Il est cinq heures, et je m'éveille. Et pourquoi donc ? Parce que je n'ai pas sommeil. Encore nuit, mais pas longtemps. Et puis voilà, ce qui était annoncé arrive enfin. Ciel immaculé, bleu, temps à bermuda. J'en profite pour aller faire un dernier tour à pied à Cetinje que j'aime tant. Un dernier croissant (kroasen) à la super boulangerie. Au revoir les ambassades, au revoir le ministère de la culture, au revoir Petar et Nicolas. Dans ce pays, hormis les cafés et restaurants, tout est fermé le dimanche, pas d'épicerie, pas de supermarché, pas même les boutiques à souvenirs. C'est bien connu, le dimanche, les touristes ne touristent pas ! Direction le lac Skadar, direction l'est, jusqu'à l'Albanie. Toute petite route de campagne, des vues époustouflantes, un tapis vert jusqu'à l'horizon, on se croirait en survol de la jungle. Petit café à Rijeka Crnojica, le long de l'eau, à l'ombre du vieux pont de pierre, là où partent des bateaux à touristes pour le lac. C'est encore la rivière, pas encore le lac. Au loin les deux montagnes coniques, jumelles, même hauteur, comme des volcans parfaits. On les appelle Sofia Loren. Je ne remets pas en cause les qualités mammaires de l'excellente actrice italienne de presque 90 ans, mais peut-être serait-il temps de changer d'égérie. Je snobe Virpazar, déjà venu, il y a pile une semaine, au revoir les bateaux. J'attaque la face sud du lac, pittoresque, route très étroite, bout de monde, étonnamment pas mal de passage, quelques prouesses pour les croisements pour éviter les éraflures d'un côté et les roues dans le vide de l'autre. 

Arrêt buffet dans un village bienvenu. Saucisses du Kosovo, fumées, noires comme du boudin, grasses, j'ai connu mieux en matière de saucisses. La saucisse, ça me connaît. Mes rencontres du jour : un serpent noir et luisant qui prend le soleil sur le bitume puis se tortille vers l'herbe du bas-côté quand il s'aperçoit qu'il gêne, un hérisson (mort), un gros écureuil noir qui détale devant mes roues, deux ânes peu préoccupés de se prélasser au milieu de la route, des chasseurs de sangliers en tenue de combat, je relève les vitres de la voiture, je ne voudrait pas finir en dommage collatéral, un sanglier (mort) dans une charette, deux cimetières musulmans dans les bois (effets de la chasse au sanglier ?).

Arrivée à Ulcinj, de l'autre côté, sur l'Adriatique, ville la plus à l'est. Pas loin c'est l'Albanie. D'ailleurs on s'y croirait. La population est à majorité albanaise de souche. Cette partie du Monténégro a très longtemps été asservie par les turcs pendant que Venise s'octroyait l'Adriatique, plus à l'ouest. Les coutumes sont tenaces. La ville semble moins réglée qu'ailleurs, plus de mosquées, le muezzin fait timidement entendre sa voix. La ville est toute en vallons, la marche à pied est sportive. Mon appartement est perché quelque part, tout là-haut. J'ai du mal à le trouver. Le fils et sa mère m'accueillent. Oui c'est moi le français. Ils ne doivent avoir que moi aujourd'hui. Le fils parle un anglais excellent. La mère s'obstine à me parler en allemand. Ich bin nicht deutsch, ich bin französich. Ach ja ? et elle continue... Je comprends ce qu'elle a à me dire. Belle chambre, très lumineuse, vue sur la vieille ville et la mer. La vieille ville, de l'autre côté de la petite plage sur le promontoire, est parfaitement préservée, encore habitée mais avec des restaurants et des logements bien situés. J'y dîne à 18h30, je n'aurai pas le courage de refaire toutes ces grimpettes plus tard. C'est agréable de relonger le front de mer avec cafés et restaurants en enfilade. Les mois de juillet et août sont ultra bondés. C'est là que viennent les serbes et kosovars qui n'ont pas d'accès à la mer chez eux. Il paraît que les plages sont meilleures qu'en Albanie. C'est à vérifier.

Rapide aperçu économique. Le PIB du Monténégro est de 6.100 € par habitant, le salaire moyen de 500 € mensuel et le chômage de 18%. Ce ne sont évidemment pas des données démentielles et on comprend les vieilles bagnoles, les fringues et fripes portées et les prix dans les commerces. Le tourisme et ses activités représentent 20% du PIB. C'est énorme. En comparaison, il doit être de 6 ou 7% en France. De ce fait, une pandémie durable comme le Covid, qui a fortement restreint la circulation des personnes, est une catastrophe. Il est compréhensible que corruption et mafias perdurent dans le pays. C'est historique dans cette zone des Balkans. Je n'ai évidemment aucune donnée chiffrée à produire sur cet aspect. Le pays est donc assez loin d'atteindre les critères d'exigence pour l'entrée dans l'UE. Il faut reconnaître par ailleurs que certains pays, dont la France sans doute, ne respectent pas ou plus certains de ces critères. Le pays est petit, et on peut envisager une grande solidarité de sa faible population (600.000 habitants), et sa fierté au regard de son histoire bousculée qui a débouchée pacifiquement à son indépendance récente (2006). Il faut néanmoins porter sur l'échiquier la durabilité d'hommes politiques qui s'accrochent, dont l'actuel et contesté premier ministre Milo Djukanovitch, aux rênes présidentielles ou ministérielles depuis 1991, indéboulonable.

Je vais passer quelques heures en Albanie, Shkodrë est à 45 kms. Le passage de frontière prend 20 minutes. Une famille francophone (le père et la mère, babs écolo la quarantaine, 3 enfants maximum 12 ou 13 ans et une guitare) passe la frontière en vélo. J'entends qu'ils vont en Turquie. Istambul est à 1.000 kms. Ils rigolent. Un type essaye de me vendre une carte sim valable au Monténégro, en Albanie, en Macédoine et que sais-je encore. je pourrai bien m'en passer quelques heures. J'avise un vieux assis dans un fauteuil de bureau des années soixante. Est-ce possible de changer de l'argent quelque part ? Il se lève, extirpe son portefeuille (épais) de sa poche arrière droite. Combien ? 20 euros ? How much pour 20 € ? 2.200 leks. Affaire conclue. Au sud de Shkodrë est la citadelle de Razafa perchée en haut d'une colline. On la voit de partout. C'est plaine rase tout autour, les montagnes sont à bonne distance. De là-haut je me fais une idée de la ville. Elle est vaste. Et juste derrière, la grande étendue du lac Skadar. Et une jolie mosquée grise. La ville est un peu chaotique. Serait-ce la sortie des bureaux ? Il est midi. Le musée réputé de la photographie auquel je voulais vraiment aller est fermé le lundi. Nous sommes lundi. Saperlipopette ! C'est plein de voitures, il faut s'imposer, je ne trouve pas de place pour me garer. 

Qu'y a-t-il de changé de ce côté de la frontière ? Rien de bien flagrant... Plus sale ? plus pauvre ? Les hommes traînent ensemble comme là-bas, le crâne rasé, au mieux cheveux courts, ils conspirent la cloppe au bec avec leurs attitudes d'hommes de main. Un troupeau de chèvres bloque ma voiture, je double une charette à cheval. Je vais me réfugier au calme, au sud du lac, à Shrirokë. C'est certainement l'endroit de détente des citadins le dimanche. Les restaurants succèdent aux restaurants. N'hésitez pas, le poisson est frais, du lac ils saute dans votre assiette. Il faut bien que je dépense mes leks. Pour y accéder, on traverse une sorte de zone abandonnée, zone de non droit. Je n'aimerais pas y tomber en panne. Plus loin encore, la petite route suit le lac et s'arrête à un village. Pas de passage de frontière possible. Du temps de l'effroyable dictature d'Enver Hodja, le village était interdit d'accès, les villageois vivaient en oubliés. Retour au Monténégro. La côte à l'est d'Ulcinj jusqu'à l'Albanie, toujours elle, est une immense plage de plusieurs kilomètres. Elle porte des noms successifs flatteurs : Miami, Pearl, Safari, Tropicana, Kopakabana... Pas très local. Les déchets et plastiques se disputent la place avec le sable foncé très fin. Ce pourrait être bien mais je crois qu'il faut aller chercher loin la profondeur de l'eau.

Il me reste 70 kms et 1h50 de trajet jusqu'à mon point final. J'ai deux jours pour faire ça. Ca devrait aller. L'avantage de la saison est que les plages sont débarrassées des parasols et transats payants. Les photos sont effarantes. Aujourd'hui, c'est presque trop désert. Telle cette petite station balnéaire, Utjeha Busat. Je dérange le garçon de café de son téléphone pour mon dojz kaffa matinal face à la plage de galets gris clair.Ou encore la longue plage de Sujansk, toujours de galets gris, au sortir de Bar. Allez j'ose, je me jette à l'eau. C'est diablement bon. On peut laisser Bar de côté, c'est un noeud de transports. Il y a un bateau qui part pour Bari, Pouilles, Italie. C'est la ligne Bar-Bari. Si si. Je regarde la distance sur Google map. 226 kms. En voiture, j'imagine sur le bateau, c'est 9h26. A pied, même trajet en ligne droite, mais 11h. On doit marcher sur l'eau ? Jésus revient parmi les tiens ! Je bifurque dans les terres, à quelques kilomètres se trouve Steri Bar, vieille cité occupée par les slaves, puis les byzantins, puis les vénitiens, puis les ottomans... Stop. Elle est à plat. Et comme si ça ne suffisait pas, trois tremblements de terre, dont le dernier de 1979, ont eu raison de la cité. Jolie place forte tout de même, ruines et reconstructions, et vaste panorama. L'accès depuis le parking est une pente pavée raide bordée de boutiques de souvenirs et petits restos et cafés pas du tout désagréables. Elle me fait penser à Gjirokastre, Albanie.

J'AIME PAS 

Les lèvres pulsées de plusieurs filles croisées. Cela leur fait des bouche de canard. Pas joli du tout. Et je ne suis pas sûr que cela vieillisse bien. S'en rendent-elles compte ? Il me semble avoir déjà vu ça récemment et en avoir parlé. En Albanie peut-être...

J'AIME PAS NON PLUS

Les gros containers poubelles en métal clair sur roulettes. Les habitants vont y déverser leurs détritus. Pas de tri apparent. C'est toujours dégueulasse autour et ça gêne mon paysage.


Autre petite station balnéaire où je vais me poser pour couper en deux ma courte distance : Petrovac. J'ai une très grande chambre sur la hauteur avec vue sur mer. Le propriétaire m'offre un grand verre de bon vin rouge et parle un peu la France, où il n'a jamais mis les pieds. Pour une fois, je réserve le petit déjeuner, 8€ tout de même, mais j'en ai lu tellement de bien. J'ai bien fait. Le front de mer est tranquille, c'est la bonne saison. La mer est encore à bonne température. De très belles maisons de pierre derrière la plage, un petit port et un kastro avec jolie vue sur la baie... que des promoteurs sans pitié commencent à peupler de choses à trop d'étages. Ca passe encore, mais pour combien de temps ? Un filet de brême le soir au bord de l'eau. Un vent frais s'est levé. Il durera toute la nuit. Ca va nous rafraîchir le mer tout ça... Je confirme, mais ça reste encore tout à fait jouable, notamment à mes deux plages du jour. Drobni Pijesak le matin, un peu au nord de Petrovac, est une très belle petite plage, l'eau est transparente et j'y suis absolument seul, si ce n'est au loin un pêcheur qui remonte ses filets. Plavi Horizonti l'après-midi, à quelques kilomètres de Tivat, dont je lis qu'elle pourrait postuler au Goncourt des plages du Monténégro. Ce n'est pas la plus belle plage du monde, un petit nettoyage serait souhaitable (mais c'est partout), mais elle a l'avantage d'un sable très fin et d'une situation sans aucune construction. Pour combien de temps ?

Dans ma remontée finale, je m'arrête à Rijeca Rezevici, village en pente abrupte vers une petite plage où les très belles maisons sont tout en pierre, priorité à la rénovation. Ca sent un peu l'argent tout de même, mais est-ce un mal en matière immobilière ? Je crains que ces braves bourgeois ne se fassent bientôt déborder par les promoteurs. D'ailleurs, pas très loin, en contrebas d'un joli monastère, un immeuble en construction monstrueux (à l'arrêt semble-t-il) a pris la place d'une crique. Je fais un stop à nouveau à Stevi Stefan pour prendre une photo avec le soleil puis vais affronter Budva. La vieille ville est digne de Kotor, Magnifique. Pour y accéder, il faut traverser la ville nouvelle, où les architectes s'en sont donné à coeur joie en multipliant les formes et les matières. Sacré contraste. C'est l'endroit réservé pour la fête en pleine saison. Les russes et les ukrainiens, du temps qu'ils étaient copains de contrebande, investissaient les lieux. Mais ça c'était avant. Je vais enfin traîner mes guêtres dans la partie la plus sauvage des bouches de Kotor, celle qui fait front avec la grande bleue. A la pointe il y a Rose, charmant village au ras de l'eau qui va s'assoupir jusqu'à la prochaine saison. C'est joli Rose pour un village. Mais je pense qu'ici ils prononcent "Roger". Moins bucolique. Destination finale, Tivat (et son aéroport). L'arrivée à Tivat est tout à fait banale, pas très jolie, immeubles bas avec linge aux fenêtres, petit port de canots à moteur. De la part un aménagement du front de mer, pratique, tout plat. Et tout d'un, c'est un autre monde. Monaco ou Dubaï. OIn arrive à Porto Monténégro qui a pris la place d'un ancien arsenal maritime. Des dames surmaquillées promènent leur petit toutou. Les cafés qui s'enchaînent sont très beaux, autant que le prix de leurs cocktails. Les hommes respirent l'argent. Des jeunes femmes presqu'encore adolescentes portent des jupes tellement courtes qu'un centimètre plus haut on aurait le doigt mouillé. En mettant de côté sa propre analyse des déséquilibres de l'économie moderne, c'est très beau. Une agence immobilère, spécialisée dans les yachts, en propose un à 10 millions d'euros. Les autres annonces sont à plusieurs millions. Mais si vous êtes pauvre, il y en a un à 250.000 €, qui fait tellement minable. Ces gens vous diront qu'ils font travailler des gens. Ca ne m'écoeure pas, ça m'ennuit. Les yachts sont amarrés, mais il faut montrer patte blanche. J'ai beau dire que je me suis lavé les mains, rien n'y fait. Je m'envole demain sur cette impression que tout ça va péter un jour... Et que j'espère que je ne serai plus là.

J'ai passé 11 jours pleins et 12 nuits au Monténégro. Je m'étais donné un budget tendu, sans que ce soit inconfortable. Mes nuits d'hôtel ont oscillé entre 18 et 27 €. Pour ce prix, j'ai eu plusieurs appartements vastes, toujours avec salle de bains privative, excellente literie, cuisine intégrée ou commune, sauf une seule fois. Je les réservais en général la veille sur Booking.com. Le site est bien fait, il permet notamment d'obtenir facilement l'itinéraire pour accéder aux logements. Cela me semblait en général moins cher qu'Airbnb. Je n'ai eu affaire qu'à des logements proposés par des particuliers très accueillants. Le paiement était le plus souvent en espèces, à donner à l'arrivée. La voiture a coûté 24€ par jour, pour moi indispensable qui suis itinérant. On doit pouvoir s'organiser en bus, mais c'est forcément plus restrictif. Pour ce qui est de la nourriture, je n'ai pas fait de folies gastronomiques, repas complets de 10 à moins de 20€. Les plats sont le plus souvent très copieux et pourraient parfois se partager à deux. Ce sont naturellement des prix hors saison et il faut parier sur la météo, qui peut être excellente comme exécrable. Question de (mal)chance.

Au final, c'était un chouette voyage. Tranquille. La priorité était de me sentir ailleurs. Sans avoir été totalement déconnecté, la misson est réussie. Le lonely planet m'a accompagn&, et aussi quelques blogs. J'ai trouvé que les rédacteurs était parfois paresseux qu'ils recopiaient à la lettre les panneaux d"information de certains sites. Pourquoi reformuler quand c'est déjà très clair... Pas un voyage de folie au niveau photographique. Désolé pour ceux qui ne regardent que les images. C'est tout simplement que pour les paysages (qui sont très souvent somptueux), j'ai pas de "talent". Je n'ai pas trouvé les contrastes, les contraires ou les incongrus que j'aime prendre. Mais bon, le reportage n'est pas si mal je pense. Merci de m'avoir lu, vos commentaires motivent aussi. A la prochaîne alors...