pointe pas en ville aux heures les plus chaudes en se disant que ça va se rafraîchir d’un coup comme ça. Tant que j’y suis, je vais à la pointe sud, à Kavos. Personne n’en parle. Il y a des gens qui aiment se rendre aux endroits dont personne ne parle. J’en suis. Peut-être une zone encore inexplorée, des sites à découvrir, des photos insolites à faire. Mon cul mon œil. On n’en parle pas parce qu’il vaut mieux pas. C’est visiblement un lieu de vacances populaires, enfin pour ceux qui aiment ce genre de vacances les chaussettes dans les sandales, dodo, plage, bière. Les côtes de Corfou sont ponctuées de stations « balnéaires » de ce type. Multiples tavernes, un kebab voisine avec un karaoke, plus loin une grande boutique d’articles de plage aux couleurs bien criardes. Je n’y mettrais pas un orteil en été. D’ailleurs je retire vite celui que je viens d’y introduire. Je vais penser à l’avenir de notre monde dans l’eau veloutée de la plage Gardenos, au sud-ouest de l’île, très bon sable fin doré et mer peu profonde.

Impossible de se garer à Corfou (ville) en journée. Je laisse tomber et pars vers le nord, plus large et montagneux. La route est agréable mais je suis déçu. Je ne trouve pas de charme aux rares villages traversés, tant mieux pour leur tranquillité. Pas de site exceptionnel. Corfou a pour atout ses plages (très) nombreuses, bien qu’elles ne soient pas les plus belles de Grèce. Les plus belles plages que j’aie jamais vues de tous mes voyages étaient à Leucade et Céphalonie, deux autres îles ioniennes plus au sud. Je compare avec Lemnos, encore fraîche à mon esprit, pourtant de bien moindre renommée. J’avais été surpris par son humilité et les paysages somptueux incessants, tant côté mer qu’à l’intérieur de l’île. Je n’ai pas encore cette émotion à Corfou. Pas encore. Je vais me baquer à Agios Stefanos, petite station balnéaire assez tranquille du nord-ouest et sa grande plage de sable fin. Jusqu’à présent, les plages que je fréquente sont en eau peu profonde. Il faut aller chercher loin le suicide par noyade. Mais quel bonheur quand on y est. Je retourne sur Arillas, autre petite station où je déjeune de deux belles tomates farcies. L’orage gronde dans les hauteurs. Je snobe les stations balnéaires du nord, mon allemand n’est pas encore au point, et grimpe au vieux village de Peritheia avec ses maisons de pierre rénovées. Un bon grain m’y accueille. Si ça vaut le coup, j’y reviendrai. Je fais un tour rapide, mes tongs glissent sur les grosses pierres polies (Bonjour Monsieur, Bonjour Madame) et mouillées. Je n’y reviendrai pas. Autant de tavernes que de maisons. Retour à l’appartement, sans passer par la case ville. J’ai envie d’être remué. Demain sûrement.

Alors je pars vers l’ouest après un capuccino en terrasse face à la petite île de Vido, à Kerkyra. Je paye le prix de la terrasse on dirait. C’est l’été avant de l’être. L’été, c’est les jambes des filles ou les moustiques. J’ai fait mon choix. C’est le soleil, la chaleur qui dénude, la chaleur qui assoiffe, les douches froides bénies, l’ouzo frais, le retour des tomates, courgettes et aubergines, la conduite fenêtres ouvertes à hurler des chansons stupides, les bains de mer quand on veut… Pas si mal l’été. A Doudakès, il y a une petite place toute mignonne et rikiki où s’agglutinent quelques tavernes de part et d’autre de la petite route où les voitures font des prouesses de manœuvres pour se croiser. Un souvlaki de poulet ? Parfait. Je gère à distance un problème d’alarme et de serrure de ma maison. Je ne dis pas à mes interlocuteurs d’où j’appelle, pour ne pas énerver. Plus loin, Paleokastritsa et sa côte superbe et bien exploitée, donc du monde sur les criques secrètes. Des promène-couillons trimballent les vacanciers le long des côtes, à l’assaut de grottes et plages inaccessibles par la terre. C’est sûrement très bien. De haut, les bateaux à l’ancre paraissent léviter tant l’eau est transparente. Un petit monastère en promontoire se visite l’après-midi, vue excellente, les cars de touristes grimpent jusque-là. Je me baigne à la très jolie plage (je ne suis pas le seul à le penser visiblement) de galets de Liapadès. Que la mer est bonne et que le soleil tape fort. C’est enfin à Pélékas, village tranquille haut perché que je vais boire une bière méritée. Vue à 360° sur Corfou. L‘orage tonne encore sur les hauteurs au nord, ça ne viendra pas jusqu’ici. En descendant de Pélékas, petit détour à la grande plage de Glyfada, bon sable fin doré, bel écrin de falaises verdoyantes, quelques constructions viennent abîmer le décor, mais c’est bien pire ailleurs.

Je viens chaque jour faire un tour à Kelkyra, musée, café, photos, boutiques. Le point culminant de l’île est le mont Pantokrator (900 mètres) d’où on a une vue à 360 degrés, notamment sur Saranda et la péninsule de Butrint en Albanie qui paraissent très très proches. Elles le sont, au-delà de l’étroit détroit où, il y a quarante ans à peine, on ne s’aventurait pas en voilier ou planche à voile, au risque de se faire canarder comme un lapin (ou lapiner comme un canard) par les albanais paranoïaques, enfermés dans leur petit territoire, comme l’est aujourd’hui la Corée du Nord. Un petit monastère fait le chapeau de la montagne malheureusement défiguré par une énorme tour de télécommunications en ferraille. Certainement utile mais très moche. La route d’accès ainsi que les routes secondaires de cet intérieur de l’île sont très jolies. On traverse quelques villages fantômes qui ont parfois une petite place à taverne, comme Strynilas où une Moussaka m’attend.

En conclusion, la ville de Kerkyra est sublime, un peu bondée, la mer est vraiment belle et savoureuse et faire le tour des plages prendrait des semaines. J’ai bien aimé la côte est, au sud de Kerkyra, tranquille, presque familiale, ainsi que la côte ouest (centre à nord) qui déploie quelques très beaux panoramas. Pour le reste, c’est la Grèce, donc vraiment sympa, mais l’île s’est forcément laissée débordée par son tourisme. On ne peut lui en vouloir, il faut bien gagner les sous.