L’occasion d’approfondir mes connaissances des Balkans. Je la saisis. Deux aéroports internationaux, Podgorica, la capitale, et Tivat, station chic de l’Adriatique. Pour des raisons de timing, de tarif et de circuit, j’arrive par l’un et je repartirai par l’autre. Le Monténégro est un tout petit pays, grand comme l’Ile de France, 620.000 habitants (population de l’Indre-et-Loire). Les distances sont courtes, et prendre une voiture à Podgorica puis la rendre à Tivat n’a pas d’incidence tarifaire rédhibitoire. L’avion est presque plein de groupes de retraités. C’est là saison où ils sortent et où les forfaits sont abordables. Ils jacassent et se montrent les photos de leurs petits enfants (sauf s’ils sont moches certainement). Petit aéroport très pratique. Vite acheté une carte sim (10€ pour 15 jours – tu achètes, tu enlèves, tu remplaces et ça marche… trop fastoche). Pas de queue chez le loueur de voitures, j’ai une Clio orange avec navigateur intégré (24€/jour). La dame du navigateur parle en serbo-croate, mais j’ai au-moins l’image. 15 minutes tranquilles pour atteindre l’appartement réservé sur Booking. Excellent rapport qualité-prix. Une cuisine, un salon, une sdb et deux chambres pour 43€ les deux premières nuits. Le chien du propriétaire, un bouledogue moche, plein de muscles et ronchon, grogne et m’attrape les pattes. Je tombe presque et m’agrippe à la balustrade. Le proprio remet de l’ordre, s’excuse et range son clébard. Il fait nuit à 19h, pas de décalage horaire avec la France mais 1.500 kms plus à l’est. Une boulangerie, à 50 m, vend des pizzas, viennoiseries et beignets fourrés copieux et gras. Ça fera le premier diner. Pas de draps, juste une couverture synthétique qui sent quand même le propre. J’ai du mal à comprendre le fonctionnement de l’énorme télé.

Dimanche matin. Il fait gris, la météo ne s’est hélas pas trompée, je traîne, vais m’acheter un pain au chocolat local, me fait chauffer de l’eau dans un grand faitout (ni bouilloire, ni casserole, mais un faitout), lis quelques articles du journal que j’ai apporté. L’appartement est vaste, sent le vieux velours des canapés et la cigarette un peu. Pas de lavabo dans la salle de bains. Lavage des dents dans l’évier de la cuisine. Je n’ose pas toucher aux volets roulants qui me semblent tenir par l’opération du Saint-Esprit. Ni le placard de la chambre qui branle, mais je n’en ai pas besoin. Je ne vais pas râler, le prix est très correct et ça me convient parfaitement. D’autant qu’il est situé tout près du centre à pied. J’y vais. La tenue vestimentaire du dimanche semble être le survêtement. Résolument. Les très rares touristes sont reconnaissables immédiatement. Ils n’adoptent pas la tenue dominilocale. Et ça y est, je comprends enfin qu’en voyage, il ne faut pas chercher l’émerveillement permanent. Être seulement bien suffit souvent. Et je suis bien là. Podgorica n’a absolument rien de merveilleux. Podgorica est même plutôt moche. Etre ailleurs peut suffire. Podgorica est l’ancienne Titograd (jusqu’en 1992). Elle compte 120.000 âmes (comme Boulogne-Billancourt !). Pourquoi dit-on Âmes (concept assez virtuel) quand ils s'agit d'Hommes bien réels ? Peut-être s'agit-il d'une concession faite aux femmes, paradoxalement intégrées dans le concept d'hommes. D'où Hommes-Femmes devenu Hemmes, puis Hammes dans le langage courant. Et enfin Âmes au fil du temps. C'est une explication comme une autre... Grad veut dire ville. Les dictateurs ont aimé prendre du grad : Petrograd, Leningrad, Stalingrad, Belgrad, Vladivostok…deuxn intrus se sont glissés dans la liste, sauras-tu les trouver ?

Podgorica dispose de quelques musées intéressants. Oui mais voilà, ils sont fermés le dimanche. C’est un concept. A quand l’ouverture des musées aux heures de bureau uniquement ? Je vais prendre un café au bar « Matinée ». Cela me rappelle les appellations françaises à Tirana. Petit café plutôt branché face au musée d’histoire (fermé). Le groupe Abba me demande un rendez-vous après minuit. Les cafés branchés n’osent majoritairement pas les musiques actuelles, vous avez remarqué ? Les années 80 demeurent incontournables. Ça me va. Je connais à peu près. Hvala veut dire merci. Pas trop compliqué. Pour Bonjour, c’est Zdravo. Les ruelles du vieux Podgorica (Stara Varos), du temps de la splendeur ottomane, sont décevantes. Le reste de la ville me fait penser aux films des banlieues soviétiques, immeubles tristes et gris, sans avenir. La météo qui adopte aujourd’hui un parfait camaïeu de gris, n’arrange pas. Hormis les restaurants et cafés, tout est fermé, mais j’aime quand même me balader. Le quartier Nova Varos, plus branché, réunit la jeunesse. On y trouve pléthore de cafés et restaurants, de clubs aussi sans doute. Les immeubles sont bas et colorés. Ils refont actuellement les chaussées. Ça sera très joli les travaux finis. J’irai y manger ce soir.

D’ailleurs j’ai faim. Je prends la voiture direction le lac Skadar qui est le plus grand lac des Balkans. Il se partage avec l’Albanie (on dit Shkodër chez eux). 30 minutes vers le sud. Risotto gambas et bière locale en terrasse en surplomb du lac. Des petits bateaux recouverts d’une bâche tendue en guise de toit sillonnent lentement le lac. Ils me font penser aux bateaux du Mékong et d’Asie du sud. Avec cette putain de pandémie, depuis combien de temps ne suis-je pas allé par là-bas ? Je ne sais pas compter jusque-là. Les bateaux vont vers Virpazar, point de départ des circuits sur l'eau. Le petit bourg s’est transformé en zone commerciale avec rabatteurs pas trop accrocheurs, restaurants à touristes et boutiques à souvenirs de mauvais goût. Il y a du monde le dimanche. C’est donc là qu’ils étaient. J’y reviendrai sans doute plus tard quand il fera meilleur, et en semaine. Les quelques jours à venir ne s’annoncent pas météorologiquement favorables, je rentrerai sous ma coquille, ou celle de quelques musées ouverts et au sec. Je reviens sur mes pas (mes roues). Je n’attends pas que la peau de mes roues pète et j’ai du temps pour aller voir si le lac est mieux au nord, vers la frontière terrestre avec l’Albanie. La route est sympa quand elle s’approche du lac. Petite queue au poste-frontière, les albanais rentrent de weekend. Je fais demi-tour. C’était une journée tranquille. C'est le soir que sortent les jolies filles, vraiment jolies. Je me demandaient bien où elles étaient, elles devaient roupiller ou faire un scrabble chez elles. J'ai trois fois leur âge. Je touche de loin, avec les yeux.

Lundi matin et l'autre soir. Comme prévu, c'est la fête à la grenouille. Qui a parlé de sécheresse ? Sans doute un gouvernement soucieux de détourner le peuple de ses vraies préoccupations, de lui dicter ses besoins et de faire passer réformes et lois impopulaires.

Le gouvernement : Vous êtes tout mouillés mais c'est en réalité la sécheresse que vous subissez

Le peuple : Vive la grenouille, vive la grenouille

Le gouvernement (à part, c'est à dire avec lui-même) : Ils sont vraiment cons

Le gouvernement à son peuple : Et pour la retraite à 75 ans et l'obligation de travailler même quand il n'y a pas de travail, vous êtes d'accord ?

Le peuple : Longue vie à la grenouille

Le gouvernement : Et pour l'autorisation des grosses claques des hommes politiques du centre droit à leurs épouses vieillissantes, le port du burqini dans les soirées cocktails et le droit de cuissage sans demander l'autorisation

Le peuple : Vive notre grenouille suprême, Hourra hourra

Le gouvernement : Dorénavant les medias seront confiés exclusivement aux familles Crapotruc et Batramachin, sous contrôle (et rétrocessions financières cachées) à la famille Grenouille

Le peuple : Vive notre bien-aimée grenouille

Le gouvernement : Et la confirmation officielle dans la Constitution de la politique des mots et des promesses non tenues au détriment de l'action, vous en voulez hein

Le peuple : Gloire à notre Père (ou Mère on ne sait plus) la grenouille

Le gouvernement : la nouvelle monnaie de notre pays sera le nénuphar, rattaché aux fluctuations du yuan

Le peuple : Nous nous soumettons à ta Sagesse, Ô adulée grenouille

Et ainsi de suite... C'est ainsi que Frog 1er s'autonomma Imperator du pays jusqu'à la fin de sa vie et celle de ses descendants

Loin de tout ce foisonnement politique auquel je ne comprends rien, j'enfourche mes palmes, ma combinaison de plongée et mon tuba pour me diriger vers le Palais Petrovic, du nom de la dernière dynastie de rois du Monténégro. Si je suis bien une poule mouillée en de nombreuses circonstances, au moins là j'y serai au sec. Petite expo bien agréable d'une artiste slovène, Dusa Jesih. Des tableaux contemporains qui valent quelques milliers de dollars chacun tout de même... Il ne faut pas quitter Podgorica sans aller rendre visite à la cathédrale de la Résurection du Christ. C'est une grande église orthodoxe entièrement couverte de fresques, icônes et autres bondieuseries dorées. Dans tout ce fouillis, on voit, en hauteur et à droite de l'entrée, Tito, Marx et Engels en train de brûler en enfer. Ca a fait polémique paraît-il. La cathédrale s'impose au centre d'un quartier d'immeubles, gris et lépreux, peu glorieux d'une pas si lointaine ère socialiste. En conclusion, pour les voyageurs pressés, Podgorica est tout à fait contournable.

Direction le nord-ouest vers Niksic. Arrêt à Danilovgrad, du nom de Danilo Petrovic, fondateur de la dynastie royale à la fin du 17ème siècle. Il pleut des cordes qui transpercent tous mes vêtements, et ma peau bientôt. Café en terrasse sous abri et c'est l'heure de manger. Je m'abrite au hasard dans un bar café où ça sent la cigarette sans les petites pépés. Il n'y a que du goulash au menu du midi. Ca tombe bien, j'en avais envie. Je décline ma nationalité et c'est la grosse joie du patron. Du coup j'ai une part triple à celle de mes voisins. Hvala. Je zappe le monastère d'Ostrog, il pleut vraiment trop. J'y reviendrai peut-être demain si les cieux se montrent plus cléments. Et je poursuis ma route jusqu'à Niksic, deuxième ville du pays, estudiantine, pas mal de cafés et pas très jolie non plus. C'est ici qu'est fabriquée la Niksico Pivo, la bière blonde qu'on trouve partout. La chambre est correcte et lumineuse. Le rapport qualité-prix (36€ pour deux nuits) va me permettre des folies par ailleurs. Je vais faire le tour, vite fait et sous la bruine, des trois attractions du patelin. La forteresse de Bedem qui date des romains, petite vue sur la ville, grisounette sous la pluie. La cathédrale Saint-Basile d'Ostrod (début 20ème) imposante sans être transcendante. Le vaste cimetière de tombes grises et noires, cohérentes avec la météo actuelle, est superbe. Tout est en cyrillique sur les tombes alors que l'usage est partout à l'écriture romaine. Beaucoup de tombes comportent la photo encadrée ou gravée des défunts, c'est pas mal, ça rend moins anonyme et c'est l'accès à l'immortalité. Le Palais de Nicolas 1er, dernier roi du Monténégro (la 1ère guerre mondiale en a eu raison) est sensé abriter un musée du patrimoine. Il est fermé pour travaux qui doivent se terminer en août 2021. C'est ce qui est écrit... Là encore, pour les touristes pressé, Niksic n'a pas d'intérêt. Moi ça me va, j'écris et je lis pour m'occuper. Mais bon, un rayon de soleil serait apprécié.

Le Monténégro est donc un état confetti. Issu du démantèlement de la Yougoslavie, il fait frontière avec pas moins de cinq pays : la Croatie, la Bosnie, la Serbie, le Kosovo et l'Albanie. Le coeur des Balkans donc. Au sud, 80 kms de côte sur l'Adriatique. Son indépendance est récente (2006) après un test avec la Grande Serbie et les guerres des années 90. Le pays ne fait pas partie de l'Union Européenne et ce n'est sans doute pas demain la veille (économie, corruption, mafias...) mais a l'autorisation d'adopter l'euro comme monnaie (pratique !). Le Kosovo est aussi dans ce cas.

On est mardi. Dis, y'en a marre. Fait toujours pas beau. Je me risque vers le monastère d'Ostrog, un des hauts lieux du Monténégro. 1 million de visiteurs par an. Distance 20 kms. Altitude 900 m. Les nuages seront peut-être évaporés à cette hauteur. La route, comme suspendue à la montagne, grimpe dans une purée de poix. Je m'accroche à la voiture de devant pour garder des repères. Sensation d'irréalité. Le monastère semble surgir d'une falaise très abrupte. De ce fait très peu profond et moins grandiose que je n'imaginais. Une anglaise demande à une guide : "mais où est le cathedral ? c'est tout petit ici". Effectivement des petites pièces dans lesquelles on tient à 4 ou 5 maximum. La boutique de souvenirs est nettement plus grande. Les orthodoxes se prosternent, embrassent les encoignures de portes, se signent et écoutent dévotement le pope de service. On ne tourne pas le dos à la pièce, donc pour sortir, c'est à reculons. Il est prudent de brancher ses capteurs de recul car les portes sont basses et étroites. Je reviens l'après-midi quand le soleil fait enfin son apparition. L'effet est tout autre, les couleurs ressortent, la vue, ce matin épais tapis blanc, est vertigineuse maintenant. Retour sur Miksic par l'ancienne route qui serpente dans la petite montagne, très étroite d'autant que la nature commence à reprendre ses droits.

Quelques sorties bucoliques autour de Niksic. Deux lacs artificiels, Slano et Krupac, qui attendent l'hiver pour se gaver d'eau, pour des balades au calme. Petite plage. Et un pont de pierre du 3ème siècle (Most na Mostanici) qui n'enjambe plus que de la verdure, à côté d'une jolie petite église surveillant un très vieux cimetière. Niksic ne sait pas où donner de la tête. Au nord, ce sont les montagnes (ski, rafting, randonnées). Au sud, le littoral (jolie mer, bronzette, kayak et paddle). Il faut choisir. Mes skis ne tenaient pas dans la valise, j'irai vers le sud. Les piliers sont posés, je peux démarrer ce court voyage.