Bonjouratous,

Départ de Gjirokastra sous le soleil, il était temps ! Direction la mer, à l’ouest donc, mais, montagnes obligent, il faut prendre un bout (d’excellente route droite dans une vallée large, plate et fertile) vers le sud. Puis on bifurque vers Sarandë petite route de montagne tranquille et bien retapée. Arrêt au Blue Eye, grande attraction des groupes en pleine saison, il paraît que c’est l’horreur. Ce matin nous sommes trois. Deux jeunes allemandes qui font les deux kilomètres à pieds avec moi (il font des travaux de route pour encore mieux abîmer le paysage sans doute). Elles viennent du nord, ont fait du trecking, ont eu de la neige (a priori pas un bon souvenir - j’ai eu des commentaires plus élogieux par d’autres personnes ensuite, avec photos montrant de la vraie neige, toute blanche). Elles sont également passées sur la riviera. Elles ont trouvé que tout était fermé (hors saison) et ne se sont pas baignées, c’était trop nuageux. Bref, pas très emballées les minettes, elles vont filer en Crête, annexe allemande 😉 Je leur dit quand même de ne pas oublier Gjirokastra et Berat sur leur retour vers Tirana. Ah oui, le Blue Eye… C’est un effet de couleur dans la rivière. C’est très joli, l’environnement est bucolique, mais ça ne vaut pas qu’on s’y déplace exclusivement.

Les nuages s’accumulent dangereusement. Ils s’accrochent à la barrière montagneuse. Serons-nous épargnés sur la côte ? Mystère… Je pousse jusqu’à Ksamil, petite station balnéaire bourrée d’immeubles-appartements et hôtels, où effectivement en cette saison, presque tout est fermé. Ce doit être horripilant en pleine saison, c’est déprimant en basse saison. L’île de Corfou qui est en Grèce est à quelques kilomètres. On la voit parfaitement. Certains disent qu’ils ont même vu Dimitris se faire cuire un œuf dans sa cuisine. Difficile de trouver un endroit pour déjeuner, ce sera fast-food souvlaki, saucisses, frites, bière. La route est très jolie quand même le long d’un grand lac qu’on pourrait prendre pour un lagon tellement la mer est toute proche. Je conseille la plage du monastère près de Sarandë, joli petite plage de petits galets dans une toute petite baie. Nous sommes cinq en tout, à correcte distanciation sociale. La mer, comme dans les autres endroits de mer que je verrai ensuite, est d’une inconvenante transparence. J’y plonge avec délice, elle est encore très bonne. En me retournant, je songe à ces moments d’été vacancier où le monde agglutiné doit transformer cet endroit sauvage en une belle horreur.

Je délaisse Butrint tout au sud, site ancien de ruines, d’abord parce que j’ai déjà vu en 1988, je n’en ai aucun souvenir mais mes photos le prouvent, ensuite que les ruines bon ça va, et enfin que ma destination du jour est au nord. Pour atteindre Himarë, station balnéaire qui est cette fameuse destination, c’est de haut qu’on voit la mer depuis la route taillée dans la montagne. Quelques routes descendent à pic rejoindre des plages isolées. Himarë ne casse pas trois pattes à un dromadaire mais est bien plaisante, calme sans volupté, plage de ville et surtout guesthouse très sympatoche, la Sunset Guesthouse, grande chambre toute refaite, salle de bains attenante, pour 20€ la nuit (sans petit dej c’te fouè). Je comprends que la dame s’appelle Enkula (tant pis pour elle) et son mari Nikola. Alors quand Nikola en… Bref… On m’offre le raki, c’est un peu tôt. Alors j’ai droit à un petit dessert maison, des petits grains de raisin au sirop, miam bon. Dans la conversation, je n’arrive pas à déterminer si Nikola préfère la démocratie actuelle pleine de corruption et de mafia par dépit ou le régime communiste destructeur de libertés d’Enver Hodxa par nostalgie où tout le monde avait du travail. Je n’insiste pas.

Une française est en couple avec un espagnol. Ils se sont rencontrés il y a 10 jours, filent le parfait amour et montent déjà des projets. Ils regrettent de n’avoir pas eu ma chambre qui a un lit double alors qu’eux ont dû se contenter de deux lits jumeaux. Intérieurement je jubile 😊 La française est venue à pieds depuis la France. Vraiment à pieds, en stop, quelques trajets en bus, mais surtout du stop. Chapeau. Elle fuit la France, ses gilets jaunes, son marasme, ses contradictions, ses élections présidentielles qui l’énervent par anticipation. Je suis en phase. Elle a des enfants, il faut qu’elle retourne s’en occuper de temps en temps, montrer le bout de son nez, rappeler qu’elle existe. Au-dessus de la station, perché tout là-haut, se trouve le vieux bourg d’Himarë, vieilles maisons, certaines abandonnées et c’est dommage. Vue exceptionnelle, notamment sur la plage de Livadhi. Café tout en haut, au soleil, la journée s’annonce excellente. La radio parle en grec. En effet, ce sud de l’Albanie comporte quelques communautés grecques. Himarë en est un centre. Alors je balance des efaristo auxquels on me répond par des baracalo. L’ancien régime communiste a interdit toute manifestation minoritaire et ce n’est qu’en 2006 qu’ils ont pu rouvrir une école grecque, toute jolie d’ailleurs dans le vieux Himarë.

C’est sur Gjipe beach (ou plaszhi) que je jette mon dévolu pour mon bain de mer du jour. Cette plage se mérite. On s’arrête à un semblant de parking car le chemin n’est plus carrossable ensuite. Les ouvriers cantonniers du coin me délestent de 200 lek, pour soi-disant garder ma Picasso qui n’est plus qu’un tas de boue et de poussière. 20 minutes de descente sur un chemin empierré où mes tennis de toile font finir par rendre l’âme. Il faut tenir encore quelques jours les miss please. Ouvrez la parenthèse : je conseille vivement d’apporter en Albanie des chaussures de marche, en tout cas à grosses semelles, pour les éventuels trekkings, mais aussi les villes où les pavés et grosses pierres des rues ne sont pas agréables à marcher avec de fines semelles. Fermez la parenthèse. La plage n’est accessible que par ce chemin, sans doute aussi depuis la mer en saison. C’est une plage de galet et sable, l’eau est d’un bleu remarquable, close par de hautes falaises. Comment une plage a-t-elle pu se former là ? Boule de gomme. Nous sommes très peu nombreux et je loue la basse saison pour cela. Je marche vers l’une des extrémités, celle de gauche, histoire de prendre un coup de soleil dans le dos, au détour d’un pan de falaise masqué du reste de la plage, une jeune sirène autrichienne bronzée et les seins lourds et nus à tuer d’effroi tout net un régiment entier de talibans, se prélasse. Elle n’est pas contre un brin de causette. J’évite de parler de ma guerre de 1988. Nous débattons plutôt de l’existentialisme selon Kierkegaard, des pensées nihilistes comparatives des religions prônées par Nietzsche et de la symbolique ottomane dans le monde médiéval, sans oublier les conséquences sur le népotisme stalinien… C’est que je sais parler aux sirènes, moi, et l’Albanie a des charmes insoupçonnés.

Quelques villages accrochés à la montagne et traversés par la route méritent un arrêt point de vue, café ou salade, Vuno ou Dhermi par exemple. C’est de la vraie montagne, les nuages sont arrêtés par cette barrière pour permettre aux quelques touristes de bronzer sur les galets de la côte. Un gros bunker rouille tranquillement au détour d’un virage. Les militaires qui y étaient cantonnés ont dû faire bien des parties de crapette tellement les journées devaient être longues à zieuter les plaisanciers de Corfou les narguer eux-mêmes. On redescend au niveau de la mer à Onikum où, jusqu’à Vlorë, ce ne sont qu’enfilades d’hôtels et d’immeubles aux noms plus stupides les uns que les autres, genre Flamingo, Diamond hills, Sunset… Albania tu perds ton âme. Des types déguisés en costume folklorique, genre evzones, rabattent les passants vers leurs restaurants. Au secours ! L’été doit être redoutable lorsque tous ces logements sont occupés, les plages étroites, privées ou publiques, ne pouvant décemment accueillir tout son monde. Je trace jusqu’à Berat, 1h30 encore, sur une platitude rural et quelconque.

Berat est une autre ville inscrite au Patrimoine de l’Unesco, elle le mérite parfaitement. Différente de Gjirokastra, les maisons sont couvertes de tuiles et accolées les unes aux autres. On ne passe pas. Je descends à l’hôtel Adja, tout à fait correct (24€ la chambre avec petit dej), dont le mérite essentiel est de se trouver de l’autre côté de la rivière avec pleine vue sur le quartier Mangalem, une de ces collines de maisons blanches aux mille fenêtres. Ballade de fin d’après-midi tranquille. J’aime déjà mieux cette ville que Gjirokastra, plus accessible, moins intimidante. Un verre de vin blanc pour accompagner ma lecture à l’assaut des Rougon-Macquart. Je tombe le soir par hasard sur le restaurant de Lili. Lili s’appelle en fait Elia, on pourrait le croire un peu de la jaquette, mais il n’arrête pas de parler de sa femme qui est en cuisine. Il a installé son petit restaurant au fond d’une impasse, simple pièce tout en pierre, dont un pan est la roche de la colline. On se croirait dans un grenier sans les toiles d’araignées ou un tripot secret. Et Lili s’agite, fait rire son monde, a les mots qu’il faut dans toutes les langues. Et ce soir l’Europe est réunie dans la pièce bas de plafond et faiblement éclairée, trois polonais auxquels il faut dire que le raki se boit gorgée à gorgée et non cul sec, un couple de russes, un autre d’allemands, encore un d’Espagne et le dernier hollandais. Et l’ultime, vieux de la bande, moi, français. Lili fait son show, explique la carte sur un tableau de vieilles photos. Je choisis la tomate farcie sur son lit (énorme) de riz, juste sublime et un quart de vin qui, je l’espère ne me fera pas voir les araignées cette nuit. Lili m’a prévenu qu’il n’aurait pas la qualité des vins français. On fait bien aussi quelques piquettes, mais celui-ci obtient une médaille ! Il y a des vignes dans les parages. Lili me reproche de ne pas avoir choisi son plat favori, les aubergines. Il fallait le dire avant, ou alors je reviendrai… Et puis vient le moment fatidique du raki. En Albanie, le raki ne s’achète pas. Il s’offre. Et il est tout à fait incorrect de refuser. Alors Lili verse dans les petits verres, demande de prendre son temps, trinque avec nous. Et l’Europe est bien réunie, s’entend parfaitement dans un règne de bienveillance tous azimuts. Si Bruxelles pouvait nous voir ! Et Lili ressert, je m’offusque pour le principe. Après, il va bien falloir que je retraverse le pont pour retrouver ma jolie vue, un peu brouillée, sur la ville.

La citadelle, côté Manalem, est perchée tout là-haut, ça grimpe un peu. Ce n’est pas une ruine comme parfois, restée là pour la nostalgie des arquebusiers médiévaux, ni pour les curieux des techniques de défense des places fortes ou de l’approvisionnement en eau depuis la rivière en contrebas. Le château n’est certes pas en bon état, mais autour c’est un vrai village avec des gens vivants , des maisons occupées, rénovées ou en cours de restauration et mise en conformité. J’y passe une bonne heure, sirote un café en pensant à la vie, à ses tourments, à ses espérances, bref des choses bien futiles. Gorica, de l’autre côté de la rivière, est moins fréquentée mais aussi belle bien qu’elle reçoive peu le soleil. Je tire mon temps à Berat.

L’ampoule de mon plafond s’éclaire soudain ce matin. J’irai passer ma dernière nuit à Krujë, à une bonne demi-heure de l’aéroport. Il fallait y penser. En passant, je prends mon dernier bain de mer sur la plage de Spille, grande étendue de sable gris tout fins et de déchets en tous genres tout pas jolis, plutôt plastiques ☹ J’ai toujours du mal à comprendre. L’eau pique un peu, mais quand on y est c’est divin. Belle transparence. Et je suis seul. Je traverse et dédaigne Durrës. C’est là qu’arrivent les bateaux depuis l’Italie. C’est la 2ème ville du pays en nombre d’habitants. Enfilade d’immeubles, d’hôtels, d’attractions en tous genres. Très moche et sans intérêt. Je repique vers l’intérieur du pays. Krugë est perché. On y vient pour sa citadelle qui n’a pas l’ampleur de celle de Berat mais a une valeur symbolique. Elle est rattachée à la lutte de Skanderbeg, héros de l’Albanie, contre les ottomans au 15ème siècle. Il y a un musée qui lui est dédié près des ruines, où tout albanais se doit d’y admirer ses représentations musculeuses, sa barbe, les monnaies, cartes et armes de l’époque, etc. Tout à fait évitable. Dans la rue qui descend vers la ville nouvelle se trouve le bazar à touristes, qui, avec plus de vieilleries, est plutôt bien mieux que les autres bazars rencontrés jusqu’à présent. Le vrai bazar des albanais a été transféré à 10 kilomètres de là. C’est tout en haut que je loge, à la Merkina Guesthouse dotée d’un restaurant, pour 25€ petit dej compris, qu’on m’apportera plus tôt demain afin que je ne loupe pas mon avion. Une française retraitée est là, fuyant tout ce qu’on a déjà dit en France, et ne pouvant de plus s’assurer une qualité de survie en France avec sa maigre retraite. Elle compte rester un an et donner des cours de français en ville. Je profite de ma fin de journée pour terminer mon écriture et lire devant un panorama à 180°.

Mon premier avion demain atterrira à Venise pour quelques heures. A l’achat de mon billet, j’avais « sauté de joie » en pensant pouvoir prendre le vaporetto et aller manger une pizza sur le Place Saint-Marc. Mais à regarder de plus près mon billet, je m’aperçois que j’atterris en fait à Trévise (40 kms de Venise), plateforme des compagnies low-costs, comme Beauvais l’est pour Paris. J’irai manger ma pizza aux pieds du duomo de Trévise, qui doit, comme toutes les villes italiennes, avoir un joli centre historique.


En conclusion quelques chiffres :

-         J’ai roulé environ 900 kilomètres sur ces dix jours. La conduite ne m’a pas parue si compliquée bien que j’ai lu que les albanais étaient des fous furieux sur la route. Je n’ai jamais ressenti cela, ni plus ni moins qu’en France. J’ai plutôt trouvé les routes tranquilles. Le diesel (ma Picasso) est en moyenne à 175 lek (1,45€). Il y a un nombre impressionnant de Mercédès en Albanie, de tous âges et de toutes conditions.

-         J’ai pris environ 200 photos, peu en quantité, moyen en qualité. Ce n’est pas le genre de destination où je m’éclate photographiquement parlant. Ca n’enlève rien à l’intérêt du voyage. Je ne sais simplement pas prendre les paysages, les grands ensembles… et je n’ai pas trouvé ici les gros plans que j’aime, les couleurs ou les associations de choses qui me font appuyer sur le déclencheur, ou encore les endroits qui me font attendre le bon moment…

-         Mon budget total se monte à moins de 1.000 € environ (250 € pour l’avion et le parking, 250€ pour les hôtels avec petit déjeuner, 300€ pour la voiture avec assurance complète et l’essence comprise et 150€ pour le reste, essentiellement la nourriture). Je rentre donc dans mes frais. Le budget souvenirs est de 0€. Comme de plus en plus, les boutiques dédiées sont nulles à ch…, éventuellement des kilims pour ceux qui aiment les kilims, beaucoup de nappes brodées et une foultitude d’objets inutiles et moches. N’oubliez pas que le tourisme c’est quand on dépense et que le voyage c’est quand on radine.

-         Le prix moyen d’une chambre d’hôtel a été de 24 €, petit dej compris, chambres tout à fait correctes avec lit double. Quand l’hôtel n’accepte pas la carte de crédit, on peut payer en euros sans problème, ça évite de changer de l’argent. J’ai changé 200€ en lek en arrivant à l’aéroport et cela m’a suffit pour les 10 jours, le reste des paiements en carte bancaire ou en euros.

-         Pour des dîners et déjeuners simples avec boisson (bière ou verre de vin), qui me convenaient parfaitement, il faut compter 5 à 6€. C’est une nourriture méditerranéenne avec des influences turques, grecques, peut-être un peu italiennes aussi, beaucoup de légumes, grillades, boulettes de viande et saucisses, yaourt, fruits, etc. On peut naturellement manger de façon plus élaborée, donc plus cher, mais abordable compte tenu de nos standards, ou se contenter d’un byrek à midi (50 lek – 40 centimes)

-         Et ce qui a une valeur incomparable est la gentillesse des gens avec lesquels j’ai pu échanger. Principalement certes ceux qui m’hébergeaient ou me nourrissaient. Dans la rue, le quidam (j’aime bien ce mot… on pourrait même dire le quidam lambda) répond facilement aux sourires et aux bonjours.

Bon voilà, c’était bien, j’espère vous avoir fait découvrir ce petit pays encore hors des circuits classiques, et peut-être vous avoir donné envie de venir y faire un tour.

Merci à ceux qui ont suivi assidûment mon voyage.