Namaste. Back to India.

Trois ans après mon rapatriement précipité dû à la pandémie. J’avais décampé de la Bed and Chai Ghesthouse le 22 mars 2020 pour l’aéroport Indira Gandhi de Delhi et un hypothétique (mais avéré) vol de retour organisé par l’ambassade de France. M’y revoici aujourd’hui. Une grande parenthèse de trois années et je peux repartir de là où j’en étais. Ce sera quelques semaines principalement consacrées au Rajasthan. Le Rajasthan (Pays des Princes) est le plus grand état de l’Inde, deux tiers de la superficie de la France pour à peu près la même population. L’un des plus visités, à juste titre. Le Rajasthan fait (longue) frontière avec le Pakistan à gauche et s’étend à droite jusqu’à presqu’aux portes de Delhi et Agra (Taj Mahal). En dessous c’est le Gujarat. Au-dessus c’est le Penjab.

Je me frotte vite aux tracasseries indiennes. L’achat de la carte sim à l’aéroport d’abord. Les choses sont toujours plus laborieuses en Inde. Il faut payer 450 roupies (5€) pour un mois, pas cher. Le vendeur « oublie » de me rendre la monnaie. Je le rappelle à l’ordre. Plutôt que d’avoir une carte qui fonctionne dès sa mise en place comme partout ailleurs, il faut appeler à partir de 15h à un numéro spécial. Évidemment ça ne fonctionne pas. Alfred, mon aubergiste prend les choses en main et se fait dire que la carte sera activée à partir de 20h. Ça marche vers 21h. Ça ne remarche plus le lendemain matin. Plusieurs appels désespérés sans succès. Mon aubergiste à Bharatpur bidouille mon téléphone et remet les choses en place. Ça a l’air de tenir maintenant.

Le Bed and Chai me semble avoir changé… en un peu moins bien. Un peu cher je trouve (une petite inflation de 60% en 3 ans même si on est à la Capitale), un peu moins clean, breakfast basique moyen, mais ça va très bien quand même. Et l’accueil est juste parfait. Alfred, toujours souriant me dépatouille pas mal (téléphone, renseignements train…). Alfred est catholique, d’où son prénom, Alléluia, n’est pas encore marié et n’est pas pressé de l’être. En tout cas, c’est lui qui choisira son épouse (peut-être elle aussi) et non ses parents. Voilà pour les choses essentielles concernant Alfred qui vous adresse son bonjour..

Il faut tenir le décalage horaire et compenser la nuit très courte dans l’avion. Décrassage dans le quartier Hauz Khaz à quelques stations de métro. Grand parc où les amoureux osent se toucher la main et rire sous cape timidement. Un enclos de biches (c’est le Deer park), un vieux fort un peu refait, pas mal détruit, 25 rps pour les locaux, 300 rps pour les étrangers ! Ça commence déjà à m’agacer gentiment. Je n’entre pas, j’en verrai d’autres, et des bien mieux, et toc ! Des petites ruelles avec très jolies boutiques chics et cafés branchés. La jeunesse huppée de Delhi vient s’y encanailler.

L’achat de mon billet de train pour Bharatpur le lendemain est un moment indien comme je les aime. Bicoque improbable adjacente à la gare Nizamuddin qui est pourtant une très grande gare avec 8 quais. Il est 13h55. Il faut trouver le formulaire où on doit remplir toutes ses coordonnées, son genre, son âge, celui de ses parents, son visa, la couleur qu’on préfère et ce qu’on a mangé la veille, et celles du train souhaité, son numéro, son nom (les trains ont un nom en Inde, pas du genre Kevin ou Barbara, ce serait trop simple. Le mien a pour petit nom Kota Janshtabdi, sans doute parce qu’il va jusqu’à Kota). Le temps que je relève la tête de mon écriture, concentré pour ne rien oublier et risquer de me faire rembarrer, je m’aperçois que les guichets viennent de fermer. C’est la pause de 14h à 14h30. Les fonctionnaires restent derrière la vitre et nous narguent en faisant semblant de trier de vieux papiers. On aime ça la paperasse dans ce pays. Pendant la pause, l’affluence augmente d’un coup et il faudra jouer des coudes. Entre la vitre des guichetiers et le public, ils ont positionné une rangée de chaises lourdes et fixes afin d’éviter l’écrasement des figures contre l’hygiaphone. Résultat, il faut tendre le bras pour donner le papelard et tendre surtout l’oreille pour comprendre le baraguin du guichetier. Et on n’est pas pressé à la SNCF locale (IRCTC). Et, au pays de l’informatique soi-disant, le matériel dont dispose le personnel et les procédures sont à pleurer. En revanche, le site de l’IRCTC est plutôt très bien fait et facile à naviguer. Bref, soyons patient.

C’est vraiment sale tout de même. Aux arrêts de feu rouge, mon tuk-tuk est régulièrement assailli de mendiants, de vendeurs de pacotilles et babioles. Plusieurs fois de suite, des hijra (transgenres, plus travestis que transsexuels) hypra maquillées comme des sapins de Noël de parvenus (ou peut-être jamais partis haha) me tendent la main avec insistance. « Give me 100 rupees, 200 rupees… ». Pourquoi pas 1.000 roupies, 1.100 roupies. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un(e) sourd(e). « Eleven hundred rupees ? Good. You can fuck me for that price ». Euh non merci, j’ai déjà pris mon quatre heures…

Un chien suicidaire trône sur l’étroit terre-plein qui sépare la deux fois quatre voies (en réalité cinq voies puisqu’ici on trouve toujours la place d’insérer une file supplémentaire, sans pour autant trop se frotter). Il a fait la moitié du chemin pour rejoindre sa belle, je n’attends pas la suite. Carnage assuré s’il s’aventure…

A la Bed and Chai, trois françaises que j’avais vues dans l’avion. On s’échange nos parcours. Sympa. Fabienne qui a l’air de venir tous les quinze jours, me donne des plans et adresses.


BHARATPUR

Bharatpur est à 180 kms de Delhi en direction d’Agra. Le train est presqu’à l’heure. 115 rps pour le trajet (1,30 €), c’est une affaire. C’est un express, à peine plus de deux heures de trajet durant lequel nous avons eu la visite d’un aveugle au chant pas terriblement mélodieux, d’un cul de jatte qui se traîne dans l’allée et fait office de balai-brosse, d’un estropié bancal en appui sur un long bâton, d’un vendeur de jouets en plastique bas de gamme et moches, d’un vendeur de thé... Je garde mes roupies au chaud, même pour le thé. Si je pouvais éviter les toilettes, déjà qu’on a régulièrement les relents d’urine…

Je pose mon sac pour quelques jours au Falcon Guest Lodge avec son petit jardin presqu’au calme et vais me balader vers la citadelle cernée de douves remplies d’une eau pour une fois pas trop sale. Etroite rue encombrée d’échoppes de part et d’autre. On trouve de tout. Au sein de la citadelle sur la hauteur, se trouve le Fort Lohagarh qui contient plusieurs palais en plus ou moins bon état. C’est un bon démarrage de l’Inde. Un seul palais se visite, car il contient un très chouette musée gouvernemental (100 rps) réarrangé depuis peu. Extraordinaire collection d’armes (blanches et à feu) des 18 et 19ème siècles. Ce n’est pas ma came en général, mais j’avoue que je n’en avais jamais vu d’aussi étonnants. Jolie exposition de peintures miniatures. Divers objets et meubles… Au milieu de la visite, coupure d’électricité. Personne ne s’émeut, c’est habituel, les Indiens continuent leur visite à la lampe de leur smartphone. Dommage quand même…

Retour au lodge à pied, inévitables selfies avec les ados mâles qui ne lâchent rien. Excellent repas maison (malai kofta, boules de pomme de terre et paneer / fromage genre tofu, façon quenelles, dans une sauce crémeuse légèrement épicée avec oignons, tomate, cacahuète… arghhhhhh).

Bharatpur n’est pas connu pour son beurre, le beurre de Bharatpur (pigé ?), mais pour sa réserve ornithologique, le Parc National Keoladeo, fabuleux havre de paix. J’y passerai près de 4 heures. Zone de marécages créée au 18ème siècle par le ponte local pour embourber les assaillants potentiels, transformé ensuite en territoire de chasse au canard (carnage des canards, 200.000 volatiles auraient été massacrés entre 1902 et 1946 ! 4.273 en une seule journée par trois tireurs, dont le vice-roi des Inde que j’espère être mort d’indigestion). Keoladeo est enfin devenu Parc National (site UNESCO) destiné à protéger les migrations et nidifications. On y recense 375 espèces d’oiseaux. Moi j’ai reconnu les classiques, les canards (si si), les ibis, les cigognes, les pélicans, les hérons et petipatapon, les grues, les oies sauvages, des rapaces, un aigle impérial paraît-il. Les perruches vertes, celles qui commencent à nous envahir chez nous, sont partout. Ici c’est calme et vols huppés… Il y a aussi quelques cervidés, les chicals. Je vois une boule luisante émergeant de l’eau, c’est une grosse tortue, yaouhhh. Et puis aussi des poissons dans l’eau pour nourrir les oiseaux là-haut. Enormément d’homo sapiens en tenue de camouflage armés d’objectifs de longueur incroyable. L’entrée est de 760 rps pour les étrangers et 125 rps pour le commun. La brochure qui est distribuée mentionne un prix d’entrée de 500 rps. L’impression n’a pas suivi l’inflation. Je loue un vélo tout pourri mais qui roule et suis autonome. On peut aussi louer un rickshaw (à pédales, les moteurs sont interdits). Au retour, j’ai bien mal au cul.


DEEG-MATHURA-GOKUL

Le tuk-tuk enturbanné me demande 200 rps pour aller à la gare routière. Bye bye ! Je négocie le tuk-tuk suivant pour 80 rps (la GH m’avait conseillé pas plus de 70 rps). C’est un sikh. Il suffira d’un sikh, ce matin… Il me convainc de m’emmener jusqu’à Deeg pour 500 rps. Deeg est à 40 kms. Sachant les bus surbondés, j’accepte. Une heure de bonne route, il fait un peu frais. On slalome entre les vaches, les singes sont nombreux sur les bas-côtés, une chienne allaite tranquillement au milieu de la route debout immobile sur ses pattes, les chiots suspendus aux tétines à presque ne pas toucher le sol, autant de chiots que de mamelles.

Deeg, qui n’est pas entre Nantes et Montaigu (la deeg duku), est renommée pour son palais. Manque de bol on est vendredi, les bâtiments visitables sont fermés, le guichet est clos, je n’avais pas vérifié. Je peux néanmoins me balader dans les jardins qui ressemblent à un vaste campus universitaire entouré de pavillons. Superbe mais, comme le plus souvent, ils n’arrivent pas à suivre l’entretien et c’est bien parti pour se dégrader sévèrement. Le soleil est mal orienté pour ma photo. Un groupe de jeunes mecs me suit et m’interpelle. Ça commence. Dommage, l’endroit était si calme. Quand ils m’ont demandé mon nom et mon pays, ils n’ont plus rien à me dire mais restent scotchés à mes basques à rigoler comme des couillons. Première gueulante, il y en aura d’autres. Ca les fait marrer et ils finissent par comprendre… A la sortie du jardin, un type vient me me demander 300 rps pour l’entrée et me présente un très beau ticket préimprimé. Dois-je payer pour tout le monde ? Je lui réponds que je ne paye pas la visite d’un monument non visitable. Il n’insiste pas trop, me gratifie d’un beau sourire et me dit merci pour mon non-don.

J’avais demandé à mon tuk-tuk s’il y avait des bus pour poursuivre mon chemin vers Mathura. Il m’avait répondu que non, flairant l’aubaine du pigeon voyageur. Mon œil ! Dommage, il était sympa ce gars. Voilà pour les petits traitements de faveur permanents. On peut les éviter généralement, on se laisse faire parfois en pleine conscience quand ça nous arrange, on se fait avoir souvent même quand on est aguerri, ça n’impacte pas trop nos budgets. Les négociations sont pour quelques centimes et c’est win-win.


J’arrive à la gare routière poussiéreuse juste à l’arrivée du bus pour Mathura. Ceux qui veulent monter gênent ceux qui veulent descendre. Je fais comme tout le monde, je force le passage, je ne reconnais plus ni père, ni mère, j’abandonne mes enfants et cogne sur les vieux, bref, je ne pense qu’à ma pomme pour avoir une place assise. Sinon je me fais avoir, personne ne me fera de cadeau. 1h30 de route défoncée dans un bus réparé mille fois, jusqu’à Mathura. La traversée de Gopalpur, à mi-chemin, est dantesque. Je pense que la population entière de l’Inde s’est réunie aujourd’hui dans la ville. Populace, rickshaws, tuk-tuk, voitures, camions et bus s’agglomèrent en un magma indécrottable. Sur la droite, bloquant le passage, des hurluberlus s’aplatissent de tout leur long les mains jointes en direction d’un vraisemblable temple sacré. Ils se relèvent puis se remettent à plat ventre. Est-ce bien le moment et l’endroit pour faire ses abdos ?

Autre gare poussiéreuse à Mathura. Mathura est une des 7 villes sacrées de l’hindouisme (dont Varanasi / Bénarès évidemment). Un tuk-tuk m’informe que le grand temple n’ouvre qu’à 16h30. Je n’en crois pas un mot mais me laisse tenter par sa proposition de virée à Gokul au-delà de la Yamuna (c’est la rivière qui passe derrière le Taj Mahal à Agra).

Je fais confiance et j’ai raison. Gokul dispose de quelques temples plus ou moins masqués. C’est là que serait né Krishna, ou son père, je n’ai pas bien compris. Krishna est le dieu hindou représenté avec sa peau toute bleue, sorte de super héros avant l’heure. Tuk-tuk ne comprend pas pourquoi je ne souhaite pas de guide. « It’s only 50 roupees ». Même gratuit, même en me donnant de l’argent (ça dépend combien tout de même), je veux la paix et prendre mon temps. La ville est super chouette, pittoresque diraient les guides policés, de vieilles maisons qui tiennent encore par l’opération du saint Krishna. Un homme âgé m’invite à boire le chai (c’est moi qui paye). La barrière de la langue empêche les conversations philosophiques. Ayant éclusé les sujets, il me dit « you’re an old man ». Sympa ! J’adore l’ambiance très indienne de ce village. Je mange un samossa terriblement bon. Je descends sur les ghâts où sont amarrés des bateaux pour aller batifoler sur l’eau. Une mousse très épaisse suit le courant. Je demande. Je comprend que c’est du Provisol, ou Présovol… Bref, une jolie pollution. A mon retour, Tuk-tuk est impatient. Il croyait s’en tirer à bon compte avec ce naïf de blanc-bec. Il n’assurera pas la totalité du tour prévu. Pas grave, sans lui je ne serais jamais venu ici. Tuk-tuk me dépose en surplomb des ghâts Vishram. Il ne peut aller plus loin. Je lui donne son billet sans le regarder pour exprimer mon mécontentement. Il s’en fiche, il a obtenu de moi bien plus qu’il n’aurait rêvé. J’aurais peut-être dû rester dormir à Mathura pour avoir plus de temps, faire un tour en barque, voir les ghâts depuis la rivière. Plus assez d’énergie pour entrer dans le temple Machin. On vient pourtant à Mathura pour lui. Il y a trop de monde. Ça va, ma journée a été remplie. Retour au Lodge, dîner d’un excellent mutter paneer (gros petits pois et paneer dans une sauce épicée de garam masala à base de tomate et cacahuète).


FATEHPUR SIKRI

25 minutes en bus. Je rêve… On vient de me piquer mon porte-monnaie posé sur mes genoux. J’étais en train de payer, il n’y avait plus rien dedans, peut-être 20 centimes, mais bon, c’était mon porte-monnaie et il était bien pratique… Les gens qui visitent Agra, plus loin, passent aussi en général à Fatehpur Sikri. Nous sommes au 16ème siècle. Akbar, empereur moghol, maître incontesté du nord de l’Inde, a trois garçons. C’est ce qu’une prédiction lui avait assuré. Il décide alors de transférer sa capitale à Fatehpur Sikri et d’y faire construire cet immense ensemble de palais de grès rouge. Je n’ai eu que deux garçons, mon banquier m’en remercie ! Pas trop de touristes si ce n’est des Indiens. L’entrée est de 610 rps pour les étrangers. C’est assez calme, plusieurs groupes de scolaires qui piaillent. Ça met l’ambiance. Je peux m’installer pour lire. Le site étant payant, cela évince les rabatteurs, les mendiants, les vendeurs de pacotille et les groupes de mecs. Ce qui n’est pas le cas à la sublime mosquée voisine, mais ça passe quand même. La cour intérieure est presqu’aussi vaste que la Place Saint Marc. Ça n’a rien à voir, mais ça donne une idée des dimensions.

Je vais ensuite me perdre dans le bazar du village. C’est ça que j’adore. Ça grouille, des sacrées gueules, les gens sont affairés donc ne m’interpellent pas trop. Samossa et chai. Un gamin me vend un chai rikiki et me demande 20 rps. Ça rigole autour. Je lui donne 5 rps, c’est le prix. Il ne s’offusque pas. Les gamins ne sont pas les moins roublards.

Retour au Lodge pour discuter le bout de gras avec Digijay le patron. Je pensais que sa sœur était sa femme, mais non, sa femme est celle à lunettes, plus réservée, et pour cause. Dans la région on parle hindi. Sa femme vient de Nagaur, à peu près au centre du Rajasthan, c’est-à-dire bien loin. Elle ne parle pas l’hindi, mais sans doute le rajasthani. Donc Digijay et sa « chérie » ne se comprennent pas ! Les joies des mariages arrangés…

Je pars demain pour Jaipur. Et j’ai même pas pur.


Hôtel à Delhi : Bed and Chai Guesthouse (2.240 rps la nuit / 25 €), bonne tenue, excellent accueil, bonne taille de la chambre et de la sdb, environnement sans intérêt

Hôtel à Bharatpur : Falcon Guest Lodge (1.129 rps la nuit / 13 €), grande chambre et grande sdb, très propre, charme indien, accueil super de la famille Singh, resto parfait